Intervention de Henri de Richemont

Réunion du 29 mars 2005 à 16h00
Prévention et répression des violences au sein du couple — Discussion des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Henri de RichemontHenri de Richemont, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur de rapporter devant vous les deux propositions de loi qui ont été déposées, l'une, par M. Roland Courteau et ses collègues du groupe socialiste, l'autre, par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et ses collègues du groupe communiste républicain et citoyen. La commission des lois a essayé de reprendre, dans leur ensemble, ces deux propositions de loi relatives à la lutte contre les violences à l'égard des femmes et notamment au sein des couples. Et comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, le débat porte sur les propositions de la commission.

Madame la ministre, vous avez déposé, le 24 novembre 2004, un plan de lutte contre les violences faites aux femmes, axé sur les violences conjugales. Nous avons, à plusieurs reprises, tenu compte de vos suggestions, afin de présenter un texte cohérent sur le plan juridique et efficace quant à la lutte contre ce fléau.

Aujourd'hui, il est effectivement difficile de prendre la mesure d'un phénomène qui est sous-estimé par les statistiques policières ou judiciaires. Les victimes sont en effet souvent hésitantes à se manifester. Toutefois, l'enquête nationale réalisée sur la violence envers les femmes en France a souligné que la violence contre la femme au sein du couple reste présente, et ce dans tous les milieux.

Depuis 1995, on assiste à une augmentation significative du nombre de condamnations en matière de violences sur le conjoint ou sur le concubin. Il est intéressant de noter la nette prépondérance du nombre des violences n'ayant pas entraîné une incapacité totale de travail, une ITT, supérieure à huit jours. Mais, compte tenu de la réticence des victimes à porter plainte, les chiffres sont inférieurs à la réalité.

Mes chers collègues, les raisons de ces violences sont multiples : l'alcoolisme, les relations extraconjugales, les décalages sociaux.

L'arsenal juridique existant est déjà important et rigoureux.

Le nouveau code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 a prévu la qualité de conjoint ou de concubin de la victime comme circonstance aggravante dans quatre hypothèses : tortures ou actes de barbarie, violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, violences ayant entraîné une ITT de plus de huit jours.

En outre, la qualité de conjoint ou de concubin représente - il est important de le souligner - l'un des éléments constitutifs du délit de violence n'ayant pas entraîné une ITT supérieure à huit jours.

Enfin, la loi du 26 mai 2004 relative au divorce prévoit l'éloignement du conjoint violent.

Toutefois, l'application judiciaire de l'arsenal juridique, dont je viens de rappeler les dispositions les plus importantes, est difficile.

Compte tenu du principe de l'opportunité des poursuites, les directives des parquets sont disparates d'un parquet à l'autre. Le critère de l'ITT apparaît déterminant dans l'orientation de la procédure. Lorsque l'ITT est importante, le conjoint violent est déféré au parquet immédiatement après sa garde à vue. Mais lorsque l'ITT est plus réduite, on recourt généralement à une médiation pénale, qui se traduit par un faible nombre de poursuites sur le plan judiciaire.

Or la notion d'ITT présente certaines incertitudes : elle est subjective, elle n'est définie par aucun texte et elle est appliquée d'une manière parfaitement hétérogène. A cet égard, nous ne pouvons que saluer la parution, en septembre 2004, d'un guide de l'action publique, élaboré sous l'égide du garde des sceaux à l'intention des parquets, afin d'harmoniser les poursuites.

Il convient également de noter que les sanctions prononcées restent très en deçà des maximums légaux prévus par la loi. Par exemple, en cas d'ITT supérieure à huit jours, la durée moyenne des peines d'emprisonnement ne dépasse pas, en général, six mois de prison, alors que l'application de la circonstance aggravante pourrait porter cette peine à un maximum de cinq ans de prison.

Le viol entre conjoints est faiblement puni, comme si le contexte du couple justifiait des circonstances atténuantes.

C'est dans ces conditions que les deux propositions de loi dont nous discutons aujourd'hui ont été déposées. Elles comportent un volet répressif : trois ans de prison s'agissant des violences physiques ou psychologiques commises de manière habituelle ; aggravation de la peine étendue aux anciens conjoints ; reconnaissance du viol entre époux ; extension de l'aggravation de la peine aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, le PACS.

Ces deux propositions de loi contiennent également de nombreuses mesures en matière de prévention, de formation et d'aide aux victimes. Ces dernières dispositions visent à faciliter le recours à l'aide juridique et à permettre le recours à la commission d'indemnisation pour réparation des dommages causés à la victime. Sont aussi prévues des mesures spécifiques dans le cadre du contrôle judiciaire, ainsi que des dispositions tendant à faciliter la procédure pour que les associations puissent se porter partie civile.

Il est bien évident que toutes ces mesures sont importantes et méritent d'être soutenues, mais le législateur ne peut les retenir toutes ; je vous en exposerai les raisons tout à l'heure.

L'acte violent au sein du couple, ce dernier devant procurer la sécurité et favoriser le respect mutuel, contredit profondément les valeurs sur lesquelles se fonde notre société.

Au terme des auditions organisées par la commission, deux constats peuvent être dressés : tout d'abord, ces violences restent présentes dans notre société et justifient une mobilisation de la communauté nationale tout entière ; ensuite, ces faits de violence présentent une spécificité liée à la relation de dépendance matérielle et psychologique.

Certes, la réponse pénale ne constitue qu'un volet de l'action qu'il est nécessaire de mener, mais elle peut avoir un rôle dissuasif et protéger la victime. Or notre droit actuel présente des lacunes.

