Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ecchymoses, hématomes, contusions, plaies, brûlures, morsures, traces de strangulation, mais aussi fractures sont les principales blessures que subissent les femmes battues et, souvent, sans oser en parler.
Viols, assassinats, discriminations, violences conjugales, aucun pays ne peut affirmer que les femmes ne sont pas victimes de violences sur son territoire. A l'échelle de la planète, au moins un tiers des femmes ont été battues, contraintes à des rapports sexuels ou maltraitées, le plus souvent par une personne de leur connaissance.
Et pourtant, il existe de nombreux textes normatifs internationaux qui interdisent de tels faits, à commencer par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, complétée par différentes conventions et déclarations, notamment la déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes de 1993.
Ce sujet, longtemps tabou, émerge enfin au grand jour un peu partout dans le monde, ce qui est une bonne chose, non seulement parce qu'il en va du respect des droits fondamentaux de la personne humaine, mais aussi parce que son coût social exorbitant est maintenant reconnu, en particulier par toutes les instances internationales, qu'il s'agisse de l'ONU, de l'UNESCO, du Conseil de l'Europe ou du Parlement européen. Il s'agit, effectivement, d'un fléau mondial.
La violence contre les femmes ne concerne pas uniquement ces dernières ; elle intéresse aussi tant les pouvoirs publics que la société en général, qui ont trop longtemps fermé les yeux sur ce phénomène.
La violence croissante contre les femmes, qu'elle soit infligée dans la vie publique ou dans la vie privée, constitue une grave violation des droits de l'homme. Il est admis que les Etats sont tenus de faire preuve de vigilance pour prévenir, instruire et réprimer les actes de violence, et garantir une protection aux victimes.
Je mentionnerai quelques chiffres.
Aujourd'hui, en France, une femme sur dix est victime de violence, qu'elle soit morale, physique ou psychologique. C'est ainsi que notre pays compte plus de 2 millions de femmes battues par leur conjoint et enregistre 250 crimes passionnels par an.
La violence conjugale toucherait en France tous les milieux, toutes les nationalités, tous les âges et toutes les cultures.
En outre, il ne faut pas oublier que ces actes de violence ont souvent lieu sous le regard des enfants. En 2000, l'ENVEFF, l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, répondant aux recommandations faites aux gouvernements lors de la Conférence mondiale sur les femmes qui s'est tenue à Pékin en 1995, a montré que c'est dans leur vie de couple que les femmes adultes subissent le plus souvent des violences psychologiques, physiques et sexuelles : les coups et autres brutalités physiques sont majoritairement le fait des conjoints.
Cette enquête a également fait apparaître que les violences revêtent de multiples formes. Au cours de sa vie, plus d'une femme sur cinq est touchée par la violence physique et/ou sexuelle dans le cadre d'une relation de couple. Les femmes sont donc davantage en danger chez elles que dans la rue ou sur leur lieu de travail !
La sphère privée est plus touchée par les violences de tous types : insultes, harcèlement moral, injures répétées, chantage affectif, pressions psychologiques, attitudes de dénigrement, menaces, violences physiques ou sexuelles.
Par ailleurs, la violence conjugale ne se limite pas aux milieux défavorisés. En effet, 10 % des femmes battues sont des cadres supérieurs ; 10, 2 % des femmes au foyer ; 9 % des employées et 8, 7 % des ouvrières. En outre, le chômage constitue un facteur aggravant de violences : plus 13, 7 %.
Les violences conjugales sont aussi liées à l'âge. Les femmes plus jeunes, celles qui ont entre vingt et vingt-quatre ans, sont deux fois plus touchées que leurs aînées.
Certes, les données chiffrées concernant la violence contre les femmes restent difficiles à cerner avec précision, tant cette notion recouvre de réalités multiples : viols, incestes, violences conjugales, harcèlement sexuel, etc. De plus, de nombreuses victimes ne déposent pas plainte, et ce pour diverses raisons : peur, pression de l'entourage, méconnaissance des procédures, crainte que leurs enfants ne leur soient enlevés.
A l'heure actuelle, nous ne disposons que d'une seule source d'information, l'ENVEFF. Or, selon les professionnels eux-mêmes, ces données sont encore en deçà de la réalité!
Aujourd'hui, il est scandaleux de constater que les violences conjugales représentent l'une des causes principales de mortalité chez les femmes. D'après le ministère de l'intérieur, en France, six femmes meurent tous les mois du fait de violences conjugales, sans parler de celles qui se suicident et qui, elles, n'entrent pas dans les statistiques. Et pourtant, l'on estime que le nombre de tentatives de suicide de la part de femmes victimes de violences conjugales est quinze fois plus important que dans l'ensemble de la population.
Il est grand temps de reconnaître que la violence, sous toutes ses formes, affecte gravement la santé des femmes, du fait des blessures provoquées ou des affections chroniques qu'elle peut engendrer. Les coups reçus ainsi que l'état de tension, de peur et d'angoisse dans lequel sont maintenues ces femmes par leur agresseur entraînent de graves conséquences et sont à l'origine de troubles très variés.
Même si certaines mesures ont été prises dans la lutte contre la violence, il reste encore beaucoup à faire. En effet, les femmes continuent d'être victimes des différentes formes de violence. « Au pays des droits de l'homme, les droits de la femme ne sont pas respectés ». Cela est inacceptable ; il nous faut parvenir à une tolérance zéro !
Comment combattre cette violence à l'égard des femmes ?
