Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, nous sommes rassemblés pour légiférer en procédure d’urgence afin de tenter d’apporter des solutions concrètes à ce que l’on appelle la « crise financière ». La menace qui pèse désormais sur l’économie réelle et ses conséquences sur la vie quotidienne de nos concitoyens sont tellement graves qu’il est de notre devoir de récuser par avance toute approche partisane et de mettre en œuvre des solutions concrètes et efficaces.
Pour autant, croyez-vous un instant que l’étatisation des créances toxiques et la recapitalisation des banques résoudront la crise mondiale à laquelle nous sommes confrontés ? Ne faisons pas l’autruche ! Il y a vingt ans, s’écroulait le mur de Berlin, marquant la fin du socialisme dit « réel ». Aujourd’hui, nous assistons à l’écroulement d’un autre mur, le mur de l’idéologie ultralibérale qui a malheureusement contaminé l’ensemble de nos sociétés.
Cette imposture idéologique néolibérale n’a eu de cesse de « ringardiser » le politique – comme le rappelait hier encore à juste titre M. le président Larcher – en laissant croire que la « main invisible » du marché et, plus particulièrement, celle des marchés financiers, était le seul garant de l’optimum économique et social. Comme si l’intérêt général n’était que « la somme des égoïsmes particuliers » et comme si l’histoire pouvait se construire rationnellement en « laissant faire » !
Ne nous trompons pas de crise ! La crise financière mondiale ne provient pas de la rémunération excessive – donc, a priori facile à corriger, parce qu’il ne s’agirait que de mesures techniques – des banquiers et autres PDG : elle plonge ses racines dans la crise sociale, plus précisément dans l’abandon de la régulation fordiste et keynésienne qui avait prévalu de l’après-guerre jusqu’au début des années quatre-vingt. Pendant toute cette période, par le jeu de règles collectives issues d’un véritable compromis social capital-travail, les gains de pouvoir d’achat évoluaient régulièrement, au rythme des gains de productivité du travail, résolvant par là même le problème consubstantiel du capitalisme, celui qui l’avait plongé dans la crise de1929 : le problème des débouchés.
Depuis le début des années quatre-vingt, date de la révolution néolibérale qui, à partir des Etats-Unis, a déferlé sur le monde entier, en tout cas dans tous les pays industrialisés, nous observons la même tendance : la baisse durable, profonde, de la part des salaires dans la richesse créée, au profit des revenus du capital.
On retrouve partout les mêmes recettes néolibérales : austérité salariale et flexibilisation rampante du marché du travail. Aux États-Unis, d’où est partie la crise financière, la durée moyenne du travail est tombée à 33, 6 heures, non pas du fait d’une volonté d’aménagement et de réduction du temps de travail, mais à cause de la multiplication des emplois précaires ! Votre propre gouvernement n’a eu de cesse, monsieur le secrétaire d’État, de transposer ce modèle américain dans notre pays.
Comme en témoignent les différentes lois dites de « modernisation » adoptées récemment, qu’il s’agisse du dialogue social, de l’économie ou du marché du travail, la nouvelle norme de travail, y compris pour les cadres, c’est l’emploi précaire, que nos concitoyens ont fini par accepter sous la pression du chômage.
Les résultats macroéconomiques sont clairs et nets : dans notre pays, la part des revenus du travail dans le PIB a diminué de 15 % entre 1980 et aujourd’hui, passant de 78 % à 66 % du PIB.
Les chiffres sont précis : ce sont 200 milliards d’euros qui sont prélevés chaque année sur la richesse nationale et qui, depuis vingt ans, alimentent l’économie financière, cette « économie casino » qui gangrène l’économie réelle et dont les premiers bénéficiaires ont été particulièrement soignés par votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État : chacun aura compris que je vise ici la baisse de l’impôt sur le revenu et le bouclier fiscal !
Ce sont, chaque année, ces mêmes 200 milliards d’euros qui ne participent pas au financement de la sécurité sociale ni à celui de la retraite par répartition, dont le sauvetage devrait être une priorité nationale. Tout le monde sait bien, désormais, ce que valent les promesses des chantres de la retraite par capitalisation !
