Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier sincèrement ma collègue Bariza Khiari d’avoir une fois de plus remis l’ouvrage sur le métier en interpellant notre assemblée sur la lutte contre les discriminations.
En la matière, les piqûres de rappel sont sans cesse nécessaires, et ce pour une double raison : d’une part, comme les intervenants l’ont rappelé, l’exclusion prend des formes à la fois variées et changeantes ; d’autre part, l’égalité, pourtant inscrite au fronton de nos mairies, n’est pas naturelle.
L’égalité est le fruit d’un travail quotidien, difficile, toujours enthousiasmant, jamais satisfaisant, surtout lorsque des discours politiques – pour certains tout à fait respectables en apparence – s’appliquent à dresser différentes catégories de population les unes contre les autres, en espérant en tirer un quelconque avantage électoral.
Comme mes collègues, je dois dire que j’ai été profondément choqué par le débat sur l’identité nationale lancé par le Gouvernement sur l’initiative de M. Besson. En quelques mois, sous prétexte de libérer les paroles, j’ai vu des actions pour l’égalité, réalisées dans la discrétion par des travailleurs sociaux, des militants associatifs, des élus, des pères et des mères, subitement et considérablement mises à mal. C’est un véritable gâchis !
Comment le Gouvernement pouvait-il ignorer que, compte tenu de l’ampleur de la crise économique et sociale actuelle, un tel débat ne ferait qu’attiser des réflexes bien connus de peur et de rejet de l’autre et qu’exacerber le sentiment d’injustice ainsi que la tendance à l’autodiscrimination ? Je ne comprends toujours pas qu’il ait pris la responsabilité de mettre de l’huile sur le feu, de jouer à l’apprenti sorcier dans un contexte humain, économique et social que nul n’est vraiment capable de maîtriser.
Selon moi, le Gouvernement a présumé de ses forces, alors même que l’histoire regorge de nombreux exemples ayant démontré le lien connexe entre crise économique, désespoir social et rejet de l’autre.
Le cocktail associant désindustrialisation massive, exclusion, précarité et débat sur l’identité nationale a abouti à ce que, aux dernières élections régionales, le Front national réapparaisse, fortement même dans certains quartiers, devançant parfois la majorité présidentielle actuelle.
Au regard des multiples discriminations constatées ou, pis encore, de l’ampleur prise par le sentiment de ne plus faire partie de la communauté nationale, nous avons connu une année décidément très noire. Les signaux d’alerte sont en effet très inquiétants.
Les dimanches 14 et 21 mars derniers, 70 % des habitants des quartiers dits « difficiles » – 80 % au premier tour – ne se sont pas déplacés pour voter.
Issues de la France « visible », comme de la France « de souche » chère à M. Longuet, ces populations ont exprimé par un silence assourdissant un message d’une violence rare. En agissant ainsi et aussi massivement, elles se sont volontairement placées hors de la République, hors de la communauté nationale et hors de la société, en actant, d’une certaine façon, le fait que cette société ne voulait pas d’elles.
À tous ces habitants, que je côtoie souvent du fait de mes responsabilités de maire d’une commune de 15 000 habitants comportant plusieurs quartiers sensibles, et en particulier aux plus jeunes, j’aimerais pouvoir dire ces mots d’André Gide : « Il y a d’admirables possibilités dans chaque être. Persuade-toi de ta force et de ta jeunesse. Sache te redire sans cesse : “Il ne tient qu’à moi”. »
Mais je ne veux pas leur mentir. La plupart des jeunes gens qui viennent souvent en mairie demander de l’aide ont tout fait, parfois tout au long de leur existence, pour s’intégrer au mieux dans la société : ils ont suivi des études, de multiples formations ; ils ont pris des responsabilités au sein de la vie associative et culturelle, et s’y sont intégrés en faisant montre d’un comportement exemplaire. Ils veulent de toutes leurs forces accéder à une vie normale et paisible, payer des impôts, tout simplement, ou accéder à un premier emploi. Ces choses, toutes simples pour nous, représentent un véritable chemin de croix pour eux !
Bien sûr, les médias trouvent toujours des exemples qui montrent la belle réussite de telle ou telle personne originaire d’un quartier difficile. Mais parce que ceux-là restent exceptionnels, ils renvoient les autres jeunes à leurs propres échecs, en les rendant responsables de tout.
Des initiatives ont été proposées. Bariza Khiari et d’autres orateurs ont fait référence au CV anonyme, qui peut lever des barrières. Faut-il généraliser cette formule ? Voilà une véritable question, que nous devons mettre au cœur de nos débats.
Cependant, le moyen le plus efficace pour briser de telles barrières est, me semble-t-il, de proposer un travail aux jeunes, très vite. Il faut intervenir massivement dans les quartiers. Il s’agit non pas de « travailler plus pour gagner plus », mais tout simplement de travailler, juste de travailler. Obtenir ce fameux premier emploi, c’est avoir la possibilité de se stabiliser, de rebondir et, parfois, de commencer une vie normale, comme chacune et chacun d’entre nous.
À mon sens, le dispositif des zones franches urbaines est trop peu efficace pour créer la dynamique nécessaire. En fait, il crée plutôt des effets d’aubaine.