La lutte contre cette violence doit devenir une priorité sur tous les plans. Il convient donc de s'employer à la prévenir à tous les niveaux, notamment en améliorant les lois, les actions politiques, les programmes et en prévoyant des moyens financiers plus importants. Une véritable coordination et une concertation sont nécessaires entre tous les acteurs concernés.
Les ministères de la justice, de l'intérieur, de la défense et le secrétariat d'Etat aux droits des femmes, tout comme l'autorité judiciaire, la police nationale, la gendarmerie nationale, les services des droits des femmes et les structures associatives se doivent, dans leur champ de compétences respectif, se concerter et intervenir de manière prioritaire dans ce domaine.
La lutte contre la violence envers les femmes doit passer par l'information et la formation.
L'information vise à donner plus de visibilité au phénomène et à le nommer. Il s'agit également d'informer les femmes victimes de violences sur leurs droits, les recours possibles et les associations de soutien.
Il me paraît essentiel d'insister sur la prévention, qui est cruciale et qui doit commencer au collège et au lycée afin de sensibiliser les élèves à la violence à l'égard des femmes et de leur apprendre le respect de l'autre.
De la même façon, il faut renforcer la formation de tous les acteurs concernés, qu'il s'agisse des travailleurs sociaux, du personnel médical, des magistrats ou des services de police.
Je tiens, par ailleurs, à souligner le rôle très important que jouent les médecins dans ce domaine. L'ENVEFF a montré à cet égard que les victimes avaient, en premier lieu, recours au médecin, qui peut à la fois constater les violences, les aider à en parler et les orienter vers des structures d'accueil.
Il est essentiel de promouvoir la protection des victimes, de coordonner et d'améliorer leur accueil. En effet, c'est dans ces conditions, et dans ces conditions seulement, que les victimes seront plus disposées à déclarer les actes de violences perpétrés contre elles.
La prévention, le soutien juridique et l'accompagnement des victimes de violences jouent un rôle important, que la proposition de loi de Roland Courteau permet de renforcer. La prévention doit s'adresser non seulement à la victime, pour que celle-ci ose briser le mur du silence, mais aussi à l'entourage, qui pourra l'aider, ainsi qu'à l'agresseur afin qu'il prenne conscience que la violence est un crime.
J'en viens à la sanction, par laquelle passe aussi la lutte contre la violence envers les femmes.
Aujourd'hui, la sanction des infractions de violence reste très en deçà des maxima légaux prévus par la loi. En outre, la peine dépend de la gravité de la violence - par exemple, mort de la victime sans intention de la donner, mutilation, incapacité totale de travail supérieure à huit jours.
La nouvelle disposition qui nous est proposée permettra de punir plus sévèrement les violences conjugales en prévoyant une peine de trois ans d'emprisonnement et concernera les conjoints, les concubins, les pacsés ainsi que les ex-conjoints, les ex-concubins et les ex-pacsés.
Grâce à cette proposition, seront reconnues et punies les violences psychologiques répétées qui, on le sait, sont très destructrices.
Enfin, cette disposition prévoit la reconnaissance du viol entre époux, puisque la plupart des 50 000 viols qui sont commis chaque année auraient lieu au sein du couple !
Un volet très important de la proposition de loi de Roland Courteau concerne l'aide aux victimes. Il permet explicitement au juge d'ordonner l'éloignement de l'agresseur du domicile du couple et d'obliger l'auteur des violences à se soumettre à une prise en charge thérapeutique.
Il faut donc prévoir une aide tant juridictionnelle que matérielle. Je pense particulièrement à ces femmes qui sont sans travail, donc sans ressources, et qui se retrouvent du jour au lendemain à la rue parce qu'elles ont voulu dénoncer leur agresseur. C'est à partir de là qu'il faut les protéger, notamment par une prise en charge morale et matérielle.
Pour conclure, je souhaite insister sur le fait que les violences physiques et sexuelles ne sont pas seulement des actes punissables. Elles constituent une violation des droits de l'homme et ont des conséquences dramatiques pour la victime. Chacun a le droit de mener une vie sociale en toute sécurité et en toute dignité : il se révèle donc nécessaire de mener une politique prioritaire et de se mobiliser pour lutter contre la violence physique et sexuelle à l'égard des femmes et des enfants, qui en sont les principales victimes.
Cette proposition de loi vise à la fois les victimes, les auteurs de violence et les différents acteurs potentiels. Elle agit au niveau tant de la prévention que de la répression. Elle s'attache à déceler les failles ou insuffisances légales et réglementaires. II faut lutter contre les non-dits, encourager le dépôt de plainte et protéger les femmes qui s'engagent dans la voie judiciaire.
Lutter efficacement contre la violence conjugale implique des approches multidisciplinaires coordonnées qui font intervenir les services sociaux, les médecins, le système éducatif, l'appareil judiciaire et les médias. Il faut multiplier les dispositifs de soutien et les structures d'accueil, d'écoute et d'hébergement.
Aujourd'hui, selon Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, il y a urgence, car à l'absence de connaissance réelle du phénomène répond une mobilisation encore limitée de l'opinion et des pouvoirs publics. Elle déclare aussi : « Il y a une sous-estimation dramatique des chiffres de la violence eu sein des couples et, partant de là, une insuffisance de moyens. » La violence envers les femmes dans le couple, quel que soit le lien unissant les individus, est aujourd'hui un véritable fléau social. Ces comportements sont intolérables et l'on ne peut supporter qu'ils soient banalisés.
Pour conclure, je voudrais citer la phrase suivante : « On peut juger du degré de civilisation d'un peuple à la situation sociale de la femme. »
Il faut donc agir et donner tous les moyens pour bâtir un monde où les femmes seraient libérées de toute forme de violence.