Depuis la crise provoquée en Guyane par le coût excessif du carburant, vous ne cessez, madame la ministre, ainsi que M. le secrétaire d’État chargé de l'outre-mer, d’avancer que le taux de la taxe sur les carburants appliqué en Guyane est trop élevé et qu’il devrait être ramené au niveau du taux qui est appliqué dans les autres départements d’outre-mer, seule solution pour parvenir à une réelle baisse et à un prix supportable pour les consommateurs de Guyane.
M. le secrétaire d’État chargé de l'outre-mer a carrément jeté en pâture aux médias locaux les élus du conseil régional et du conseil général de Guyane, qualifiés « d’irresponsables », car ils refuseraient, selon lui, de prendre leurs responsabilités, alors que vous, vous auriez pris les « vôtres ».
Quelles responsabilités avez-vous prises, madame la ministre ?
Vous avez fait pression sur la SARA, société qui détient le monopole de la distribution, pour l’obliger à baisser son prix de trente centimes d’euros, prix administré entre cette dernière et vos services, mais que vous-même jugez suspect puisque vous vous êtes engagée à dépêcher sur place une « mission vérité des prix ».
S’exprimer ainsi témoigne déjà d’un manque flagrant de respect à l’égard d’élus dont le seul tort serait peut-être de ne pas être du même bord politique que vous. Mais c’est aussi révélateur d’une méconnaissance de la question des finances locales de Guyane, voire d’une totale indifférence à l’égard de la situation financière de nos collectivités.
Pourtant, le chef de l’État lui-même l’avait bien compris quand il déclarait à Cayenne, il n’y a pas si longtemps, en janvier 2008 : « Les collectivités locales doivent jouer pleinement leur rôle en matière d’aménagement du territoire et d’accompagnement des projets structurants [...] Mais je sais parfaitement qu’en Guyane, les collectivités locales connaissent des difficultés matérielles importantes.
« Au cours des dernières années, des mesures spécifiques ont été prises, notamment pour adapter les critères d’attribution de certaines dotations. Mais visiblement cela ne suffit pas [...] ».
Ces phrases sont la reconnaissance explicite, au plus haut niveau, que les dotations de l’État en faveur de la Guyane doivent être revues à la hausse. En effet, celles-ci ne représentent que 20 % des recettes de fonctionnement, contre 29, 5 % en moyenne hexagonale.
Par ailleurs, les recettes fiscales directes sont, elles aussi, beaucoup plus faibles : 22 %, contre 39 % en moyenne hexagonale, en raison non seulement de la faiblesse des bases d’imposition due à la situation économique de la Guyane, mais aussi des exonérations particulières concernant le domaine privé de l’État – il est propriétaire de 90 % du territoire – et une partie du secteur spatial. Il faut le savoir et en tenir compte !
La fiscalité indirecte est donc devenue la variable d’ajustement, la recette qui permet aux collectivités de suivre tant bien que mal le rythme élevé des dépenses publiques : 6, 30 % en moyenne annuelle pour les recettes, contre 8, 3 % pour les dépenses, notamment dans les secteurs de l’éducation, de la santé et des équipements.
Cet effet de ciseau a entraîné de fait une dégradation du taux de couverture des dépenses : de 119 % en 2002, on atteint à peine 100 % aujourd'hui, un niveau insuffisant pour participer aux cofinancements exigés pour mobiliser des ressources extérieures ; un problème se posera quand il faudra mobiliser les 10 millions d’euros que vous vous êtes engagés à nous accorder, sur les 16 millions d’euros de crédits de paiement du fonds exceptionnel d’investissement destiné à tout l’outre-mer. Tant mieux pour la Guyane si la « promesse » est tenue !
Un rééquilibrage des sections de fonctionnement semble donc nécessaire pour redonner des marges d’autofinancement suffisantes aux collectivités. Or, en leur demandant de diminuer le taux de la taxe sur le carburant, vous les contraignez à aggraver une situation déjà fragile et à accroitre, pour certaines d’entre elles, leur déficit.
La taxe sur les carburants ainsi que l’octroi de mer sont pour l’heure et à leur niveau indispensables à ces collectivités tant sur le plan budgétaire que sur celui de la trésorerie en raison des versements mensualisés y afférents. Diminuer ces produits, c’est les entraîner vers la chambre régionale des comptes, quand elles ne sont pas déjà sous tutelle.
