Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les violences conjugales ne relèvent pas du conflit : il s'agit non pas d'une histoire d'amour qui a mal tourné, mais d'un délit inscrit dans une relation dominant-dominé. Aussi était-il essentiel que nous renforcions notre droit pénal pour mieux lutter contre ce fléau. C'est ce que nous sommes en train de faire ce soir dans le cadre d'un texte de loi spécifique, et je m'en réjouis.
La proposition de loi de mon collègue Roland Courteau prenait en compte la dimension psychologique tout à fait particulière de ces situations à travers un volet préventif et un volet d'aide spécifique aux victimes, que nous vous avons proposé d'adopter, mes chers collègues, par le biais d'amendements tendant à insérer des articles additionnels. En effet, si le rôle de la justice est de rendre le statut de sujet citoyen aux personnes qui ne l'auraient jamais eu ou qui l'auraient perdu, la justice est aussi l'institution qui arrive en dernier lieu dans le parcours de la victime de violences conjugales. L'éloignement du domicile du couple de l'auteur des violences dans le cadre des obligations du sursis avec mise à l'épreuve et du contrôle judiciaire visé à l'article 5 ne peut, en effet, être que l'aboutissement d'un processus long et douloureux.
Au niveau institutionnel, le premier secteur contacté est bien souvent le milieu médical ou hospitalier. D'où la préconisation du rapport Henrion, parmi les dix actions prioritaires à mettre en place, de sensibiliser les médecins et les professionnels de santé afin de favoriser le dépistage des violences conjugales.
Nous vous avons proposé - nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls ici - d'étendre cette exigence de formation aux personnels sanitaires et sociaux, à ceux de la police nationale et de la gendarmerie ainsi qu'aux magistrats et avocats, dans le cadre d'une formation continue obligatoire.
Il nous semble qu'il s'agissait là d'une mesure essentielle afin de lutter contre la déperdition que l'on constate entre le nombre de faits réels et celui qui est porté à la connaissance de la justice. L'adoption d'une telle disposition aurait été bénéfique.
Le suivi et le soutien institutionnel permettent la préparation nécessaire de la victime à la confrontation avec l'extérieur, dans son parcours de « dévictimation », si j'ose dire, et d'évolution vers un statut de sujet actif qui prend son avenir en main.
De la non-identification comme victime, la femme qui subit des violences conjugales passe à la phase de victime objet. La peur est toujours très présente, et l'intéressée multiplie alors les allers et retours : elle quitte le domicile, puis y revient ; elle manifeste ses hésitations, ses décisions mais aussi ses contre-décisions ; elle va déposer une main courante au commissariat, ne voulant pas porter plainte, ou bien elle va déposer une plainte et la retirer quelques jours après, au grand dam des policiers.
Il faut essayer de comprendre ces attitudes paradoxales et poursuivre l'accompagnement pour que la victime puisse accéder au statut de victime sujet. La peur commence alors à s'atténuer, sous l'effet d'une déculpabilisation progressive. La victime choisit de se confronter à la loi sociale : elle va consulter un médecin et obtient un certificat médical ; elle dépose un dossier au civil chez un avocat ; elle porte plainte, même si elle hésite encore à s'en servir au pénal.
Toutefois, elle a d'ores et déjà commencé à intégrer une loi, symbolique et fondamentale : « il n'a pas le droit de me battre, j'ai le droit de ne pas être battue », et devient, de ce fait, actrice de son histoire dans le présent et en vue d'un avenir dans lequel elle a encore du mal à se projeter.
C'est là que le rôle des policiers et gendarmes est déterminant. Si la femme est accueillie correctement, c'est-à-dire traitée comme une victime, cette prise en considération vient conforter ses décisions et confirmer l'interdit transgressé par l'auteur des faits.
Tel est l'objectif que nous visions, au-delà de l'article 5, à travers nos amendements.
Il est regrettable, dans un texte spécifique à la lutte contre les violences au sein du couple, de ne s'en tenir qu'au strict renforcement pénal, même si cela constitue une avancée majeure. Espérons que les engagements que vous avez pris, madame la ministre, seront suivis d'effets !