Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il n’est pas possible d’aborder ce débat sur la réforme des collectivités locales sans tenir compte du contexte dans lequel il s’inscrit.
Nous avons bien conscience que nous entrons dans une période de rigueur budgétaire et que, dans le cadre des choix opérés par le Gouvernement, les collectivités locales sont mises à contribution, alors qu’elles subissent déjà elles-mêmes l’impact de la crise.
Ainsi, les conséquences du gel annoncé des dotations de l’État aux collectivités seront aggravées pour les collectivités d’outre-mer, alors que celles-ci doivent faire face au rattrapage des retards accumulés et aux besoins sans cesse croissants générés par la progression démographique, sans parler des déficits de moyens liés à des transferts de compétences insuffisamment compensés.
La situation sociale et économique de nos régions est très grave et extrêmement préoccupante : les mouvements sociaux survenus l’an dernier aux Antilles et à la Réunion l’ont rappelé. Nous devons toujours avoir en tête les chiffres disponibles en la matière : à la Réunion, 52 % de la population est au-dessous du seuil de pauvreté ; 30 % de la population active est privée d’emploi ; 30 000 foyers attendent un logement social...
Les collectivités locales sont confrontées à cette situation sociale et, dans les faits, supportent des dépenses de fonctionnement aussi indues qu’élevées, alors même que les besoins en infrastructures et en équipements sont colossaux, qu’il s’agisse du traitement de l’eau, des déchets, des déplacements, du bâti scolaire, etc.
C’est pourquoi nous ne devons entretenir aucune illusion : si les moyens financiers du développement font défaut, si les finances des collectivités sont mises à mal, aucune réforme administrative ne permettra de régler les problèmes fondamentaux du développement. Le débat décisif concerne non pas le nombre des assemblées – une, deux, ou trois –, mais la question de savoir quels moyens seront mis au service de quelles compétences.
Dans un tel contexte, nous considérons que les motivations qui sous-tendent la réforme envisagée sur le plan de la métropole seront inopérantes en outre-mer, singulièrement à la Réunion.
En métropole, la création du conseiller territorial commun à la région et au département semble vouloir répondre à un besoin accru de proximité et d’ancrage territorial.
À la Réunion, cette question s’inscrit dans un cadre totalement différent, puisque notre île est une région monodépartementale, comportant un conseil régional et un conseil général couvrant le même territoire. Elle compte vingt-quatre communes et chacune de celles-ci contient un ou plusieurs cantons ; la totalité du territoire est couverte par cinq établissements intercommunaux, chiffre qui sera bientôt ramené à quatre.
La combinaison des compétences du conseil général, des communes et des EPCI sur l’ensemble du territoire permet de prendre en compte les besoins de proximité, notamment l’action sociale pour le département et les communes.
Parallèlement, le conseil régional doit se projeter dans l’avenir en assumant les compétences liées aux enjeux fondamentaux du développement, que ce soit en matière d’aménagement, de développement économique, de routes nationales, de formation, de coopération régionale, etc.
Cette répartition de compétences est en adéquation avec les modes d’élection : les cantons pour une mission de proximité, le scrutin proportionnel à l’échelon régional pour l’approche globale du développement.
Il convient également de souligner que la répartition des compétences entre les régions et les départements en outre-mer n’est pas la même qu’en métropole. Par exemple, outre-mer, les régions sont compétentes pour les routes nationales, alors que, en métropole, ce sont les départements. De même, les prérogatives fiscales des régions d’outre-mer sont tout à fait spécifiques. Je pense notamment à la taxe spéciale de consommation des carburants alimentant le Fonds d’investissement pour les routes et les transports, ainsi qu’à l’octroi de mer.
Certes, le schéma actuel n’est pas parfait, mais il correspond à une certaine logique.
Appliquer mécaniquement à la région monodépartementale de la Réunion le droit commun envisagé à l’échelon national et élire sur un même territoire des conseillers territoriaux au scrutin cantonal aboutirait à une caricature d’assemblée unique et se traduirait, dans les faits, par des aberrations. Ainsi, il nous paraît inconcevable que la même assemblée unique de conseillers territoriaux élise deux présidents d’assemblée, deux commissions permanentes, et que ses membres siègent un jour à la région, l’autre au département. Au-delà des obstacles juridiques d’ordre constitutionnel qui remettent en cause cette conception, celle-ci paraît totalement inopérante dans les faits. On voudrait discréditer la solution consistant à instaurer une réelle assemblée unique qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! De plus, cette mesure porterait gravement atteinte au principe de la parité, déjà mis à mal par ailleurs.
Nous prenons acte que, lors du vote du projet de loi à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a renoncé à ce schéma.
Nous prenons également acte que la totalité de la représentation réunionnaise à l’Assemblée nationale a condamné l’application mécanique du droit commun national à la situation réunionnaise et s’est prononcée, en l’état actuel du débat, pour le maintien du statu quo, le temps d’approfondir la réflexion.
Le Gouvernement s’est donné un délai de dix-huit mois pour faire émerger une solution pour la Réunion et la Guadeloupe. Il est évident que toute solution devra être le fruit d’une réelle concertation avec l’ensemble des élus de nos départements. C’est pourquoi nous considérons qu’il appartiendra à la représentation nationale de se saisir de ce débat et qu’il ne serait pas opportun, compte tenu de la complexité et de l’importance de ce dernier, que le Gouvernement légifère par voie d’ordonnance pour ce qui concerne les départements d’outre-mer, comme le prévoit l’article 40 du présent projet de loi, modifié.
Mes chers collègues, vous comprendrez donc que je soutienne sans réserve aucune l’amendement présenté par notre collègue Jacques Gillot.
Tant pour des raisons de forme que de fond, nous ne pouvons que nous opposer au projet de loi soumis à notre examen, tel qu’il est actuellement rédigé.