Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 31 mars 2010 à 14h30
Lutte contre les discriminations — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

… elle a tenu avec efficacité son rôle d’expertise juridique. Et nous sommes attachés à sa pérennité.

Je ne comprends pas que l’on puisse reprocher à la HALDE de tenir son rôle quand nous-mêmes, législateur, ne parvenons pas à contrôler l’application de nos votes !

Nous avons ensemble, mes chers collègues, de part et d’autre de l’hémicycle, voté trois dispositifs de lutte contre les discriminations : le CV anonyme, un mécanisme d’aide aux vieux travailleurs migrants et la suppression des emplois liés à une condition de nationalité. Or aucun de ces votes n’a été suivi d’effet. Pourtant, je suis intimement convaincue que la lutte contre les discriminations ne peut se cantonner à de grands discours généreux et qu’il vaut mieux, en la matière, des décisions limitées mais concrètes et effectives.

Je regrette le temps et l’énergie perdus dans les débats d’évitement récurrents sur les statistiques ethniques et les velléités de discriminations positives. Nous devons changer nos pratiques, pas nos principes : nos principes sont bons !

La lutte contre les discriminations doit s’appliquer à faire de l’ingénierie sociale. C’est ainsi, notamment, que s’est exprimée la volonté du législateur avec le CV anonyme. Sa mise en place aurait permis, au moins à l’étape de la sélection des candidatures, de gommer les différences tant raciales que sociales, ne laissant la place qu’à des données objectives d’expérience, de compétences et de formation.

Notre tradition de méritocratie républicaine impose l’anonymat aux concours et aux examens écrits. Il faut aujourd’hui étendre ce principe au CV, l’anonymat au moment de la sélection des CV permettant au recruteur d’intervenir en toute objectivité, en fonction des seuls critères de qualification, avant, bien entendu, qu’un entretien donne au candidat l’occasion de faire valoir sa personnalité. Cet outil aurait une portée pédagogique évidente et permettrait de lutter contre le conformisme des recruteurs et l’autocensure des candidats à l’emploi.

Évidemment, la lutte contre les discriminations ne saurait se réduire à la promotion du CV anonyme. Je n’ai pas la naïveté de croire qu’il s’agirait d’une panacée ; il ne s’agit que d’un outil parmi d’autres.

Malheureusement, après son adoption dans le cadre de la loi pour l’égalité des chances, le Gouvernement a renoncé à adopter le décret d’application. À cet égard, j’ai été très surprise d’entendre, en janvier dernier, face à un panel de Français réunis à l’occasion d’une émission de télévision, le Président de la République se flatter d’avoir fait adopter ce dispositif !

Monsieur le secrétaire d'État, voici donc ma première question : pourquoi cette disposition législative, pourtant revendiquée face aux Français par le Président la République, n’est-elle toujours pas appliquée ?

La deuxième mesure votée par le Parlement et qui n’est toujours pas entrée en vigueur concerne les vieux travailleurs migrants. Venus pour la plupart du Maghreb pour travailler en France dans les années 1960 et 1970, ceux que l’on appelle aujourd’hui les « chibanis » avaient l’intention de retourner dans leur pays une fois leur labeur terminé.

Les chibanis sont des hommes vieux, seuls, pauvres, souvent analphabètes. Leur quotidien tourne autour du foyer SONACOTRA, des parties de dominos et des maigres sommes qu’ils envoient à leur famille restée au pays et qui, à leurs yeux, représentent la légitimité même de leur existence. Aujourd’hui, ils sont de facto assignés à résidence.

En effet, après avoir connu une vie professionnelle faite de contrats courts, souvent non déclarés et mal rémunérés, dans le bâtiment ou l’agriculture, ils ne peuvent prétendre aujourd’hui à une pension décente : ils perçoivent en moyenne 150 euros de retraite contributive, auxquels s’ajoute le minimum vieillesse, soit, au total, 620 euros mensuels. Toutefois, pour bénéficier du minimum vieillesse, il leur faut résider en France de façon « stable et régulière »…

Les chibanis se trouvent ainsi confrontés à un véritable dilemme : rester en France afin de pouvoir envoyer un petit pécule à la famille restée au pays, ou y rentrer, avec leur minuscule retraite pour seule ressource. Aussi font-ils le plus souvent le choix de demeurer en France, dans des conditions d’extrême précarité et de très grande solitude.

À l’occasion de la discussion du projet de loi instituant le droit au logement opposable, ou DALO, le Sénat, en plein accord avec M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, a voté en faveur de la création d’un dispositif tout à fait innovant qui permet à cette catégorie de retraités pauvres de retourner chez eux pour des périodes longues tout en préservant leurs ressources et leurs droits.

Une telle aide a une portée effective forte, mais elle est aussi symbolique, car ce vote intervenait deux ans après l’adoption de l’article sur « l’aspect positif de la colonisation ». Compte tenu de l’effet déplorable qu’a produit cette formule sur les populations immigrées venues de l’ancien empire français, il était temps que la République fasse taire ses atavismes coloniaux !

