Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la charte européenne de l'autonomie locale a été signée par la France voilà plus de vingt ans, le 15 octobre 1985, à Strasbourg, sous l'égide du Conseil de l'Europe.
Elle est le fruit - Mme le ministre et M. le président l'ont souligné, et, dans cette enceinte où siègent les représentants des élus locaux, cela n'étonnera personne - de plusieurs années de travaux au sein de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe, devenue depuis le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, cet organe consultatif du Conseil de l'Europe composé d'élus des collectivités territoriales des États membres.
L'objectif de la Charte, seul instrument international relatif aux collectivités territoriales, est de promouvoir l'application du principe de subsidiarité au sein des États, en partant du double postulat que l'action publique est plus efficace lorsqu'elle est décidée au plus près du terrain et qu'elle est plus légitime lorsque la responsabilité des élus s'exerce, sur les questions locales, à un niveau proche des citoyens.
Elle vise non pas seulement la protection des droits des collectivités territoriales face à l'État, mais aussi la préservation de l'autonomie communale, en consacrant le principe de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre.
Respectueuse de la diversité des organisations politiques des États signataires, la Charte fixe des orientations qu'il revient au législateur national de décliner et d'adapter ; elle comporte ainsi de nombreux renvois à la loi nationale.
Elle prévoit notamment - vous l'avez rappelé, madame le ministre - des garanties législatives et constitutionnelles pour l'autonomie locale, la préservation et l'adaptation des compétences des collectivités, l'adéquation de leurs moyens, notamment financiers, avec leurs compétences, et la possibilité de coopération entre collectivités territoriales.
Aucun de ces principes ne soulevait a priori de difficulté pour la France, qui figurait en 1985 parmi les premiers signataires de la Charte, au nombre des pays les plus décentralisés d'Europe.
L'article 12 de la Charte permet en outre une acceptation partielle du texte pour le cas où certaines stipulations seraient incompatibles avec le droit national. Il est également possible pour un État d'assortir sa ratification de déclarations interprétatives, ainsi que le fait la France, afin de préciser la façon dont est entendu un article dont les termes restent ambigus ou n'ouvrent que des possibilités.
Notre pays précise ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale n'entrent pas dans le champ d'application de la Charte, que la responsabilité des exécutifs locaux devant les assemblées locales est entendue comme une faculté, et que la notion de péréquation financière ne doit pas avoir pour effet d'entraver la libre administration des collectivités territoriales.
Comment expliquer, dans ces conditions, que notre pays, qui a été l'un des initiateurs et des promoteurs de ce texte, soit aujourd'hui le seul, avec la Serbie-Monténégro qui ne l'a signé que très récemment, à ne pas l'avoir ratifié ?
J'avancerai plusieurs tentatives d'explication.
Tout d'abord, la charte européenne de l'autonomie locale, comme tout accord international, est le fruit d'un compromis entre différentes traditions juridiques qui se traduit dans le vocabulaire utilisé. Le terme « autonomie » est associé dans notre langue - nous avons eu un débat sur ce point au sein de la commission des affaires étrangères - à la capacité de légiférer. Or la Charte ne prévoit rien de tel et définit ce terme comme « le droit et la capacité effective pour les collectivités territoriales de régler et de gérer dans le cadre de la loi une part importante des affaires publiques ». Il s'agit bien là de la libre administration des collectivités territoriales.
Ce délai exceptionnel s'explique également par l'avis négatif formulé par le Conseil d'État, saisi en 1991 par le gouvernement de Michel Rocard d'un premier projet de loi d'approbation. Plus que de difficultés juridiques, le Conseil d'État a argué de l'incompatibilité générale du texte avec la tradition institutionnelle de notre pays.
Plutôt que la marque d'un jacobinisme persistant qui serait démenti par les faits, il faut voir dans cet avis la manifestation d'une réticence profonde de notre pays à subir une influence extérieure en matière institutionnelle et administrative.
Si nous pouvons comprendre cette réticence, intimement liée à notre histoire, ne perdons cependant pas de vue les efforts considérables consentis par les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale dans ces différents domaines, à une période où elles venaient à peine de recouvrer leur souveraineté.
La situation actuelle est d'autant plus paradoxale que notre pays participe activement à des programmes de renforcement des capacités institutionnelles dans ces États membres du Conseil de l'Europe, qui sont signataires de la Charte, même si leurs standards en matière de démocratie locale se situent de facto en deçà des exigences françaises.
L'absence de ratification française suscite alors l'incompréhension de nos partenaires. Les sénateurs membres de la délégation française à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - j'en suis - y sont directement confrontés ! La semaine prochaine, lorsqu'ils siégeront à Strasbourg, ils en entendront encore parler, car on sait que nous débattons de ce point aujourd'hui.
La Haute Assemblée, à qui la Constitution confie la mission d'assurer la représentation des collectivités territoriales de la République, a pris clairement position en faveur de la ratification de ce texte par la voix de son président Christian Poncelet, à l'occasion de travaux tenus dans son enceinte en juin 2001 et consacrés à la décentralisation française vue d'Europe.