Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 29 juin 2010 à 15h00
Réforme des collectivités territoriales — Suite de la discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais m’associer – une fois n’est pas coutume ! – à mes deux collègues qui viennent de s’exprimer. Je veux, d’abord, soutenir à mon tour nos deux concitoyens journalistes détenus en Afghanistan depuis hélas ! trop longtemps. Je ne suis, fort heureusement, pas la seule à porter ce bracelet. §(L’orateur montre le bracelet qu’elle porte au poignet.) Nous espérons que beaucoup vont s’associer à cette action.

Je veux dire, ensuite, que quand le Sénat discute des collectivités territoriales, tout le monde devrait être dans l’hémicycle.

J’en reviens à l’ordre du jour. Le Président de la République veut sa réforme des collectivités locales, et le Gouvernement comme la majorité font tout pour essayer de la faire passer par tous les moyens.

À vrai dire, cette réforme ne correspondait à aucune demande. Elle a suscité, dès le départ, beaucoup de critiques de la part des élus, y compris dans la majorité.

Ladite majorité a voulu faire campagne au moment des élections régionales sur le thème de cette prétendue simplification de l’organisation territoriale qu’elle entendait faire approuver par nos concitoyens. Non seulement elle n’en a pas eu le loisir mais, en plus, elle a perdu les élections ! En fait, nos concitoyens n’ont pas été consultés. Ils en sont pour leur frais. Les collectivités sont financièrement étranglées, ce qu’ils devront supporter.

Quant à la simplification, nous sommes passés de quatre échelons – commune, intercommunalité dans sa diversité, ce qui fait des échelons différents, département et région – à dix : commune, commune nouvelle, intercommunalité avec ses différents développements, ancien canton – les chefs-lieux, qu’il faut garder –, territoire, département, métropole, pôle métropolitain, région, collectivité « sans nom », avec la fusion départements-région et les interrégions à venir. Autrement dit, nous sommes passés du millefeuille qui avait du goût à un pudding indigeste !

Oui, le débat démocratique est nécessaire. Or il n’a pas encore vraiment commencé avec nos concitoyens.

Notre assemblée, tout en validant la réforme en première lecture, était cependant revenue peu ou prou sur la mise en cause de l’autonomie des collectivités pour tenir compte du profond mécontentement des élus locaux à l’égard du projet de loi initial, tant sur la forme que sur le fond.

Ainsi, elle avait accepté la consultation des citoyens pour les fusions de communes. Hélas, l’Assemblée nationale l’a supprimée ! Elle avait encore tempéré la décision du préfet en renforçant les règles de majorité qualifiée pour l’intercommunalité.

Toujours en première lecture, si la majorité du Sénat était favorable à la création des conseillers territoriaux, leur mode de scrutin n’était pas officiellement en discussion, puisqu’il devait résulter d’une loi ultérieure. Mais la majorité avait néanmoins émis un avis favorable à une dose de proportionnelle et au respect, certes limité, de la parité.

Il va sans dire que le coup de force du Gouvernement suivi par la majorité à l’Assemblée nationale, consistant à inclure d’ores et déjà le mode de scrutin dans le texte, était doublement inacceptable.

Inacceptable sur le fond, puisque ce qui a finalement été retenu après des tergiversations est le scrutin uninominal à deux tours dans des cantons élargis. Il renforce encore le bipartisme et le recul du pluralisme. Ensuite, il sonne le glas de la parité, présente au moins, et après de longs combats, dans les assemblées régionales, grâce à la proportionnelle. Comme le disait la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes, triste dixième anniversaire de la loi sur la parité qui impose de tout faire pour rendre cette dernière effective ! On en est loin !

Inacceptable sur la forme, puisque, l’article 24 de la Constitution prévoyant que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales, le mode de scrutin aurait dû lui être soumis en priorité. Après qu’une majorité à la commission des lois a, la semaine dernière, voté contre l’inclusion dans la loi du mode de scrutin, le président de la commission des lois lui-même ayant semblé chagrin que le Sénat n’ait pas été consulté, elle a hier finalement donné son accord à un second coup de force du Gouvernement !

Traitant du mode de scrutin, le texte issu de l’Assemblée nationale inclut un tableau de répartition des conseillers territoriaux. Or celui-ci pose « un problème de taille », ce que disait notre rapporteur. Il paraît, en effet, peu conciliable avec le principe constitutionnel de l’égalité devant le suffrage.

De ce point de vue, les modifications proposées par notre rapporteur, ou par d’autres, comme les marchandages – sûrement d’opportunité – qui interviendront sans doute encore n’y changeront rien.

Ce qui est contestable dans ce tableau, c’est que la représentation des citoyens y est très inégale sur l’ensemble du territoire et, qui plus est, à l’intérieur d’une même région. Cela pose un problème sérieux quant à la représentativité de ce qui sera encore – pour combien de temps ? – le conseil régional. En Poitou-Charentes, par exemple, un conseiller sera élu par 15 000 habitants environ. En Île-de-France, un conseiller sera désigné par 38 000 habitants.

Dans le département du Rhône, qui compte 1, 7 million d’habitants, il y aura 69 conseillers territoriaux. Dans la Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine, pour 1, 5 million d’habitants, on dénombrera respectivement 39 et 41 conseillers. D’ailleurs, pourquoi les Hauts-de-Seine auront-ils deux conseillers de plus ?

