Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, la tâche des rapporteurs s'est révélée délicate, compte tenu des passions que déclenche ce texte et de la diversité, voire du caractère contradictoire des données et des chiffres livrés par les différentes parties concernées.
Je me suis donc efforcé de procéder à une analyse équilibrée du sujet et d'évaluer l'impact du protocole de Londres sur l'usage de la langue française et sur la recherche publique de notre pays. J'ai laissé à la commission des affaires étrangères le soin d'évoquer les aspects institutionnels du texte et à la commission des affaires économiques celui d'en décrire les conséquences économiques et industrielles.
J'essaierai de ne pas répéter ce qui vient d'être excellemment exposé. Néanmoins, il me semble important de décrire précisément les différents cas de figure qui existeront à l'issue de la ratification du Protocole. Il n'en existe pas deux, comme on l'entend généralement, mais bien trois, puisque les déposants devront tenir également compte des États qui sont parties à la convention de Munich mais non au protocole de Londres.
Premièrement, les États membres au protocole de Londres ayant pour langue officielle l'une des trois langues officielles de l'OEB - la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse, la Belgique, le Luxembourg, le Lichtenstein et Monaco - renoncent aux exigences de traduction prévues au paragraphe 1 de l'article 65 de la convention de Munich, qui les autorise à conditionner la validité d'un brevet européen sur leur territoire à l'existence d'une traduction intégrale - revendications et description - dans leur langue officielle. Toutefois, les revendications devront toujours être disponibles dans les trois langues officielles de l'OEB.
Deuxièmement, les États parties au protocole de Londres n'ayant pas pour langue officielle l'une des trois langues officielles de l'OEB renoncent également aux exigences de traduction prévues à l'article 65. Ils doivent donc désigner l'une des trois langues officielles de l'OEB comme langue valable sur leur territoire. Néanmoins, ils conservent le droit d'exiger une traduction des seules revendications dans l'une de leurs propres langues officielles si le brevet européen n'a pas été délivré ou traduit dans la langue officielle de l'OEB qu'ils ont prescrite.
Troisièmement, les États qui sont parties à la convention de Munich mais qui ne le sont pas à l'accord de Londres peuvent continuer à bénéficier des dispositions de l'article 65, donc exiger une traduction intégrale dans leur langue officielle.
J'en viens maintenant aux enjeux du protocole de Londres en termes de recherche publique et de diversité linguistique.
Certains des professionnels concernés - j'ai souhaité les entendre - continuent à s'inquiéter des conséquences de la ratification par la France du protocole de Londres. Ils font notamment valoir que, pour la première fois en France, des textes rédigés dans une langue autre que le français, « langue de la République », auraient une valeur juridique. Le protocole conduirait de facto à réduire l'usage de notre langue, puisque l'absence d'obligation de traduction en français des brevets augmenterait considérablement le volume de brevets diffusés en langue anglaise en France. Le risque existerait dès lors d'une perte de fonctionnalité de la langue française dans un domaine stratégique, celui de l'innovation scientifique et technique.
Cet accord, disent-ils, pourrait être préjudiciable aux déposants qui n'ont pas tous les moyens d'effectuer une veille technologique en anglais. La diminution du coût d'accès au brevet sera d'une ampleur incertaine et dépendra notamment du nombre d'États ayant ratifié l'accord de Londres.
De plus, les déposants français resteront contraints d'effectuer les traductions intégrales de leur brevet : soit en anglais et en allemand, s'ils souhaitent que leur invention soit protégée dans des États n'ayant pas pour langue officielle l'une des trois langues de l'OEB et ayant opté pour l'une de ces langues, soit dans les autres langues des États parties à la convention de Munich mais non au protocole de Londres, afin que leur invention soit protégée dans ces États.
Deux arguments peuvent être opposés à ces détracteurs.
En premier lieu, l'hypothèque de la constitutionnalité de l'accord a été levée. En effet, d'une part, dans son avis du 21 septembre 2000, le Conseil d'État a estimé que la France pouvait signer l'accord sans révision préalable de la Constitution ; d'autre part, dans sa décision du 28 septembre 2006, le Conseil constitutionnel a estimé que l'accord ne méconnaissait pas la disposition selon laquelle « la langue de la République est le français ».
En second lieu, il y a lieu de nuancer les inquiétudes. Il faut relativiser la réalité de l'usage de la langue française dans le cadre juridique actuel. En pratique, la convention de Munich s'est traduite par une augmentation continue des dépôts en anglais. Par ailleurs, tous les interlocuteurs me l'ont confirmé, la veille économique et technologique s'effectue le plus souvent en anglais, dans la mesure où les traductions interviennent très tardivement, c'est-à-dire dans un délai moyen de cinq ans.
On peut penser que le protocole de Londres viendra confirmer le statut de la langue française. Le protocole de Londres consacre le français comme l'une des trois langues officielles de l'Office européen des Brevets. En outre, le brevet européen pourra toujours être intégralement délivré par l'OEB en langue française et les revendications devront toujours être disponibles dans les trois langues officielles.
L'impact du protocole de Londres sur l'usage de la langue française doit être nuancé. Cet accord ne conduira pas à l'abandon du français comme langue de premier dépôt par les entreprises françaises puisque, aujourd'hui, 90 % des déposants français utilisent la voie nationale pour leur premier dépôt et qu'environ 60 % de ces demandes nationales font ensuite l'objet d'une extension européenne.
L'une des raisons réside dans un coût inférieur, d'autant que l'INPI facture à un coût réduit le rapport de recherches des antériorités tant aux petites et moyennes entreprises qu'aux laboratoires publics de recherche. On observe cependant une diminution régulière de la proportion d'inventions d'origine française dont le premier dépôt est effectué auprès de l'INPI.
