Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au sein des modes de transport de marchandises, la part du fret ferroviaire et fluvial est tombée de 42 % en 1984 à 14 % en 2007. Depuis, cette part a encore baissé, le fret ferroviaire ne représentant plus en France, en 2008, que 40 milliards de tonnes-kilomètres, soit 10 % de tous les modes de transport intérieur confondus.
L’activité fret de la SNCF a été divisée par deux. Elle a entraîné chaque année des pertes importantes conduisant à plusieurs plans de relance et à deux refinancements au moins.
L’ouverture à la concurrence, depuis 2006, s’est traduite pas l’arrivée de nouveaux opérateurs, qui détiennent désormais une part de marché de 16 %. Le développement de leur activité s’est fait essentiellement au détriment de Fret SNCF.
Cet état des lieux nous conduit à nous poser plusieurs questions. Quelles sont les causes du déclin des transports de marchandises par le train ? Les pouvoirs publics ont-ils pris conscience de cette situation ? Quelles sont les mesures à prendre pour relancer l’activité du fret ferroviaire en France ?
Je commencerai par évoquer les causes principales du déclin du fret ferroviaire.
La première, c’est le mauvais état d’un certain nombre de lignes sur lesquelles circulent des trains de fret.
La deuxième cause, ce sont des règles du jeu qui pénalisent le mode ferroviaire par rapport au mode routier. Actuellement, en effet, tous les coûts externes du transport routier de marchandises – pollution de l’air, CO2, insécurité routière, usure et congestion des réseaux routiers – ne sont pas intégrés à sa tarification. Il en résulte un avantage important pour le transport routier de marchandises, pourtant globalement plus coûteux pour la collectivité nationale que les autres modes de transport.
La troisième cause, c’est la désindustrialisation de la France et la faiblesse en tonnage des ports maritimes français.
Les pouvoirs publics ont-ils pris conscience de cette situation ? La loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite « Grenelle 1 », a mis l’accent sur un développement performant et sobre en carbone du transport des marchandises. Il s’agit de faire passer de 14 % à 25 % à l’échéance 2022 la part modale du non-routier et du non-aérien, avec une première étape à 17, 5 % en 2012. Cette croissance serait assurée par le fret ferroviaire pour 85 % et par le transport fluvial pour 15 %.
En 2009, l’État a arrêté un engagement national pour le fret ferroviaire d’un montant de 7 milliards d’euros. On pouvait donc penser que les pouvoirs publics avaient pris conscience de la nécessité de relancer le fret ferroviaire. Cette impression ne résiste toutefois pas à l’analyse.
En effet, la loi dite « Grenelle 2 » est très en retrait par rapport aux bonnes orientations du Grenelle 1. Quant à l’Engagement national pour le fret ferroviaire, son financement n’est pas réellement assuré. Le Gouvernement vient, en outre, de repousser la mise en place de l’eurovignette et de la taxe carbone.
En revanche, la SNCF, qui, dans le cadre de cet engagement national, doit investir 200 millions d’euros par an pendant cinq ans pour conforter son activité fret, a tenu, à ce jour, son engagement.
Le constat de la faible motivation de l’État nécessite donc de prendre des initiatives à sa place. C’est la mission que s’est assignée le groupe de travail sur l’avenir du fret ferroviaire mis en place par la commission de l’économie du Sénat, qui a, notamment, organisé une table ronde réunissant de nombreux acteurs œuvrant dans le ferroviaire. Il convient de noter, monsieur Bussereau, que le secrétariat d’État chargé des transports n’y était pas représenté.
La proposition de résolution déposée par nos collègues du groupe CRC-SPG, dont nous débattons aujourd’hui, constitue une autre initiative intéressante, approuvée par le groupe socialiste.
En effet, les ambitieux objectifs du Grenelle 1 nécessitent la mise en place d’un plan volontaire en matière de développement du fret ferroviaire.
Dans le contexte de libéralisation voulue par la Commission européenne, libéralisation que le groupe socialiste désapprouve, mais qui est une réalité, ce plan doit nécessairement comporter les trois actions suivantes.
Première action, il faut fixer des règles du jeu qui ne pénalisent pas un mode de transport par rapport à un autre, ou un ou des opérateurs ferroviaires par rapport à son ou leurs concurrents.
