Cette commission a aussi formulé différents types d’observations concernant la délimitation des circonscriptions. Or les mêmes critères appliqués à différents départements aboutissent à une proposition pour les uns, liant le Gouvernement, et à une suggestion pour les autres, ne l’engageant pas et lui permettant de ne pas prendre en compte ce qu’elle proposait. Hasard ?...
Les suggestions ont été balayées, même quand elles avaient la même force et reposaient sur des critères identiques formulés pour d’autres départements. Édifiant en termes d’équité !
Bernard Gaudillère indique, à juste titre, qu’aucune majorité politique en charge de l’opération de redécoupage n’a résisté à la tentation du « charcutage ». Votre ordonnance n’échappe malheureusement pas à cette règle.
Le Conseil constitutionnel rappelait pourtant dans sa décision du 8 janvier 2009 que la répartition devait se faire sur « des bases essentiellement démographiques » et « selon une répartition des sièges de députés et une délimitation des circonscriptions législatives respectant au mieux l’égalité devant le suffrage ». La façon dont vous vous y êtes pris pour redélimiter ces circonscriptions montre bien votre volonté de ne servir qu’un intérêt partisan. Vous avez fait preuve de partialité dans la délimitation des nouvelles circonscriptions, sans règle claire et applicable à tous les cas de figure qui aurait assuré l’égalité sur le territoire de la République.
Sur le fondement de la décision du Conseil constitutionnel de 1986, la population d’une circonscription ne peut s’écarter de plus de 20 % de la population moyenne des circonscriptions d’un département. C’est pourquoi, là encore, les termes du projet de loi concourent à une inégalité. Dans un département où la moyenne est de 125 000 habitants – tranche retenue aujourd’hui –, une circonscription pourra avoir 100 000 habitants, contre 150 000 pour une autre, soit 50 % en plus.
C’est donc bien à la commission dite « indépendante » de faire un choix géographique du découpage en l’absence de tous géographes ou experts autres que politiques, qui sont – ne soyons pas pudiques dans les termes, à l’inverse de notre collègue Richard Yung – maîtres en camouflages et petits arrangements entre amis.
La commission aurait pu susciter l’évolution des règles encadrant l’opération de redécoupage et notamment faire baisser ce pourcentage de 20 % à 10 %, comme le suggérait la Commission de Venise. Sans doute n’en a-t-elle pas eu l’autorisation !
En revanche, certaines formes particulières étoilées, étirées, ciselées de quelques circonscriptions, ainsi que des partages de cantons, voire de communes, attendent toujours des justifications liées à l’intérêt général.
Je reviens maintenant à la méthode choisie pour la répartition des sièges.
Le principe qui a guidé le redécoupage et l’allocation des sièges retenu par le Gouvernement est celui de la répartition par tranches, à savoir un siège pour une tranche de 125 000 habitants aujourd’hui, finie ou commencée, même de peu. La commission a justifié cette option comme permettant la meilleure synthèse entre une règle de calcul reposant sur des critères exclusivement démographiques et une approche tenant également compte de la réalité historique et humaine.
Pourtant, elle n’est pas sans savoir qu’une telle méthode provoque d’importantes disparités de représentation pouvant aller d’un à deux. Cette méthode favorise également les départements ruraux au détriment des grands centres urbains. Cette considération n’est sans doute pas étrangère à votre choix, monsieur le secrétaire d’État, et votre commission la justifie en disant que le choix d’une méthode plus strictement fondée sur la représentation proportionnelle aurait eu pour effet d’augmenter sensiblement le nombre de départements n’élisant plus qu’un seul député. Et si tel était le prix finalement modique à payer pour respecter l’égalité de représentation des citoyens ? Un homme ou une femme, une voix : c’est la démocratie, c’est le suffrage universel de la République !
La société évolue. C’est l’une des raisons de la nécessité d’une telle révision. Aujourd’hui, le préfet de département est toujours face à deux élus, au moins, qui tirent leur légitimité du suffrage universel : un député et un président de conseil général. Est-ce parce que beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui à gauche qu’il vous semble si important de maintenir aussi souvent que possible deux députés par département, et non par souci de satisfaire à un impératif d’intérêt général ? Est-ce pour cela que vous avez de facto renoncé à tirer pleinement les enseignements de la décision du Conseil constitutionnel du 8 janvier 2009 à ce sujet ? Celui-ci saura apprécier, j’en suis sûre, le peu de cas que vous faites de ses recommandations.
De surcroît, ce système est le plus mauvais, car la règle d’un député pour toute tranche commencée ne va pas tenir avec un nombre maximum de députés fixé à 577, moins une dizaine de sièges pour les Français établis hors de France. Il y aura donc des tranches commencées non servies et l’équité voudra qu’on choisisse le plus fort reste, toute autre solution n’ayant aucune justification.
Le système s’apparentera donc à une proportionnelle au plus fort reste, avec comme quotient un nombre uniforme. Cette méthode désuète, qui a aujourd’hui disparu, est bien connue pour assurer une mauvaise proportionnalité et faire place à d’éventuels paradoxes. Nostalgie, quand tu nous tiens… Ou tradition, peut-être…
Si l’on avait souhaité garder le principe de cette méthode, mais si l’on avait aussi voulu être honnête, on aurait choisi de calculer un quotient réel : population des unités électorales concernées divisée par le nombre de sièges à attribuer, et, dans ce cas-là, avec une méthode proportionnelle beaucoup plus satisfaisante pour l’égalité du suffrage, notamment celle de Sainte-Laguë et non celle d’Adams.
Le fait même que les circonscriptions supprimées pour créer les onze destinées aux Français établis hors de France soient détenues pour environ les deux tiers par la gauche et par un tiers par la droite illustre encore les objectifs de votre redécoupage : donner à la droite, pensez-vous ou espérez-vous, un avantage structurel propre à lui garantir ou à tout le moins à lui faciliter l’obtention de la majorité absolue de l’Assemblée nationale.
Les exemples ne manquent pourtant pas, y compris récemment, qui vous ont montré qu’à trop vouloir manipuler les Français, à mépriser leur sens critique et leur sens civique, à les croire naïfs à outrance, les manœuvres et tripatouillages enclenchés par votre Gouvernement à des seules fins électoralistes ou démagogiques se sont retournés contre leurs instigateurs.
Rien ne prouve que le vote des Français lors des prochaines législatives se calquera sur vos supputations.
Vous aviez donc là une réelle occasion de mener objectivement et impartialement une réforme qui aurait aidé à la réconciliation des Français avec les politiques. Tel n’a pas été votre choix. Alors, à force d’utiliser le pouvoir que les Français vous ont confié à des fins très éloignées de l’intérêt général, les risques de vous prendre les pieds dans le tapis augmentent tous les jours.
J’ai un bien trop grand respect pour la démocratie, le suffrage universel et la Constitution pour vous laisser ainsi les bafouer et mépriser le droit d’expression égal par le vote de tous les citoyens.
Pour ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, de voter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.