Au sein d’une même région, les différences entre départements ruraux et ceux qui sont plus urbains sont exorbitantes. D’autres ici feront valoir mieux que moi cette distorsion difficilement acceptable en démocratie concernant le futur conseil régional.

Vous le savez, nous sommes totalement opposés à la création des conseillers territoriaux, sorte de monstres bicéphales, cumulant mandats et compétences et annonçant la fin des départements.

Ils seront plus éloignés des citoyens que les élus actuels et, avec les pouvoirs dévolus aux commissions permanentes, on assistera au triomphe de la technocratie, pour un coût supérieur à celui que l’on connaît aujourd’hui.

Il est grave que le Gouvernement ne veuille pas tenir compte des critiques nombreuses et convergentes sur ce nouvel élu.

Je note une autre contradiction : le Gouvernement se précipite pour inscrire dans la loi leur mode d’élection, mais renvoie à plus tard celui des conseillers communautaires.

Vous avez, semble-t-il, renoncé à proposer un texte ultérieur sur la répartition des compétences. L’article 35, issu de l’Assemblée nationale maintient la fin de la clause de compétence générale, mais introduit des compétences partagées dans trois domaines.

Ce qui est préoccupant, c’est que l’État, dans les faits, se désengage, de plus, de ses obligations – il n’en est d’ailleurs nulle part question dans ce texte. Les finances locales sont totalement contraintes. La capacité des collectivités à intervenir dans les domaines que vous souhaitez partager, ou que vous consentez à partager, est donc de plus en plus mise en cause. Pis : les collectivités deviennent responsables des choix de l’État en matière de finances publiques.

C’est, il faut le dire, cohérent avec votre objectif de supprimer 34 000 postes de fonctionnaires par an jusqu’en 2013, comme le secrétaire général de l’Élysée l’a annoncé – c’est un comble – dans un journal anglais !

C’est cohérent avec la RGPP, la réforme de l’État et votre politique d’austérité : austérité pour les collectivités locales et austérité donc, encore, pour nos concitoyens, mais je ne m’attarde pas sur les moyens des collectivités puisque mon collègue Jean-François Voguet y reviendra dans quelques instants.

Très présente dans le texte, l’intercommunalité, de « coopérative et volontaire », devient, comme le souligne l’Association des maires ruraux de France, « contrainte, antichambre de la disparition des communes », évolution que nous dénonçons depuis le début du débat malgré les artifices déployés pour faire croire au maintien de celles-ci.

Pour nous, l’intercommunalité et l’interterritorialité ne sauraient exister que sur la base d’une volonté commune, avec la possibilité d’avoir une collectivité pilote ou chef de file, en lien avec le principe de subsidiarité, mais mis en œuvre de manière ascendante !

Restructurer le territoire de façon autoritaire, c’est nier les principes élémentaires de la démocratie.

Certes, le Gouvernement a une vision de l’organisation du territoire : quelques grands pôles de compétitivité drainant l’argent public et engendrant une forte rentabilité du capital privé, le reste du pays étant de plus en plus dépourvu de moyens…

Cette vision s’oppose à un développement harmonieux du territoire. Elle renforcera les inégalités et la désertification de zones importantes. Ce n’est pas ce qu’attendent les citoyens.

Ces derniers devraient pour le moins pouvoir décider eux-mêmes, mais ils sont, hélas ! les grands absents du projet de loi.

Vous l’avez bien compris, nous refusons cette reprise en mains par l’État, opérée notamment par le biais des pouvoirs accrus accordés aux préfets.

Nous refusons la diminution du nombre d’élus, qui les éloignera des citoyens.

Nous refusons l’embrouillamini des nouvelles structures, incompréhensibles pour les gens et qui, en tout état de cause, sonneront le glas des communes et des départements, échelons proches et compréhensibles.

Tout cela n’a rien à voir avec l’intercommunalité choisie.

Les sénateurs ont accepté en première lecture nos amendements prévoyant la consultation des comités techniques permanents et le maintien des acquis des agents territoriaux. C’était bien le moins que notre assemblée pouvait faire à leur égard.

Cependant, cela ne change rien au fait que la diminution accélérée des dépenses publiques et la réduction de leurs moyens à laquelle les collectivités sont acculées, avec en ligne de mire des transferts aux grands groupes privés, amèneront une dégradation des services publics locaux et du statut des agents publics.

Mes chers collègues, le débat n’est pas fini, loin s’en faut, si l’on en juge par le nombre d’amendements déposés sur le texte, mais aussi par les résistances très fortes, dont on ne peut que se réjouir, à cette réforme des collectivités locales.

Nous nous inscrivons dans ce débat en opposant une démarche à celle du Gouvernement : la démocratie pour les citoyens, la libre administration des collectivités locales, la réponse aux besoins des habitants, et donc la défense des services publics et de leurs agents.

Monsieur le ministre, vous disiez hier que c’était là le débat démocratique, mais le droit au débat démocratique n’est pas octroyé ! Il a été conquis de haute lutte, dans la rue et dans les urnes, par nos prédécesseurs et il concerne d’abord les citoyens. Il faudrait donc que ceux-ci soient consultés et puissent donner leur avis éclairé sur ce type de réforme.

Mon groupe espère que la raison l’emportera. Pour sa part, il votera contre une réforme dangereuse pour l’avenir de nos collectivités et, par conséquent, de nos concitoyens. §

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