En effet, le constat est le suivant : tous les coûts externes – pollution de l’air, CO2, insécurité routière, congestion du trafic et détérioration des réseaux routiers –, qui pourraient représenter, selon la Commission européenne, 210 milliards d’euros à l’horizon 2020, ne sont pas intégrés. L’instauration de l’eurovignette, d’ailleurs prévue par la législation européenne, serait un bon moyen d’internaliser dans la tarification l’ensemble des coûts externes du transport routier de marchandises. Il en va de même pour la taxe carbone, qui devrait s’appliquer à tous les engins thermiques polluants, qu’ils soient routiers ou ferroviaires. Malheureusement, le Gouvernement a repoussé la mise en œuvre de ces deux mesures.
De fait, bien que bon nombre d’entre eux y soient réticents, les transporteurs routiers français auraient intérêt à ce que soit mise en place une fiscalité écologique leur permettant de lutter à armes égales avec les transporteurs routiers des autres États, lesquels peuvent effectuer des acheminements intérieurs en profitant de la possibilité ouverte par le cabotage.
Au sein du mode ferroviaire, il apparaît que la SNCF est plus chère que la concurrence, en raison, notamment, de coûts d’organisation plus élevés.
Comme il n’est pas envisageable d’égaliser « par le bas » les conditions sociales des personnels, il convient d’œuvrer en faveur d’une harmonisation sociale européenne et française « par le haut », seule susceptible de créer des conditions équitables de concurrence.
Dans l’attente de cette harmonisation, qui ne pourra intervenir qu’à moyen ou à long terme, pourquoi ne pas mettre en place un dispositif qui, à l’instar de ce qui existe en Allemagne, permettrait de faire supporter le différentiel financier, tant qu’il existera, par une structure ad hoc ?
Le transport par wagon isolé est essentiel pour assurer un bon maillage du territoire. Son coût est cependant jusqu’à deux fois plus élevé que celui du transport par la route. Il apparaît en outre que les nouveaux opérateurs se limitent au transport de trains entiers, laissant la SNCF supporter les pertes du transport par wagon isolé.
C’est pourquoi le groupe socialiste estime qu’il est indispensable d’adopter des mesures favorisant le développement de la demande de transport en wagon isolé, de manière à soutenir l’offre de service et l’augmentation de la qualité. Il pourrait être prévu, par exemple, d’octroyer des primes, ou des avantages fiscaux, aux entreprises qui ont recours aux services ferroviaires pour acheminer leurs produits.
La Commission européenne pourrait en outre réfléchir à d’autres mesures de soutien. Malheureusement, dans la proposition de règlement, actuellement en discussion, relative aux réseaux ferroviaires européens pour un fret compétitif, centrée essentiellement sur la mise en place de mécanismes de marché, cette possibilité n’est pas évoquée.
Pourtant, le Grenelle de l’environnement a montré qu’une approche fondée sur la seule pertinence économique n’est plus tenable. Une autre logique, qui s’appuie sur la dimension « aménagement du territoire » est nécessaire. Elle repose sur la reconnaissance du caractère d’intérêt général du fret ferroviaire, reconnaissance permettant le recours à la procédure de la délégation de service public. Cela permettrait au fret ferroviaire de bénéficier d’un modèle économique solide autorisant les aides non seulement à l’investissement, mais également, si nécessaire, à l’exploitation.
Deuxième action, il convient de mettre à niveau le réseau ferré existant afin d’assurer le développement du fret ferroviaire, dans le respect du Grenelle de l’environnement.
Entre 1980 et 2008, l’évolution des réseaux autoroutier et ferroviaire a été diverse : le réseau autoroutier est passé de 4 800 kilomètres à plus de 11 000 kilomètres et le réseau ferroviaire, de 34 362 kilomètres à 29 473 kilomètres.
Voilà cinq ans, le rapport de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, dit rapport Rivier, a pointé le mauvais état d’un certain nombre de lignes, particulièrement celles des groupes UIC 7 à 9, sur lesquelles circulent essentiellement les TER, mais aussi des trains de fret.
Depuis quelques années, un effort important a été consenti par RFF, qui a augmenté le montant des crédits consacrés à la régénération, mais sans atteindre le niveau préconisé par le rapport Rivier. Certaines régions sont également intervenues, et interviennent encore aujourd’hui, pour améliorer les infrastructures ferroviaires sur lesquelles circulent des TER.
