Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les points évoqués par notre collègue Bariza Khiari. Je partage en grande partie son point de vue. Si le Gouvernement veut être crédible en matière de lutte contre les discriminations, il doit passer des paroles aux actes et prendre les mesures réglementaires attendues depuis trop longtemps.
Ainsi, voilà presque quatre ans que, sur l’initiative de Nicolas About, le CV anonyme a été introduit dans la loi. Si tout le monde comprend que, en raison du caractère novateur de cette mesure, sa mise en place demande un peu de temps, personne ne peut croire en revanche, après quatre ans de réflexions et de négociations sans résultat, que seule la complexité explique cet échec.
Monsieur le secrétaire d'État, si le Gouvernement veut convaincre, il lui faut montrer plus de volonté et de détermination, ce dont il n’a pas manqué sur d’autres sujets.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite que nous profitions de ce débat pour nous interroger sur l’évolution de la langue et des mots que nous utilisons lorsque nous abordons le problème des discriminations.
En réalité, quand nous évoquons ce sujet, nous ne faisons que nous pencher sur l’un des plus vieux problèmes des sociétés humaines, celui de l’injustice et de l’inégalité. Les esclaves romains parlaient d’affranchissement, les révolutionnaires français exigeaient l’égalité des droits, nous, nous parlons de discriminations, mais il s’agit du même sujet. Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Mais la question est surtout de savoir quels présupposés et quelle conception de la société véhicule souterrainement ce nouveau vocabulaire.
La Révolution française nous a légué une lourde promesse : celle de pouvoir, grâce à la politique, abolir l’injustice et les inégalités sociales. Jusqu’à une période récente, ce combat pour l’égalité était un combat collectif, porté par l’idée de progrès : nous allions vers une société plus juste et plus équitable. Depuis les années 1970, cette confiance en l’avenir s’est fissurée : les inégalités et le sentiment d’injustice s’amplifient de nouveau. La promesse n’est pas tenue. Qui est responsable de ce recul ?
C’est ici, je crois, qu’intervient le basculement dans le vocabulaire de la discrimination : celui-ci est exactement contemporain du moment où est apparue une faille dans l’idée de progrès. Sur quels présupposés se fonde une analyse des injustices sociales en termes de discriminations ? Parler de discrimination, c’est parler de la volonté de traiter différemment, de traiter moins bien, d’exclure. Ce que sous-entend ce champ lexical, c’est que, si des injustices existent, elles relèvent de la responsabilité de ceux qui maltraitent ou qui excluent.
On perçoit là le danger politique et l’erreur intellectuelle qu’il y a à penser les inégalités en termes de discriminations. Car nous tendons maintenant à considérer que ce problème ancien des injustices, qu’aucune société humaine n’a véritablement réussi à résoudre, est dû à certaines personnes qui discriminent, c’est-à-dire qui maltraitent et excluent. Quelle régression !
Le combat pour l’égalité, hérité des Lumières, reposait sur l’idée d’un projet collectif, sur un espoir d’amélioration commune qui animait l’ensemble de la société. Le vocabulaire de la lutte contre les discriminations renvoie au contraire chaque individu à ses origines et généralise la suspicion envers les autres. Il fait l’impasse sur les aspects collectifs pour tout ramener à l’individu. Il réduit les problèmes généraux à des problèmes de personne.
Je prendrai l’exemple de l’accès au logement. Différentes enquêtes ont montré que, à niveau de ressources égal, il était plus difficile pour une personne dont le nom avait une consonance étrangère de devenir locataire. C’est donc la preuve que des discriminations existent dans l’accès au logement.
Cela étant, quel est le véritable problème en matière de logement ? C’est évidemment le fait que le nombre global de logements est insuffisant, que la demande est plus forte que l’offre. On voit donc bien le caractère à la fois limité et presque nuisible de l’approche du problème du logement en termes de lutte contre les discriminations. Le combat pour l’égalité d’accès au logement conduit à insister sur le vrai problème, c'est-à-dire le manque global de logements, alors que la lutte contre les discriminations donne à croire que, si certaines personnes n’ont pas d’appartement, c’est parce que d’autres refusent de leur en louer un.
D’un côté, on insiste sur les problèmes collectifs, on incite chacun à prendre part à la résolution des difficultés de l’ensemble de la société. De l’autre, on appuie sur ce qui divise, on simplifie à outrance des problèmes collectifs pour les réduire à des cas personnels.
Je prendrai un second exemple. Le droit européen ne comporte pas de principe général « à travail égal, salaire égal » valable pour tous, mais il énumère les motifs pour lesquels l’employeur n’a pas le droit de traiter moins bien un salarié. Parmi ces motifs, on trouve l’origine, la race, le sexe ou encore l’orientation sexuelle. On voit bien que, dans ce cas, le droit pensé en termes de lutte contre les discriminations, et non de combat pour l’égalité, entraîne le repli sur soi dans une posture victimaire : pour protester contre une inégalité salariale, un employé ne pourra pas faire valoir un principe général applicable à tous, mais devra montrer que l’employeur a voulu délibérément le traiter différemment en raison de ses origines ou de son orientation sexuelle. Comment peut-on maintenir la cohésion sociale dans notre pays si le droit même cantonne les citoyens à leurs origines et les incite à se diviser ?
Dans ce domaine, monsieur le secrétaire d'État, il est vital que le gouvernement français réagisse à Bruxelles pour mettre fin à la propagation d’un droit communautariste européen dans les législations nationales, donc dans la nôtre. Voilà maintenant deux ans que la commission des affaires sociales a adopté, à l’unanimité, une résolution demandant au Gouvernement de modifier la sixième directive anti-discrimination, en cours de négociation. On sait que les représentants de la France à Bruxelles n’en ont tenu aucun compte. La directive qu’elle vise est pourtant dangereuse et la France gagnerait à rejoindre l’Allemagne dans son opposition ferme à ce texte.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais vous soumettre. Si je devais les résumer, je le ferais en ces termes : soyons fidèles à l’héritage des Lumières, efforçons-nous de bâtir une société plus juste en rassemblant les citoyens ; privilégions par conséquent le combat pour l’égalité par rapport à la lutte contre les discriminations.