Intervention de Jack Ralite

Réunion du 5 décembre 2008 à 22h30
Loi de finances pour 2009 — Compte spécial : avances à l'audiovisuel

Photo de Jack RaliteJack Ralite :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant de développer mon propos, je souhaiterais évoquer un souvenir.

Le 12 mai 1976, devant la commission des libertés de l’Assemblée nationale, à laquelle j’appartenais, André Malraux a pris la parole publiquement pour la dernière fois : « La meilleure loi sur les libertés serait peu de choses si elle ne se rendait pas maîtresse du plus puissant instrument de liberté et d’asservissement qui ait été conçu par l’esprit humain. La prochaine alphabétisation sera l’enseignement audiovisuel. Réforme utopique ? C’est ce que l’on a dit de toutes les grandes réformes. L’utopie, c’est l’espoir des autres… Il ne s’agit pas d’une réforme, mais d’une révolution… »

Si j’ai tenu à citer ces phrases, c’est parce que j’ai fait mien cet esprit-là, que vous pouvez retrouver dans toutes mes interventions.

Au moment où nous allons débattre du budget des médias, l’Assemblée nationale examine le projet de loi relatif à l’audiovisuel public.

Le Gouvernement considère la discussion de ce texte comme secondaire, semble-t-il, puisqu’il en a inscrit les conséquences, dès septembre, dans le projet de budget de l’État. Nous débattrons ainsi de sommes fixées pour compenser la suppression de la publicité, cette même publicité qu’un décret va effectivement rayer de la carte.

Ce projet de budget est représentatif de l’idée que se fait le Gouvernement des processus de débat démocratique et de son projet général pour le secteur des médias.

Démocratie et espace public médiatique font tous deux l’objet de mauvais coups gouvernementaux successifs, incessants et profonds. Envers et contre tous – en tout cas envers de très nombreux citoyens, professionnels et travailleurs –, de manière imperturbable, et malgré les protestations qui s’élèvent de toutes parts, le Gouvernement met en place ses projets de mainmise étatique sur les médias et de soutien aux grands groupes privés.

L’opposition et les professionnels s’expriment-ils contre la réforme de l’audiovisuel en quittant la commission Copé –j’en étais ! – ou en la désavouant publiquement ? Le Gouvernement n’en a que faire !

Les personnels de France Télévisions, de RFI, de l’Agence France-Presse font-ils grève et manifestent ? Le Gouvernement reste sourd !

Pour le Gouvernement, une seule feuille de route : étatisme et affairisme à tous les étages et dans tous les secteurs ! Qu’il s’agisse de l’audiovisuel public, de l’audiovisuel extérieur ou encore de la presse, il n’a de cesse de fragiliser et de précariser le service public au bénéfice de groupes comme Lagardère, Bouygues-TF 1, Bolloré…

Cela fait un an que je dénonce la nature réelle du projet de suppression de la publicité sur le service public. Dans cette affaire, la culture et la création sont détournées et ravalées au rang d’arguments fallacieux pour justifier de nouveaux cadeaux au privé, notamment à TF 1, principale bénéficiaire de l’amputation du service public.

Depuis l’annonce du 8 janvier, France Télévisions est entraînée dans une spirale déficitaire. D’ores et déjà, pour la fin de 2008, le groupe constate plus de 200 millions d’euros de retard par rapport à sa prévision initiale de recettes publicitaires : le conseil d’administration de France Télévisions a dû corriger plusieurs fois son budget rectificatif.

Aujourd’hui, aucun modèle économique valable de substitution à la publicité n’a été présenté et le plan d’affaires n’est toujours pas réglé.

En effet, la majorité persiste dans son refus d’augmentation, même raisonnable, de la redevance.

Les 450 millions d’euros destinés à compenser la disparition des revenus publicitaires ne suffiront pas : le budget de 2008 prévoyait un chiffre d’affaires publicitaire de 800 millions d’euros. Or la régie publicitaire du groupe indique que l’on atteindra au mieux 250 millions ou 260 millions d’euros, compte tenu des modifications de prix et de positions concurrentielles provoquées par la réforme. Il manquera donc au moins 100 millions d’euros. Et c’est sans compter que cette somme ne permettra même pas de couvrir le coût des programmes de remplacement, évalué à 70 millions d’euros.