Le programme de régénération doit donc être amplifié. Il convient d’électrifier un certain nombre de lignes – je pense en particulier à la ligne Serqueux-Gisors en région parisienne – en vue de constituer des corridors dédiés ou principalement affectés au fret.
La question est posée, en outre, de savoir s’il ne faudrait pas rendre obligatoire la connexion au réseau ferroviaire des zones d’activités le justifiant.
Pour réaliser cette mise à niveau, il incombe à l’État d’arrêter rapidement un plan de résorption de l’énorme dette de RFF, qui atteignait 27, 8 milliards d’euros en 2009.
Quant aux enveloppes financières mises à disposition de l’AFITF, elles doivent être pérennisées.
J’en viens à la troisième action du plan de développement du fret ferroviaire : le développement de nouveaux services à côté des services existants. Je me bornerai à décrire quelques exemples de services envisageables.
Premier service envisageable : les trains longs. Un protocole d’accord a été signé, le 25 mars 2010, entre RFF, les acteurs du fret ferroviaire et les chargeurs afin d’expérimenter ce type de trains. En prévoyant de porter à 1 000-1 500 mètres la longueur moyenne des trains et de 2 000 à 4 000 tonnes le poids moyen, contre 750 mètres et 1 400 tonnes actuellement, le train long devrait rendre le transport de fret moins coûteux en sillons pour le transporteur.
Deuxième service envisageable : le soutien aux opérateurs ferroviaires de proximité, notamment dans les ports. Si le fait que sept sociétés européennes de fret ferroviaire ont conclu l’alliance X-Rail pour accroître la qualité et la compétitivité du transport européen par wagon isolé face au transport routier est une bonne chose, il est dommage que la SNCF ne fasse pas partie de cette alliance. Elle s’en tient pour le moment à son projet d’activité « multi-lots multi-clients », organisée autour de onze sites seulement, et s’oriente vers des accords bilatéraux.
La SNCF doit prendre sa part de ce défi, rejoindre cette alliance, conserver ses gares de triage et s’engager dans le capital des opérateurs de proximité, reconnus par la loi. Dans le même temps, le rôle et les missions des opérateurs ferroviaires de proximité doivent être circonscrits à leur zone de chalandise, pour éviter qu’ils ne deviennent des opérateurs ferroviaires en tant que tels. On a cité tout à l’heure le port de La Rochelle ; je crois, monsieur le secrétaire d’État, que vous avez bien compris ce que je voulais dire. Une nouvelle loi est par conséquent nécessaire pour définir avec précision les missions de ces opérateurs ferroviaires de proximité.
Troisième service envisageable : le développement du transport de messagerie à grande vitesse. J’insiste sur cette notion de messagerie, qui ne doit pas être confondue avec celle de transport lourd. Il s’agit donc du développement du TGV fret et du développement des trains de messagerie à vitesse élevée sur les lignes classiques réaménagées.
Cela étant, les services traditionnels comme le transport combiné – qui associe le rail et la route – sont essentiels. Cela passe notamment par le renforcement des autoroutes ferroviaires. La liaison entre Bettembourg, ville du Luxembourg, et Rivesaltes étant concluante, il convient d’étendre la liaison entre Aiton et Orbassano, ville italienne, à la liaison Lyon-Turin, et d’ouvrir de nouvelles autoroutes ferroviaires, notamment sur la façade ouest de la France entre le Nord et la Méditerranée, ainsi qu’en provenance du Havre.
En conclusion, le développement du fret ferroviaire nous paraît constituer l’une des priorités européennes et nationales. Il exige donc la mise en place et la réalisation de toutes les actions que je viens de décrire et qui devraient être inscrites dans un plan global.
La question est la suivante : la volonté politique existe-t-elle au niveau de l’État ? Comme nous en doutons, nous demandons un moratoire sur l’abandon partiel de l’activité « wagon isolé » et la préservation des installations ferroviaires en attendant l’organisation d’états généraux, ou d’un « Grenelle », du fret ferroviaire, que nous appelons de nos vœux dans un avenir proche.
Quant à la Commission européenne, elle devrait, avant toute révision du premier paquet ferroviaire – actuellement en cours d’examen –, dresser un bilan objectif et contradictoire des effets de l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, et accepter de modifier sa position en autorisant des mesures de soutien.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste est favorable à l’adoption de la proposition de résolution du groupe CRC-SPG.