Au vu du contenu des mesures figurant tant dans les deux propositions de loi que dans le plan de lutte contre les violences faites aux femmes, la commission a retenu six actions principales.

Premièrement, il s'agit de définir, dans la partie générale du code pénal, la circonstance aggravante liée à la commission d'infraction au sein du couple. Mais, bien entendu, la circonstance aggravante ne s'appliquerait qu'aux infractions expressément prévues par le législateur.

Deuxièmement, conformément aux deux propositions de loi, il convient d'élargir aux pacsés la circonstance aggravante, qui est aujourd'hui limitée au conjoint et au concubin. Le pacsé est bien évidemment un concubin, mais il est préférable de l'inscrire clairement dans la loi.

Troisièmement, toujours conformément aux deux propositions de loi, il importe d'étendre la circonstance aggravante aux faits commis par les anciens conjoints, les anciens concubins et les anciens pacsés.

Madame la ministre, mes chers collègues, en commission, nous avons débattu de la question de savoir si, lorsque le couple a pris fin, cette circonstance aggravante doit perdurer ou doit être limitée dans le temps. Les personnes que nous avons auditionnées ont indiqué que les violences sont en général commises après la rupture, alors que le couple est encore fragile sur le plan émotif, psychologique, et que se posent les problèmes de garde d'enfant, de paiement de pension alimentaire. Il nous a été recommandé par des magistrats de limiter les effets de cette circonstance aggravante à une durée de cinq ans suivant la rupture.

La commission des lois a tout d'abord pensé qu'il ne fallait pas fixer de limitation dans le temps. Puis, elle a pris position sur un amendement dont nous débattrons tout à l'heure et dans lequel la circonstance aggravante peut être retenue jusqu'à ce que le dernier enfant a atteint sa majorité.

Toutefois, il y a là matière à débat : la circonstance aggravante doit-elle être maintenue lorsque le couple a rompu depuis plus de vingt ou trente ans ? Si le point de départ de la rupture est facile à déterminer en cas de mariage, c'est plus difficile en cas de concubinage. Le débat aura lieu lorsque nous discuterons les amendements.

Quatrièmement, nous proposons de corriger une erreur assez curieuse : la circonstance aggravante ne jouait pas en cas de meurtre ; nous avons donc réparé cet oubli.

Cinquièmement, faut-il incriminer ou non le viol au sein du couple dans le code pénal ?

Les auteurs de la proposition de loi ont souhaité insérer une disposition portant sur le viol au sein du couple dans le code pénal.

Pendant très longtemps, le viol n'a pas été défini, si ce n'est par la jurisprudence et la doctrine qui considéraient qu'il s'agissait d'une conjonction charnelle d'un homme et d'une femme contre le gré de cette dernière. La jurisprudence ajoutait que, à partir du moment où il y avait devoir de cohabitation, il ne pouvait y avoir viol dans le couple, sauf en cas de coups et blessures.

Or, en 1980, à l'occasion des modifications dont a fait l'objet le code pénal, le viol a été défini d'une manière très précise. Par ailleurs, en 1990, la Cour de cassation a très clairement jugé que le viol entre époux était réprimé par le texte de 1980. Aujourd'hui, la Cour de cassation a pris position : elle considère que la loi du 23 décembre 1980 s'applique au viol commis au sein du couple, qu'il s'agisse d'un couple légale marié, d'un couple en concubinage ou d'un couple pacsé.

Compte tenu d'une telle jurisprudence, fallait-il être redondant et inclure une nouvelle disposition dans le code pénal alors que le viol est déjà visé dans ledit code ?

Après débat, la commission a considéré que le code pénal devait jouer un rôle dissuasif et clarificateur. En effet, pour les raisons que j'ai indiquées tout à l'heure, la police et les tribunaux considèrent toujours le viol au sein du couple comme affecté d'une circonstance atténuante : c'est la raison pour laquelle il est moins réprimé qu'il ne devrait l'être.

Ainsi, il nous a semblé salutaire et nécessaire, dans un but dissuasif et éducatif, de prévoir que la commission du viol au sein du couple ne devait pas être affectée de la circonstance atténuante, et ce quelle que soit la nature du couple. Nous proposons donc d'ajouter cette précision à la suite de l'article du code pénal réprimant le viol, ce qui va dans le sens des deux propositions de lois qui nous étaient soumises.

Sixièmement, nous avons suivi les suggestions des auteurs des deux propositions de loi en permettant au juge, d'une manière très claire et très précise, d'interdire à l'époux ou au conjoint violent de retourner au domicile conjugal.

Aujourd'hui, la loi donne au juge la possibilité d'interdire la présence du conjoint en tel ou tel lieu, mais il n'est pas prévu qu'il puisse interdire l'accès au domicile conjugal, et les tribunaux font toujours preuve d'une certaine réticence dans la mesure où il s'agit du domicile conjoint. C'est pourquoi nous avons proposé, conformément à la demande des auteurs des deux propositions, de permettre au juge d'interdire au conjoint violent l'accès au domicile conjugal.

Ainsi, en ce qui concerne le volet répressif et l'augmentation des peines, la commission a retenu dans ses conclusions presque toutes les dispositions des deux propositions de loi émanant du groupe CRC et du groupe socialiste, y ajoutant les précisions que je viens de décrire.

Il est vrai que nous n'avons pas retenu certaines des propositions qui nous étaient présentées par les auteurs de ces deux textes.

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