Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 31 mars 2010 à 14h30
Lutte contre les discriminations — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari, auteur de la question :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre de la semaine de contrôle parlementaire, il s’agit, pour le groupe socialiste, à travers cette question orale que j’ai posée, de dresser un bilan d’étape sur la politique gouvernementale en matière de lutte contre les discriminations.

Toute inégalité de traitement fondée sur un critère illégitime est une offense aux valeurs de notre République et à notre volonté de vivre ensemble. Liberté, méritocratie, égalité des droits, solidarité nationale, laïcité, justice, respect de la dignité humaine : ces termes devraient être les balises de l’action publique dans le combat que nous avons à mener contre les discriminations. Ce combat est la condition d’un pacte républicain vivant.

Dans les relations sociales, quotidiennement, massivement, impunément, voire même inconsciemment, les pratiques discriminatoires fragilisent ce pacte. À cet égard, la responsabilité du Gouvernement est de les dénoncer et de les combattre.

Le grand débat sur l’identité nationale a-t-il permis de contribuer à ce « vivre-ensemble » ? À l’évidence, non. Pendant plusieurs semaines, lors de débats organisés par les préfectures, c’est-à-dire par l’État lui-même, nous avons assisté, médusés, à un concours de propos inqualifiables. Ce débat, loin de promouvoir les valeurs fondamentales de la communauté nationale, les a piétinées ; loin de lutter contre les tentations de repli identitaires, il les a encouragées. Et nous n’avons même pas, dans l’opposition, la satisfaction de nous réjouir qu’il vous ait électoralement desservi, tant il a donné une nouvelle vigueur médiatique aux préjugés et aux stéréotypes racistes.

Les personnes issues de l’immigration qui vivent sur le territoire de la République, qu’elles soient étrangères ou françaises, en sont les premières victimes. Ce résultat est d’autant plus condamnable qu’un apparent consensus politique avait émergé ces dernières années sur la nécessité de combattre les pratiques et les phénomènes discriminatoires.

Monsieur le secrétaire d’État, ce sont en premier lieu ces phénomènes, aussi répandus et banalisés que corrosifs, qui alimentent le repli identitaire. Tous les acteurs sociaux en sont désormais conscients, à l’exception regrettable du pouvoir exécutif. Beaucoup œuvrent quotidiennement pour faire avancer ce combat.

Les initiatives, au sein de certaines entreprises comme dans de très nombreuses collectivités locales, se sont multipliées : Toulouse a lancé un observatoire des discriminations ; Paris et la HALDE, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, ont signé un partenariat en vue de mener des actions d’information et de sensibilisation ; Lille a fait de même ; le conseil régional d’Île-de-France a signé une convention portant sur le recrutement et la gestion des personnels du conseil régional et a décidé la création d’un observatoire des bonnes pratiques.

Le parti socialiste a, dans ses engagements de campagne pour les élections régionales, adopté une charte prévoyant la création de missions régionales de lutte contre les discriminations, chargées de mettre en œuvre des engagements concrets.

Le Président de la République lui-même ne manque pas une occasion de rappeler l’importance de la lutte contre les discriminations, son attachement à la méritocratie et à l’égalité des chances. Mais, à l’abri des grands discours élyséens, les pratiques discriminatoires prospèrent, en l’absence manifeste de volontarisme politique ; le droit existant peine à être appliqué et les décisions du législateur ne sont pas suivies d’effet.

Dix-huit critères de discrimination sont prohibés par le code pénal. Ces critères sont de natures différentes, mais ils ont une racine commune : la méfiance à l’égard de ce qui est perçu comme différent. Cette méfiance, pétrie de préjugés et nourrie de beaucoup d’ignorance, aboutit à reléguer, sinon à exclure de la société des segments de plus en plus importants.

Il s’agit, comme on vient de le dire lors du débat sur les 35 heures, de nos seniors qui, grâce à un système de soins encore performant, vivent mieux et plus longtemps, mais sont évincés du marché de l’emploi.

Il s’agit des femmes qui, grâce à un barème fiscal familial adapté et aux structures d’accueil de la petite enfance, sont nombreuses sur le marché du travail, mais souffrent d’une évolution de carrière moins favorable que les hommes, sans même parler du niveau de leur salaire.

Surtout, il s’agit de tous ceux, Français ou non, qui, issus de la dernière grande vague d’immigration, ont du mal à trouver aussi bien un travail qu’un logement.

L’enquête « trajectoires et origines », ou TEO, publiée hier, menée par l’Institut national d’études démographiques, l’INED, et l’INSEE, mesure les discriminations en lien avec l’origine. Ce fait, déjà vérifié à l’occasion de différents « testings », est à présent établi par un cadre méthodologique rigoureux et riche d’enseignements. Il en ressort notamment qu’une personne issue de l’immigration titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur se sent plus discriminée qu’une personne non diplômée. On peut arguer, non sans raison, que l’instruction mène à une conscience plus aiguë des discriminations. On peut surtout en déduire que la République peine à honorer sa promesse méritocratique envers les filles et fils d’immigrés, français ou étrangers, en raison de leur origine et de la couleur de leur peau.

Cette injustice banalisée, quotidienne et impunie ne constitue pas seulement une blessure individuelle : elle est une offense à la méritocratie républicaine dont s’enorgueillit la France. Aucune pratique discriminatoire n’est anodine ; parce qu’elle est une remise en cause de la personne dans sa dignité, ses conséquences immédiates et de plus long terme sont mortifères aussi bien pour l’individu que pour la société dans son ensemble.

Je le rappelle souvent, les discriminations aboutissent à des morts sociales. On dit à nos jeunes : « Travaillez, faites des études, c’est votre sésame ! ». Or, à diplôme équivalent, les jeunes issus de l’immigration, tout comme les ultra-marins, rencontrent beaucoup plus de difficultés que les autres dans l’accès à l’emploi, sans parler des difficultés d’accès au logement.

Le pacte républicain est donc pour beaucoup un « miroir aux alouettes » ! Les processus discriminatoires aboutissent à priver de son sens la notion d’égalité et à réduire le pacte républicain à une coquille vide, laissant place à des demandes communautaires inacceptables.

C’est pourquoi je considère la lutte contre les discriminations comme un axe essentiel d’action au service de la justice sociale et de la cohésion nationale. Or, à ce jour, le bilan du Gouvernement est négatif.

Certes, monsieur le secrétaire d’État, plusieurs de vos collègues du Gouvernement sont issus de l’immigration. Loin de moi l’idée de contester la portée symbolique de leur nomination, mais je déplore que cette diversité gouvernementale fasse office de solde de tout compte et serve de paravent à des propos inadmissibles, à des calomnies de caniveau !

Quand les ministres, les élus et les candidats de la majorité persistent à faire l’équation entre Noirs, Arabes et délinquants multirécidivistes, on est en droit de s’interroger sur la considération que vous portez au modèle républicain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion