Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’année 2009, qui est celle de la célébration du cinquantième anniversaire de la création du ministère de la culture, sera à n’en pas douter une année charnière pour l’ensemble des acteurs culturels de notre pays.
La réforme de l’audiovisuel public, la mise en place d’une nouvelle législation sur la protection des droits d’auteur sur internet, les conclusions des États généraux de la presse ou encore celles des Entretiens de Valois sont autant de mesures qui impacteront le rapport de nos concitoyens avec le monde de la culture et de la création pour les années à venir.
Dans ce contexte de quasi-foisonnement des réformes engagées par votre ministère, nous nous attendions, avec mes collègues du groupe socialiste, à la présentation d’un budget offensif et volontaire d’accompagnement des mesures engagées. Il n’en est rien.
L’augmentation des crédits du ministère de la culture et de la communication, qui passent de 2, 750 milliards d’euros en 2008 à 2, 821 milliards d’euros en 2009 - soit une hausse affichée de 2, 6 % - doit être relativisée. Cette augmentation est tout d’abord celle des crédits de paiement, qui incluent 35 millions d’euros de ressources extrabudgétaires issues de cessions d’immeubles appartenant à l’État, donc des recettes non pérennes.
Hors ressources extrabudgétaires et hors dépenses de personnel - ces dernières étant incompressibles -, ladite augmentation n’est plus que de 0, 2 %, c’est-à-dire qu’elle est quasi nulle.
En outre, cet affichage en hausse ne concerne pas les autorisations d’engagement de votre ministère, qui chutent de 2, 7 % par rapport à 2008, si l’on déduit les dépenses de personnel et les ressources extrabudgétaires.
Les capacités de dépense de votre ministère seront donc inférieures à ce qu’elles étaient l’an passé, alors que, dans le même temps, la révision générale des politiques publiques vous impose un gel de 5 % des crédits.
Dans ces conditions, on comprend mieux, madame la ministre, le désarroi que vous avez exprimé auprès de nos collègues de l’Assemblée nationale lors de l’examen en commission élargie du projet de budget de la culture. Vous aviez en effet eu ce mot, permettez-moi de vous citer : « Quand je m’observe, je me désole, mais quand je me compare, je me console ! »
Permettez-moi de vous dire que nous ne partageons pas du tout ce sentiment et que nous sommes loin de nous sentir consolés, quelle que soit la situation de vos homologues européens. Bien au contraire, nous sommes inquiets de la faiblesse des moyens qui vous sont alloués.
S’agissant du programme « Patrimoines », sinistré depuis six ans, les crédits destinés à la conservation, à l’entretien et à la restauration des monuments historiques seront, en 2009, de 283 millions d’euros, soit 4 millions d’euros de moins qu’en 2008. Quant à l’endettement des DRAC, il atteindra 600 millions d’euros, soit deux ans de crédits budgétaires. Je n’insiste pas davantage sur les lacunes de votre budget en la matière, mon collègue Yves Dauge aura l’occasion d’y revenir.
Le programme « Création » de la mission « Culture » est présenté en progression de 2, 8 %, passant de 798 millions d’euros à 821 millions d’euros en 2009. Mais, là encore, il faut relativiser, car il s'agit d’un effet d’optique. En effet, hors ressources extrabudgétaires, la progression n’est que de 0, 6 %. Les industries culturelles progressent, certes, de 24 %, mais uniquement en raison des 6, 7 millions d’euros inscrits pour la création de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la HADOPI. Les crédits affectés aux arts plastiques stagnent et ceux qui sont alloués au livre et à la lecture chutent de 2, 2 %.
J’en viens maintenant au spectacle vivant, dont la hausse affichée des crédits de 2, 4 % n’est, une fois de plus, que le fait de l’affectation de 15 millions d’euros issus des recettes de cessions d’immeubles appartenant à l’État. Vous faites de nouveau appel à des ressources extrabudgétaires, qui viennent certes, avec 5 millions d’euros affectés aux DRAC, rétablir partiellement l’équilibre entre les crédits centraux et crédits déconcentrés, mais qui ne sont pas renouvelables.
Or les documents budgétaires qui nous ont été transmis sont clairs, du moins sur ce point des recettes extrabudgétaires : il y est explicitement dit que « ces dotations viennent en substitution des crédits budgétaires habituellement alloués ». En d’autres termes, l’augmentation de 15 millions d’euros sera effective en 2009, mais elle fragilise le mode de financement régulier du spectacle vivant en introduisant une ressource ponctuelle et non pérenne. Or, vous le savez, madame la ministre, le spectacle vivant est un secteur dont les acteurs, pour mener à bien leur projet artistique, ont particulièrement besoin de lisibilité vis-à-vis des subventions qui leur sont attribuées.
Il s’agit de soutenir un réseau de près de mille lieux de création, de production ou de diffusion situés sur l’ensemble du territoire et destinés aux théâtres, aux arts du cirque et de la rue, à la musique, à la danse ainsi qu’aux centres culturels pluridisciplinaires. Pour la plupart d’entre eux, qui n’intègrent pas les opérateurs historiques des arts dramatiques que sont les établissements publics nationaux, toute création est un risque, artistique certes, mais également financier.
Pour le théâtre et le cirque, par exemple, mais c’est valable pour l’ensemble des représentations en public, il ressort que chaque spectacle fait en moyenne l’objet de moins de deux représentations. Nous serons attentifs à ce que ce très faible taux de représentation ne soit pas utilisé comme un prétexte pour limiter les subventions attribuées par les services centraux ou déconcentrés de votre ministère. En effet, on ne calcule pas l’efficience d’un spectacle - terme barbare en matière culturelle - en fonction du succès qu’il rencontre auprès du public.
C’est pourtant ce que sous-entend l’obligation de résultat mentionnée dans la lettre de mission que vous a remise le Président de la République à votre entrée en fonction. Ce dernier estime en effet que la démocratisation culturelle, c’est avant tout « veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public ». Or cette obligation de résultat est un non-sens en matière culturelle.
Vous conviendrez qu’on ne fabrique pas un spectacle en fonction de son succès escompté auprès du public. Ou alors on catégorise les goûts artistiques et culturels présupposés du public selon son âge, son origine sociale, et l’on finit par ne subventionner que des lieux et des troupes qui proposent un type bien défini de spectacles. En d’autres termes, on formate et on assèche la création originale.
C’est si vrai que cette obligation de résultat ainsi formulée a déclenché, de manière finalement salutaire, les foudres de l’ensemble des professionnels concernés, qui vous ont demandé la mise en place, l’an passé, d’un « Grenelle de la culture », rebaptisé finalement « Entretiens de Valois », qui arrivent aujourd’hui à leur terme et dont les conclusions devraient être rendues dans les jours à venir.
Madame la ministre, les Entretiens de Valois se concluront-ils par des propositions concrètes pour augmenter de manière significative le nombre de représentations en public de chaque spectacle ? La circulation des œuvres doit notamment être encouragée entre les théâtres publics et les théâtres privés. Il y va de la démocratisation de l’accès à la culture dont votre ministère a fait l’une des priorités de son action. Or tout amalgame entre démocratisation et uniformisation serait mal venu.
Les professionnels du spectacle vivant sont d’ailleurs très inquiets et craignent que leurs principales revendications ne soient pas prises en compte dans le cadre des conclusions des Entretiens de Valois. C’est ce qu’ils ont exprimé le 24 novembre dernier, au Théâtre du Rond-Point.
Les employeurs du spectacle vivant, public et privé, associés à l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles, l’UFISC, voyaient en effet dans les Entretiens de Valois l’opportunité de co-élaborer avec les services du ministère de la culture et de la communication une loi d’orientation et de programmation pour le spectacle vivant.
Une telle loi représenterait à leurs yeux le meilleur moyen de repenser les liens existants entre les structures publiques et privées et de mutualiser entre elles la diffusion des spectacles afin d’en augmenter le nombre de représentations. Or il semble que cet objectif ne fasse plus partie des priorités de votre ministère.
C’est d’autant plus inquiétant qu’une telle loi d’orientation et de programmation pourrait également être le moment de la clarification des responsabilités respectives de l’État et des collectivités territoriales en matière de financement culturel. Une meilleure articulation des interventions entre l’État, les DRAC et les collectivités constituait d’ailleurs l’un des quatre grands objectifs que s’étaient fixés les groupes de travail constitués dans le cadre des Entretiens de Valois.
Il faut cependant relever que les collectivités souffrent elles-mêmes de contraintes budgétaires, notamment dans cette période de crise. Il ne serait donc pas raisonnable d’alourdir leurs charges lorsqu’elles assument déjà plus des deux tiers des interventions publiques en matière culturelle.
Par ailleurs, le gel de 5 % des crédits de votre ministère au titre de la RGPP fait peser sur les épaules des programmateurs publics et privés un risque réel de récession sur la chaîne création-production-diffusion et, par conséquent, sur l’emploi dans le spectacle vivant. Il faudra donc prendre en compte l’ensemble de ces éléments lors de la future renégociation des annexes 8 et 10 de la convention UNEDIC sur le régime d’indemnisation du chômage des intermittents du spectacle. Nous serons tout particulièrement attentifs sur ce point.
Vous l’avez compris, madame la ministre, nous attendons les conclusions des Entretiens de Valois.
Face à la faiblesse de votre projet de budget pour le spectacle vivant, qui repose exclusivement sur des ressources extrabudgétaires ponctuelles, nous attendons une réforme à même de redonner du souffle à la création artistique et de convaincre les plus hautes instances gouvernementales de l’intérêt pour notre pays d’un grand plan de relance culturelle publique, car, pour l’heure, vos moyens sont si faibles, madame la ministre, que la politique publique culturelle risque de disparaître.
Nous sommes d’autant plus inquiets que la loi de programmation des finances publiques pour la période 2009-2011 prévoit, pour le programme « Création », hors ressources extrabudgétaires, une baisse de 3 % des moyens d’interventions du ministère de la culture. Il y a là un choix politique clair auquel nous ne pouvons souscrire. C’est pourquoi, malheureusement, le groupe socialiste du Sénat ne votera pas les crédits alloués à la mission « Culture » pour 2009.