Le nouveau dispositif aurait pu y contribuer, en reconnaissant que ces immigrés issus des anciennes colonies, qui ont participé à la reconstruction et à la croissance économique de la France, ont droit, comme tout individu, à une retraite décente.

L’unanimité qui s’est créée autour de cette question est à l’honneur du Sénat. Apporter une réponse à la situation inacceptable des chibanis était affaire de dignité, pour eux, certes, mais aussi pour la République.

D’où ma deuxième question, monsieur le secrétaire d'État : pourquoi, en dépit de ce vote unanime, le Gouvernement n’a-t-il pas adopté le décret d’application nécessaire ?

La troisième disposition votée par le Sénat concernait les « emplois fermés ». Cette expression désigne les professions libérales ou privées dont l’exercice est soumis à la double condition de diplôme et de nationalité. Quelque 600 000 emplois se trouvent concernés. Il s’agit d’une législation obsolète, connotée et moralement condamnable. À formation et diplôme identiques, un ressortissant étranger ne dispose pas des mêmes droits selon qu’il est issu de l’Union européenne ou d’un autre pays !

La proposition de loi que j’ai présentée visait à supprimer la condition de nationalité. Elle a été votée à l’unanimité des groupes politiques du Sénat en février 2009, mais elle n’a pas encore fait l’objet d’un examen à l’Assemblée nationale. Il faut néanmoins noter que le Gouvernement a intégré une partie des dispositions de ce texte dans la loi dite « Hôpital, patients, santé et territoires ».

Ainsi, depuis août 2009, les médecins et les personnels de santé dont les métiers étaient visés par la clause de nationalité peuvent bénéficier d’un statut identique à celui de leurs collègues français, à condition toutefois, monsieur le secrétaire d'État, que soient obtenus des engagements en ce qui concerne le changement de situation administrative des diplômés concernés.

Enfin, je ne peux pas ne pas faire le lien entre la criminalisation de l’immigration que le Gouvernement met en place de façon systématique et les discriminations dont souffrent nos concitoyens.

En ce moment même, le conseil des ministres examine un nouveau texte – le sixième depuis 2002 ! – tendant à durcir les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Et cette fois encore, ces derniers, uniquement parce qu’ils sont étrangers, sont traités comme des criminels. Cela devient du harcèlement législatif !

Enfin, monsieur le secrétaire d'État, j’ai cru comprendre que le Gouvernement souhaitait, pour resserrer les rangs de sa majorité, revenir à ses « fondamentaux » en faisant adopter au plus vite une loi « anti-burqa ».

Il est important de rappeler que le port de cet accoutrement ne constitue pas une prescription coranique. La burqa ne peut donc être qualifiée de « voile intégral islamique », comme le titrait hier encore un grand journal du soir. Cette qualification erronée, de plus en plus répandue, contribue, là encore, à stigmatiser une confession et toute une partie de la population française.

Nous, socialistes, condamnons avec fermeté le port du voile intégral, que nous jugeons bien entendu incompatible avec les valeurs de la République. Nous estimons également que la burqa peut être de nature à troubler l’ordre public. Néanmoins, en la matière, il nous semble nécessaire de privilégier des voies de l’action publique pour lutter contre cette pratique sectaire : la pédagogie, oui, la démagogie, non ! Aussi, nous nous opposerons à une loi de circonstance, qui risquerait fort de ne contenir que des dispositifs juridiquement contestables, inadaptés ou inapplicables.

Mes chers collègues, j’attire votre attention sur ce point : l’intégration ne passera pas par une nouvelle stigmatisation infligée à une population qui, au quotidien, souffre déjà de racisme et de discrimination.

La France que nous aimons est une République formée de citoyens égaux, sans distinction d’origine, de sexe, ou de religion, comme l’énonce notre Constitution. La France que nous aimons est celle qui, pendant des décennies, est parvenue à relever le défi politique consistant à sublimer les identités particulières pour forger une identité collective puissante, tournée vers l’émancipation, l’égalité, la méritocratie et la construction commune d’un avenir.

Les déclarations du Gouvernement, les décisions qu’il prend, mais aussi celles qu’il ne prend pas, fragilisent jour après jour cette France-là et dessinent une société fracturée, marquée par l’inégalité, l’injustice et l’exclusion. Face à cette démission républicaine de la majorité politique, les socialistes resteront mobilisés !

Par des mesures simples, les parlementaires de toutes tendances ont voulu s’attaquer aux pratiques discriminatoires. À travers notre vote, nous avons adressé un message d’espoir aux populations fragilisées. Alors, monsieur le secrétaire d'État, pourquoi ces trois votes n’ont-ils pas été suivis d’effets ? Oui, pourquoi ?

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