Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 31 mars 2010 à 14h30
Lutte contre les discriminations — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si j’ai souhaité m’inscrire dans ce débat ouvert par notre collègue Bariza Khiari, c’est pour interpeller le Gouvernement sur l’état d’avancement, sur le plan législatif, de la politique en faveur de l’égalité des chances des Français d’outre-mer, laquelle n’a « émergé » que tout récemment avec la mise en place d’une délégation interministérielle qui lui est dédiée.

Dans un contexte où la notion d’identité nationale est totalement dévoyée, la situation des ultramarins apporte un éclairage particulier sur les discriminations liées aux origines ethniques ou territoriales.

En effet, les discriminations subies par nos compatriotes d’outre-mer ne peuvent être rattachées aux barrières linguistiques, culturelles, religieuses, ou de nationalité, ces problématiques auxquelles on souhaiterait réduire, parfois de façon caricaturale, l’origine des inégalités.

Nous parlons donc bien de Français de générations multiséculaires, vivant des situations en partie similaires à celles que subissent des personnes étrangères ou issues de l’immigration, et ce, très clairement, en raison de leur morphotype ou de leur région d’origine, notamment pour ce qui concerne l’accès à l’emploi, au logement, ou même aux soins. C’est un peu comme si la carte Vitale n’offrait pas les mêmes garanties sur l’ensemble du territoire français…

D’autres discriminations sont « surdéterminées » par les situations propres aux régions et collectivités d’outre-mer au regard de la métropole : ainsi, l’éloignement, les différences de niveau de vie, le coût de la mobilité, la fracture numérique, les difficultés d’accès aux études supérieures créent des inégalités bien insuffisamment corrigées par les politiques publiques.

En 2007, seuls 18 % des étudiants boursiers guyanais avaient accès à un logement du CROUS, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires. L’an dernier, les bons de passage, qui permettent d’attribuer des billets d’avion à ces étudiants, étaient brutalement supprimés, sans préparation des familles concernées et sans une mise en place, au préalable, des nouveaux dispositifs d’aide à la mobilité ou de continuité territoriale, lesquels sont d’ailleurs loin de bénéficier à toutes les personnes concernées.

Par ailleurs, certaines de ces discriminations sont légales. Elles résultent du fonctionnement même des institutions et des organisations de la République : elles découlent de l’application de principes structurels, réputés égalitaires, mais de fait discriminants.

En effet, ces derniers ne tiennent pas compte des réalités ou des handicaps de départ de certains. Il en est ainsi des modalités de sélection pour l’entrée dans les écoles d’excellence, des procédures d’accès et de déroulement des concours, y compris dans la fonction publique, de certaines réglementations défavorables à une réelle égalité des chances dans l’accès aux différentes ressources nationales, à l’instar des dispositifs inapplicables outre-mer ou tardivement adaptés à cette partie du territoire français.

Depuis deux ou trois ans, de telles réalités sont reconnues par les pouvoirs publics.

Il faut saluer, à ce titre, le travail de la délégation interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer. Elle a permis de mettre en évidence la multiplicité des inégalités et des discriminations qui se conjuguent dans le parcours des ultramarins, depuis leur territoire d’origine jusque dans leur vie quotidienne en métropole.

En 2009, la mission commune d’information du Sénat sur la situation des départements d’outre-mer et les états généraux de l’outre-mer ont également porté un éclairage important dans plusieurs domaines.

Cependant, au-delà des constats, une analyse plus attentive montre que les dispositifs récemment mis en place ou les mesures annoncées par le Président de la République lors du conseil interministériel de l’outre-mer, le CIOM, qui s’est tenu au mois de novembre dernier, ressemblent plus à des tentatives éparses de limiter, ici et là, les effets les plus grossiers de telles discriminations ou les injustices systémiques les plus flagrantes, qu’à l’élaboration d’une réelle politique volontariste visant à corriger celles-ci à la base.

Par exemple, l’interdiction du refus d’une caution au motif que celle-ci réside outre-mer constitue une avancée juridique importante ; mais quelle en est l’efficacité réelle lorsque les freins à l’accès au logement sont ailleurs et que les discriminations fondées sur l’origine se poursuivent de façon détournée ? Dans le domaine du logement, toujours, qu’attendre de la possibilité offerte à un ultramarin s’apprêtant à déménager de déposer un dossier depuis sa région d’origine lorsque le fichage des origines ethno-raciales ou territoriales constitue l’outil même de la discrimination pour les bailleurs ?

En outre, nombre de dispositifs, au demeurant intéressants, relèvent de partenariats, de conventions et autres chartes de la diversité, telles que la convention signée entre le Centre national des œuvres universitaires et scolaires, le CNOUS, et les diverses régions et collectivités prises séparément, ou les chartes signées par un collectif de grandes entreprises, trois compagnies aériennes et quelques grandes écoles. Tous ces engagements, pris sur les bases de la bonne volonté des uns ou des autres, apparaissent comme de « beaux gestes » là où il faudrait l’affirmation du droit.

On met en place, sous des formes non coercitives, sans attribuer de moyens supplémentaires pour sanctionner les délits, des démarches qui laissent en l’état les structures de la société et ne changent rien au fonctionnement même des institutions, pourtant censées garantir l’égalité.

C’est pourquoi aujourd’hui, sans méconnaître l’intérêt des actions menées tous azimuts par la délégation interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, j’estime vital pour le pacte républicain que le droit prenne – ou reprenne –toute sa place dans la lutte contre les discriminations, qu’elles soient directes ou indirectes.

On sait combien il est difficile de prouver une discrimination directe, même lorsque l’affaire est portée par une association reconnue. On sait aussi à quel point les parquets peinent à caractériser les faits de discrimination, tant il est facile pour leurs auteurs de biaiser.

Monsieur le secrétaire d'État, ma question sera double.

D'une part, dans le cadre du processus d’égalisation des chances pour les ultramarins, quand passera-t-on du stade des conventions, des chartes et autres gestes « charitables » à un réel renouvellement des politiques publiques et du fonctionnement des organisations en matière d’éducation, de logement, de déroulement de carrière, de continuité territoriale, de diffusion culturelle ?

D'autre part, concernant les discriminations directes, quels moyens supplémentaires le Gouvernement compte-t-il donner non seulement aux instances compétentes, telles la HALDE, mais aussi et surtout aux parquets, pour faire évoluer la prise en charge des dossiers des plaignants, afin que la loi garantisse enfin véritablement le respect du pacte républicain ?

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