Intervention de Francis Grignon

Réunion du 28 octobre 2010 à 15h00
Développement du fret ferroviaire — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Francis GrignonFrancis Grignon :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’exprimerai en tant que président du groupe de travail sur l’avenir du fret ferroviaire, constitué au sein de la commission de l’économie sur l’initiative du président Jean-Paul Emorine, que je tiens à remercier ici chaleureusement.

Madame Schurch a bien voulu évoquer ce groupe de travail, auquel elle a participé. J’en profite pour la remercier. Je remercie également de leur engagement les autres participants à ce groupe de travail, Michel Teston, Claude Biwer, Louis Nègre, ainsi que l’administrateur en charge de ce dossier à la commission.

Ce groupe a rendu, la semaine dernière, son rapport sur un sujet qui préoccupe, à juste titre, les auteurs de la proposition de résolution. Notre commission s’est également interrogée, dès novembre 2009, sur l’avenir de ce mode de transport, et disons clairement que, si nous partageons beaucoup d’éléments du diagnostic de la crise du fret avec les auteurs de la proposition, nous divergeons sur les préconisations, en particulier sur la déclaration d’intérêt général pour l’ensemble du fret ferroviaire et, donc, sur le moratoire de la réforme du wagon isolé à la SNCF.

Mes chers collègues, permettez-moi de ne pas revenir sur l’état des lieux, que tout le monde connaît, mais de rappeler brièvement les réformes ambitieuses déjà engagées par le Gouvernement, avant de vous présenter les propositions du groupe de travail.

Première mesure gouvernementale : RFF se voit confier des objectifs précis au travers du contrat de performance signé avec l’État le 3 novembre 2008. C’est une grande avancée dans l’organisation du trafic ferroviaire, notamment à travers l’attribution et le contrôle qualité des sillons.

Deuxième mesure : le 16 septembre 2009, le Gouvernement a présenté l’Engagement national pour le fret ferroviaire, ENFF, pour une enveloppe financière globale de 7 milliards d’euros qui devrait s’étaler sur une dizaine d’années.

Troisième mesure : la SNCF a engagé une nouvelle réforme du fret en 2009 ; c’est la fameuse offre « multi-lots multi-clients ». Ce plan a justement pour objet de rationaliser et de massifier le trafic de wagon isolé. Il y va de la survie financière de la branche fret de la SNCF et peut-être même du groupe SNCF. Qui peut croire un seul instant que la branche fret de la SNCF peut supporter 3 milliards d’euros de déficit cumulé depuis 2003 sans que la direction s’en inquiète ?

Quatrième mesure : l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, ARAF, est enfin mise en place et a vocation à devenir le juge de paix dans le domaine ferroviaire.

J’en viens maintenant aux propositions du groupe de travail. Elles sont structurées autour de trois axes.

Le premier axe est le renforcement de la qualité de service des opérateurs ferroviaires à travers trois propositions.

La première proposition est de réaliser au plus vite les corridors de fret, afin de faire émerger un réseau ferroviaire européen compétitif là où le fret ferroviaire est compétitif par rapport à la route.

La deuxième proposition est d’exhorter la SNCF à passer d’une logique de l’offre à une logique de la demande, afin de répondre aux attentes concrètes des entreprises clientes. Satisfaire les besoins de ses clients doit être la préoccupation première de la SNCF.

La troisième proposition est de mener une réflexion sur la possibilité d’attribuer des aides publiques pour l’exploitation de certaines lignes de faible trafic de wagons isolés qui répondent à une logique d’aménagement du territoire. La SNCF est, en effet, la seule entreprise qui assure aujourd’hui le trafic de wagons isolés, source des deux tiers du déficit de l’activité fret, alors qu’elle doit, dans le même temps, rendre des comptes à l’État.

Le deuxième axe de nos propositions est l’amélioration de l’organisation du système ferroviaire.

Nous avons appelé le Gouvernement et la SNCF à prendre rapidement les mesures nécessaires pour garantir l’indépendance fonctionnelle de la direction de la circulation ferroviaire, conformément à l’avis motivé du 1er octobre 2009 de la Commission européenne qui reprochait à notre pays de ne pas avoir donné la personnalité juridique à cette direction.

Le groupe de travail a également proposé que le raccordement entre les grands ports maritimes et leur arrière-pays économique soit érigé au rang de priorité stratégique. Par ailleurs, nous fondant sur l’exemple suisse, nous sommes favorables, dans certains cas, à la création de subventions publiques pour les voies de raccordement aux zones d’activité, afin d’inciter les entreprises à recourir au fret ferroviaire.

Enfin, nous appelons de nos vœux la mise en place rapide des opérateurs ferroviaires de proximité, les OFP.

Alors que l’Engagement national pour le fret ferroviaire prévoyait, à partir de 2010, la création d’au moins un opérateur ferroviaire de proximité dans chaque grand port maritime, un seul a vu le jour au port de la Rochelle, avec Euro Cargo Rail, filiale de la Deutsche Bahn, et non la SNCF.

Il existe un autre OFP sur le terrain dans le pays Cathare, mais son activité et ses ambitions demeurent modestes.