Sur le plan strictement économique, ce sont 200 milliards d’euros qui manquent chaque année à la rémunération du travail, c’est-à-dire aux débouchés internes : comme nos voisins, nous comptons sur les exportations, c’est-à-dire sur les marchés extérieurs, pour écouler notre production.
Comment nos économies ont-elles évité l’écroulement pendant les deux décennies qui ont suivi l’abandon du partage fordiste des gains de productivité du travail ? Eh bien, par la fuite en avant, par la dette ! Les États-Unis nous ont montré la voie : de 1950 à 1980, le rapport entre la dette et le PIB est resté constant, s’établissant à 120 % environ. Entre 1980, date de la rupture engagée par Ronald Reagan et ses Chicago boys et aujourd’hui, ce ratio a doublé pour atteindre 240 %. Les États-Unis ont une économie artificielle qui vit à crédit. Et nous avons laissé faire, tout simplement parce qu’elle tire nos propres économies en important à tour de bras nos produits européens ; je rappelle que la balance commerciale américaine est déficitaire depuis 1971 !
Dans ce contexte, les propositions du candidat Nicolas Sarkozy il y a un an et demi prennent un relief tout à fait particulier : « Il faut développer le crédit hypothécaire des ménages », de sorte que « ceux qui ont des rémunérations modestes puissent garantir leur emprunt par la valeur de leur logement ». Beau programme lorsque, simultanément, on n’a eu de cesse de précariser les salariés au nom de l’idéologie qui réduit le travail des êtres humains à une simple marchandise ! Et d’ajouter : « Une économie qui ne s’endette pas suffisamment, c’est une économie qui ne croit pas en l’avenir, qui doute de ses atouts, qui a peur du lendemain. » Le rêve américain porté aux nues !
Le même nous explique aujourd’hui que la « moralisation du capitalisme financier demeure une priorité » : Si ce n’est pas du grand écart, c’est du salto arrière, et même du double salto arrière !
Monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, si l’on ne renonce pas au paysage surréaliste que je viens de décrire, ne nous demandez pas, à nous les Verts, de tendre benoîtement avec vous les filets de sécurité, au nom de je ne sais quelle exigence de solidarité nationale : nos concitoyens n’en peuvent plus d’assister, impuissants, au cirque pathétique des thuriféraires de l’ultralibéralisme !
Pour autant, les Verts ne se déroberont pas à leurs responsabilités : nous ne nous opposerons pas au panel de mesures techniques de bon sens que vous nous proposez aujourd’hui. Souffrez cependant que nous ne gardions pas le silence.
En effet, nous ne pouvons pas taire les difficultés auxquelles Martin Hirsch s’est heurté pour récolter les 1, 6 milliard d’euros nécessaires au financement du RSA. Et nous les mettons en regard de la promptitude avec laquelle est mobilisé l’argent de nos concitoyens ; aujourd’hui de manière virtuelle, certes, mais qu’en sera-t-il demain ?
Dans le même esprit, nous ne pouvons que relever et dénoncer, pour le coup, avec les partenaires sociaux réunis – comme au bon vieux temps du pacte social fordiste – le hold-up perpétré par le Gouvernement sur le 1 % logement pour financer le plan Boutin.
Dans un esprit parfaitement constructif, et pour participer au plan d’urgence auquel personne ne saurait se dérober, nous faisons un certain nombre de propositions concrètes, tant sur le plan international – c’est d’autant plus important que la France préside encore l’Union européenne pour quelques mois – que sur le plan national, à travers plusieurs amendements.
Tout d’abord, nous défendrons une série d’amendements sur la conditionnalité de la garantie de l’État. Nous proposons que cette garantie soit conditionnée par un meilleur encadrement des rémunérations et une double exigence sociale et environnementale.
Nous proposons, ensuite, de lutter contre les places offshore et les paradis fiscaux : il convient non seulement d’avoir une politique internationale volontariste, mais surtout que nous, Français, balayions devant notre propre porte et imposions des règles strictes interdisant la présence d’entreprises françaises dans ces centres où a sévi la tempête financière.
Nous devons également assurer un contrôle optimisé du fonctionnement de la société de refinancement.