Il faut donc revoir votre approche des finances des collectivités locales de Guyane. Si celles-ci doivent nécessairement passer par un rééquilibrage de leur section de fonctionnement, la solution ne doit pas consister uniquement dans les prêts de restructuration, qui sont déjà octroyés à certaines d’entre elles.
S’agissant de « prêts » – j’insiste sur ce terme –, certaines communes ne pourront pas en bénéficier, car elles connaissent une situation de déficit structurel et ne disposent pas, en conséquence, de l’épargne nécessaire pour rembourser un prêt.
La véritable solution passe, comme le laissait entendre le Président de la République, par une révision des mécanismes de garantie qui assortissent plusieurs dotations et qui sont fondés sur des critères peu opérants pour la Guyane. Il faudrait insister davantage que ne le font les dotations actuelles sur des critères relatifs aux charges des collectivités, pour autant que celles-ci soient structurelles, comme le revenu moyen par habitant, le nombre d’élèves scolarisés sur le territoire, la longueur de la voirie, le nombre de logements sociaux, la situation sociodémographique – la pyramide des âges des populations guyanaises, avec sa base très élargie, n’a rien à voir avec les standards nationaux –, la superficie du territoire commercial, l’enclavement, les particularités géographiques, le nombre de constructions scolaires chaque année, qui atteint en Guyane des sommets exceptionnels, l’éloignement par rapport au chef-lieu.
Le Comité des finances locales, saisi par le Gouvernement d’une demande d’avis et de propositions dans le cadre de la DGF, tout en prenant la bonne mesure de la situation, a préféré éluder la question des critères spécifiques dans son rapport rendu en mai 2004. Il arguait du fait qu’il ne paraissait pas envisageable de complexifier la répartition de l’ensemble de la DGF en retenant des critères particuliers pour le calcul de l’enveloppe globale outre-mer elle-même.
Mais ce même comité s’est montré favorable à la proposition du ministère de l’outre-mer de l’époque de créer une dotation spécifique outre-mer, en dehors du cadre de la DGF, qui permettrait de mieux prendre en compte certaines particularités ultramarines. Il serait intéressant que cette bonne proposition soit retenue.
J’ai d’ailleurs noté avec satisfaction qu’un engagement avait été pris dans le protocole d’accord de fin de conflit, signé entre le préfet et les responsables des collectivités territoriales de Guyane, pour la constitution d’un groupe de travail, avec l’objectif de trouver, d’ici à juillet 2009, des ressources pérennes adaptées à nos collectivités.
Il est en effet du devoir de l’État de veiller à corriger les disparités de conditions et de moyens des institutions locales, afin de tendre vers une plus grande égalité des citoyens devant le service public sur tout le territoire.
Le cinquième alinéa de l’article 72-2 de la Constitution dispose : « La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales. » En ce sens, les réponses ne sont pas seulement techniques : elles sont aussi politiques et la péréquation doit être un facteur essentiel de maintien de la cohésion.
Par les recettes fiscales, directes et indirectes, en 2006 – ce sont malheureusement les derniers chiffres dont je dispose – les Guyanais ont participé aux dépenses publiques locales à hauteur de 1713 euros, montant largement supérieur à la moyenne nationale de 1232 euros par habitant.
Si l’État veut réellement et rapidement agir de son côté pour l’amélioration des finances locales en Guyane, il peut déjà réparer une injustice en supprimant le plafonnement de la dotation superficiaire, mesure qui frappe uniquement la Guyane, alors même que cette dotation a été majorée jusqu’à 5 euros pour des communes de métropole.
Cette dotation superficiaire est un élément qui, pourtant, colle parfaitement à la réalité de la Guyane, prenant en compte pour une fois son trait le plus caractéristique, l’immensité de son territoire. Elle était censée rapporter 27 millions d’euros à la Guyane. Malheureusement, on a nié la réalité de sa superficie, la ramenant à 26 480 kilomètres carrés, soit moins du tiers de sa superficie réelle, qui est de l’ordre de 90 000 kilomètres carrés, nous faisant ainsi perdre plus de 18 millions d’euros.
Rétrocédez cette somme aux communes de Guyane, à leurs intercommunalités, voire à un fonds de péréquation réservé à toutes les communes de Guyane : cette somme doit leur revenir !
Pour l’heure, je ne vois dans votre budget aucune évolution notable pour les finances locales de Guyane, madame le ministre. En l’état, je ne le voterai donc pas.