Ainsi que je l'ai déjà dit, les activités de veille, qui portent plutôt sur les revendications, ne seront pas remises en cause. En outre, l'INPI continuera d'assurer une traduction en français du résumé de toutes les demandes de brevets européens publiés qui désignent la France, soit près de 40 000 en 2007.
Le lexique des termes scientifiques géré par l'OEB reste dans les trois langues officielles, ce qui est essentiel, car le statut de langue scientifique s'acquiert d'abord par cette voie. Ce registre ne comporte pas moins de 150 000 mots...
Enfin, n'est-ce pas surtout les chercheurs, directement dans leurs laboratoires, qui mettent un nom sur leurs inventions ? Observez, mes chers collègues, les secteurs dans lesquels la terminologie scientifique française est la plus riche. Cela ne vous étonnera pas de constater qu'il s'agit des domaines dans lesquels notre pays a su être à la pointe de la recherche et de l'innovation. Je pense, par exemple, au secteur nucléaire ou à celui des transports.
S'agissant des organismes publics de recherche, le protocole de Londres devrait leur permettre de réaliser des économies non négligeables en matière de traduction.
Le coût des traductions est cependant difficile à évaluer car il dépend de nombreux paramètres. Je citerai, notamment, le taux de change du dollar, la longueur et la complexité technique du texte du brevet à traduire, le nombre de traducteurs assermentés pour une langue particulière ou l'urgence de la traduction.
S'agissant des économies susceptibles d'être réalisées, la diversité des chiffres avancés s'explique par le mode de calcul. Ainsi, l'économie s'élève à 20 % si l'on prend en compte le coût intégral du brevet pendant toute sa durée de vie ; elle atteint 40 % si l'on impute les coûts de traduction à l'investissement initial lié au dépôt du brevet. Or, c'est bien le montant de cet investissement qui sera ou non rédhibitoire pour un déposant potentiel.
C'est pourquoi il semble pertinent de retenir les évaluations du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, à savoir une diminution du coût des traductions située dans une fourchette de 35 % à 45 %. L'économie potentielle moyenne par brevet déposé serait ainsi de 1 566 euros. Selon le ministère, l'économie potentielle annuelle réalisée par les organismes de recherche sous sa tutelle serait donc au moins de 1, 1 million d'euros et de 0, 5 million d'euros s'agissant des universités. Pour l'ensemble des établissements publics sous la tutelle du ministère, l'économie annuelle pourrait donc être de l'ordre de 1, 6 million d'euros.
Les membres de la commission des affaires culturelles ont longuement et ardemment débattu de l'ensemble de ces sujets. Les avis étaient, je dois le dire, partagés. Néanmoins, il est apparu à la majorité de ces membres que les « plateaux de la balance » entre avantages et inconvénients penchaient plutôt en faveur des premiers.
J'ajouterai que nous pouvons, bien entendu, regretter l'érosion de l'usage de la langue française dans le domaine scientifique. Comme en témoigne le président de notre commission, M. Jacques Valade, lui-même ancien chercheur, l'anglais est de plus en plus systématiquement utilisé dans les colloques internationaux et dans les publications. Mais c'est un état de fait et le protocole de Londres n'y changera sans doute pas grand-chose.
Alors, battons nous plutôt sur le terrain de la création et de l'innovation. L'avenir passe par là. La meilleure défense de notre langue et de notre culture suppose que nous développions une recherche d'excellence, qui rayonne à travers le monde. Oui, telle est la condition pour que notre pays et notre langue continuent à occuper toute leur place dans le paysage mondial.
Pour toutes ces raisons, nous avons considéré qu'il était temps, désormais, de procéder à la ratification du protocole de Londres et de lever ainsi l'épée de Damoclès qui pesait sur lui. Mais, parallèlement, la commission des affaires culturelles a souhaité proposer un certain nombre de mesures d'accompagnement, afin à la fois d'en maximiser les effets positifs et d'en atténuer les inconvénients.
Nous souhaitons, madame le ministre, messieurs les secrétaires d'État, que vous puissiez prendre l'engagement, devant la représentation nationale, que nos propositions soient suivies d'effet. Pour ce qui concerne leur volet européen, la prochaine présidence française de l'Union devrait vous en donner l'opportunité.
Quelles sont ces recommandations et mesures d'accompagnement ?
Tout d'abord, nous devons plaider pour un renforcement de la sécurité juridique qu'offrent les traductions, et encore plus dans le nouveau contexte de non-traduction de la description du brevet. En effet, la langue de délivrance du brevet faisant foi, les traductions n'engagent pas ceux qui les fournissent.
Il est vrai que l'article L. 614-10 du code de la propriété intellectuelle permet une protection partielle des tiers. Néanmoins, ce sujet me semble devoir être abordé, au moins dans le cadre des négociations sur le brevet communautaire en cours.
À titre d'illustration, je veux vous montrer à quel point la qualité actuelle des traductions, dans le cadre de l'accord de Munich, est réellement insuffisante. Pour cela, je vais vous donner lecture d'un extrait de la traduction des revendications d'un brevet déposé : « 45 degrés reinforcing fibre nappe fixe au moyen un fixing grille sous forme un double-double-layered continu bande (5), consisting of paquet fibre (1) étendre parallèle à côté 1 un l'autre sans intervalle, caractériser par fait que un simple-single-layered préfabriquer ovale bande (1) et (10) portion comme un de base textile, consisting of parallèle orient paquet fibre... ».