II convient, enfin, de restreindre les actions de prédation financière des fonds d’investissement LBO et de revenir sur le bouclier fiscal.
Ces dispositions d’urgence étant prises, nous ne pouvons faire abstraction de l’analyse de causes profondes de la crise : elle puise ses racines dans l’abandon de toute régulation macroéconomique. Par conséquent, le remède strictement financier ne sera qu’un cautère sur une jambe de bois si nous ne prenons pas le problème dans sa réalité et sa complexité : l’économie réelle reste menacée par la crispation sur les doctrines néolibérales, les politiques dites de l’offre.
À cet égard, le retour à des politiques de régulation doit se construire à l’échelle adaptée, c’est-à-dire celle de l’Union européenne, mais en cessant de démanteler, à l’échelon national, ce qui contribue à consolider la formation des revenus du travail, ce que nos concitoyens appellent le pouvoir d’achat. Il s’agit donc de rompre avec la revalorisation des retraites inférieure à l’inflation, les franchises médicales, les nouvelles cotisations sur les mutuelles, la taxe sur l’épargne populaire pour financer le RSA, la réduction des effectifs dans la fonction publique... Toutes ces mesures sont manifestement contraires à la consolidation de la demande globale et accentuent les risques d’une crise majeure de l’économie réelle.
Toutefois, les Verts n’appellent pas à un simple New Deal néofordiste et productiviste : nous vivons dans un monde fini ! Ainsi, le nouveau pacte social à construire ne saurait être un copier-coller de celui sur lequel se sont appuyées les Trente Glorieuses.
Nous estimons qu’il faut lancer sans tarder un Eco Deal, fondé sur un principe simple : la relance des activités économiques doit être sélective ; les déficits budgétaires d’ores et déjà engagés doivent être liés à de grands programmes d’investissements publics et privés qui nous permettront de sortir d’une économie basée sur le tout-pétrole pas cher ou sur le tout-électrique-nucléaire pas maîtrisé – je vise ici les risques, les déchets et le démantèlement des sites.
Nous devons bâtir les fondamentaux d’une économie solidaire dont l’empreinte écologique – carbone, pollutions diverses, atteintes à la biodiversité – soit enfin réduite. Il y va de notre survie !
Nous attendons un plan massif d’investissements dans l’habitat, les économies d’énergie, les énergies renouvelables, les transports collectifs, l’agriculture agro-écologique, qu’elle soit biologique ou intégrée, et l’abandon concomitant de tous ces projets marqués du sceau d’un productivisme datant du siècle passé, notamment les projets autoroutiers !
Ainsi, à l’heure où l’hypothèse d’une croissance de 1 % apparaît comme optimiste, le rapport Stern précise qu’il faudrait impérativement prélever chaque année un point de croissance pour éviter les conséquences humaines et géopolitiques incalculables de la montée des océans.
Dans le même esprit, l’Agence internationale de l’énergie atomique, AIEA, nous rappelle qu’il faudrait investir 42 000 milliards d’euros pour passer effectivement aux énergies renouvelables.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne nous déroberons pas à nos responsabilités : nous ne ferons pas obstacle à cette loi qui s’inscrit dans un sursaut historique de l’Europe politique – non l’Europe des marchés, des marchands et des spéculateurs, mais l’Europe des citoyens – qu’il nous faudra construire.
Mais il était de notre devoir de dire haut et clair ici que, sauf à vouloir apposer un cautère sur une jambe de bois, il va falloir changer de paradigme, sortir non seulement de l’idéologie néolibérale mais aussi de celle de la croissance et travailler à l’émergence d’un nouveau compromis social, écologiste et solidaire, faisant passer les liens – liens entre les personnes et liens entre les personnes et l’environnement, la planète – avant les biens, ce qui risque de prendre encore quelque temps…
Dans l’immédiat, nous prenons au mot les promesses de moralisation faite par le Président de la République et nous espérons que nos amendements techniques seront une contribution utile pour passer des paroles aux actes. Les Français n’accepteraient en effet pas que l’on mette du carburant dans la machine financière sans lui tracer le cap d’une route plus responsable.