Par ailleurs, le modèle économique proposé ne tient compte ni des besoins d’investissement dans les nouvelles technologies, ni de l’effet inflationniste sur les coûts de grille du transfert de 450 millions d’euros vers les chaînes privées, ni des coûts sociaux de cette réforme, en particulier au plan salarial.

Enfin, les diverses taxes prévues par le projet de loi font l’objet d’amendements qui les minorent et sont menacées de futures condamnations de la Commission européenne.

Cette asphyxie financière de l’audiovisuel public se décline dans le secteur de l’audiovisuel extérieur. La création, le 4 avril dernier, de la holding « Audiovisuel extérieur de la France » aura, du fait de sa forme actuelle et des mesures qui l’accompagnent, des conséquences importantes sur l’existence et l’indépendance d’organes médiatiques aussi essentiels au pluralisme de l’information que RFI ou l’Institut national de l’audiovisuel.

Cette holding, rappelons-le, réunit en son sein France 24, RFI et TV5 Monde. Son sous-financement, unanimement reconnu, est inquiétant pour le budget de RFI et de TV5 Monde : d’une part, comme l’a relevé le sénateur Claude Belot, la hausse des crédits proposés au titre de ce programme pour 2009, soit 2, 5 millions d’euros, est inférieure à celle qui est proposée pour France 24, qui reçoit 3, 2 millions d’euros par son contrat de subvention avec l’État ; d’autre part, aucune clé de répartition équitable de ce budget ne figure dans le projet de loi de finances.

La réalité nous fournit d’ores et déjà des éléments d’information sur le rapport de force qui s’installe dans la holding. Ainsi, RFI a dû fermer des antennes, tandis qu’il n’y a pas à s’inquiéter, semble-t-il, pour France 24.

Et c’est à un tel audiovisuel extérieur qu’un amendement vise à transférer la part de la redevance prévue pour l’INA ! C’est inquiétant, car toucher au financement pérenne de l’INA, c’est mettre en cause l’équilibre et la stabilité financière de cet établissement et s’attaquer indirectement à notre patrimoine.

Un autre amendement tend à attribuer une partie de la redevance au GIP « France Télé numérique » et donc, indirectement, à des entreprises non publiques. Or France 24, vous le savez, n’est pas une chaîne entièrement publique, puisque 50 % de son capital sont détenus par TF 1. Cela explique sans doute qu’à l’article 23 du projet de loi de finances, le mot « public » ait été supprimé de l’intitulé du compte spécial « Avances à l’audiovisuel public ». Cela est significatif du hold-up que subissent les fonds publics au profit du privé.

Venons-en à la presse.

Les mauvais coups se multiplient, comme en témoignent, notamment, le départ de nombreux syndicats de journalistes des états généraux de la presse, en protestation contre le tour pro-industriel que prennent ceux-ci, mais aussi la dépénalisation de la diffamation, qui menace de transformer le droit de la presse en simple terrain de règlement de conflits entre particuliers, la menace de privatisation qui plane sur l’AFP depuis les recommandations inquiétantes du rapport Giazzi, et la hausse des seuils anti-concentration votée lors de l’élaboration de la loi de modernisation de l’économie, en juillet, par le biais d’un cavalier.

Et tandis que l’on prépare le terrain pour que les grands groupes de médias deviennent encore plus grands, le tiers secteur, notamment audiovisuel, attend toujours que l’on s’intéresse à lui.

Le présent projet de budget est l’exact reflet de cette tectonique des plaques médiatiques : le secteur public est menacé d’insularisation, tandis que le secteur privé s’apprête à devenir un continent de plus en plus menaçant pour le pluralisme et la diversité.

Non seulement nous ne pouvons voter de tels crédits, mais nous nous élevons contre le projet dont ils sont la traduction.

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