Je ne l’ignore pas, certains observateurs craignent que les OFP ne sortent de leur champ de compétence en concurrençant la SNCF plutôt qu’en faisant du transfert modal. Mais le groupe de travail estime que ces craintes sont exagérées et que des accords doivent être trouvés entre Voies ferrées locales et industrielles, VFLI, et les représentants des entreprises ou des ports.

Le troisième et dernier axe est la recherche de sources de financement pérennes pour garantir la réalisation de l’Engagement national pour le fret ferroviaire.

Nous appelons le Gouvernement à assurer des ressources pérennes à l’Agence pour le financement des infrastructures de transport de France, AFITF. Le groupe de travail souhaite notamment la mise en place rapide, à l’échelon national, de la taxe poids lourds, son extension à terme aux autoroutes concédées, une fois révisée la directive Eurovignette II, et, enfin, la hausse raisonnable des redevances domaniales payées par les sociétés d’autoroute, bien évidemment dans le cadre des équilibres contractuels.

La taxe poids lourds devrait voir le jour en 2012, conformément aux engagements pris devant le Parlement. Mais n’oublions pas que chaque année de retard représente pour l’AFITF environ un milliard d’euros de manque à gagner que le Gouvernement doit combler à partir de son budget général.

Enfin, nous avons proposé de relever progressivement le montant des péages ferroviaires. D’après une étude conduite par l’OCDE en 2008, les péages moyens du fret français se trouvent en effet parmi les moins chers d’Europe : environ 2 euros par train-kilomètre en France, contre 2, 6 euros en Allemagne et 6, 2 euros au Royaume-Uni.

Avant de conclure, je voudrais faire le point sur deux sujets qui me sont chers et qui sont connexes aux sujets abordés ici : l’impossibilité aujourd’hui de créer une entreprise ferroviaire intégrée, d’une part, et l’impossibilité d’une uniformisation soudaine des conditions sociales dans le secteur ferroviaire, que ce soit par le haut ou par le bas, d’autre part.

S’agissant de l’entreprise ferroviaire intégrée, les directives communautaires nous imposent une séparation au moins comptable entre les opérateurs ferroviaires et le gestionnaire du réseau. La concurrence est là, elle s’impose aux opérateurs ferroviaires de fret. Que l’on s’en félicite ou non, c’est un fait : il n’y a plus de monopole de la SNCF. La péréquation traditionnelle, au sein de la SNCF, entre les activités rentables et les activités déficitaires est donc désormais impossible. C’est pourquoi il faut changer d’échelle, de paradigme, instaurer des comptes de ligne, comme en Suisse, et instituer de la péréquation à l’échelon national, ligne par ligne, ce que nous avons proposé pour les lignes de fret répondant à un impératif d’aménagement du territoire.

Je fais souvent référence à la Suisse car, pour moi, c’est un modèle en matière ferroviaire. En effet, bien que ce pays ne soit pas soumis aux règles de l’Union européenne, il a su, sans introduire la concurrence, moderniser le système et devenir l’opérateur ferroviaire le plus performant en Europe.

Quant à l’uniformisation des conditions sociales dans le secteur du transport ferroviaire, je crois qu’il faut rappeler quelques évidences, tant économiques que juridiques.

Sur le plan économique, le rapport Bain, qui a été commandé par la direction de la SNCF et qui fait désormais référence, a montré qu’il existe un surcoût de 30 % de la main-d’œuvre des cheminots SNCF par rapport aux agents de VFLI, filiale privée de la SNCF.

Cette différence de coût s’explique d’abord par des écarts de productivité liés à la polyvalence, au salaire moyen moindre et au nombre de jours travaillés plus importants des agents de VFLI, ensuite par des coûts de structure et d’encadrement deux fois plus importants à la SNCF que chez VFLI et, enfin, par des charges spécifiques à la SNCF.

Vous savez tous que le fret ferroviaire est pénalisé par sa faible compétitivité. Imposer ce surcoût de 30 % à tous les opérateurs concurrents de la SNCF serait, à coup sûr, le meilleur moyen de ralentir son redressement et de ne pas atteindre les objectifs de report modal fixé par le Grenelle de l’environnement. C’est à la SNCF de réduire progressivement et dans le temps cet écart, afin de ne pas pénaliser le personnel régi par le statut.

Sur le plan juridique, il ne faut pas méconnaître la liberté contractuelle et rayer d’un trait de plume tout le travail réalisé par les partenaires sociaux. En effet, les syndicats et les organisations professionnelles ont signé en juin 2007 un accord de branche pour définir justement le champ d’application de la convention collective nationale de branche du transport ferroviaire. Un accord de branche a été conclu le 14 octobre 2008 sur l’organisation et l’aménagement du temps de travail, et un autre accord vient d’être conclu sur la classification et la qualification.

Plutôt que de parler de convention collective harmonisée, avec le risque que les instances communautaires jugent cette uniformisation contraire au droit de la concurrence, il vaut mieux, selon moi, parler de convergence entre les multiples accords de branche du privé et le décret du 29 décembre 1999 relatif à la durée du travail du personnel de la SNCF, le fameux RH 0077.

Voilà, mes chers collègues, le fruit des réflexions du groupe de travail sur l’avenir du fret ferroviaire que j’ai eu l’honneur de présider, et les raisons personnelles qui m’incitent à être défavorable à la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui.

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