Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 29 juin 2010 à 15h00
Réforme des collectivités territoriales — Suite de la discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

… des territoires qui souffrent de la crise économique, s’inquiètent de perdre des services publics, mais qui portent pourtant une partie de l’avenir de notre pays.

Messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, à d’autres mesures déstructurantes, aux pertes d’emplois, à la précarité qui meurtrit, n’ajoutez pas un projet institutionnel qui affaiblira la proximité, réduira les partenariats entre les niveaux de collectivités, détruira des réseaux, fera régresser la démocratie territoriale.

Par la qualité de vie qu’ils offrent, les communes et les bourgs ruraux seront un atout pour une France moderne s’ils sont dotés de voies de communication et de réseaux, mais aussi s’ils sont animés d’une vie sociale, citoyenne et démocratique. Ne leur portez pas le coup de grâce en déstabilisant leur organisation territoriale et en supprimant le contact humain.

La force de la ruralité tient aujourd’hui à son formidable et irremplaçable réseau de maires et de conseillers municipaux, ces élus locaux qui ne coûtent rien, ou quasiment rien, et qui réinvestissent souvent leurs modestes indemnités dans l’action sociale.

Ce sont des femmes et des hommes dévoués, qui ne comptent jamais leur temps, qui remettent en état de fonctionnement le château d’eau ou les cloches de l’église, qui sont porteurs à la fois de l’identité et de l’histoire de leur commune, mais aussi de projets de regroupements scolaires, de modernisation de réseaux, des femmes et des hommes qui préparent l’avenir, assurant en même temps le premier niveau de vie démocratique et la base du lien social.

En instaurant la commune nouvelle, vous ne pouvez nier vouloir, à l’instar de pays voisins, inscrire l’effacement du niveau communal dans un proche avenir.

Pourquoi vouloir détruire ce qui demeure sans conteste une spécificité française ? Cette originalité est non pas une faiblesse, mais bien une richesse humaine, une force d’initiative, un ciment pour notre société.

Cette révolution de nos campagnes, sur laquelle vous avancez masqués, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, aurait pu être l’occasion d’approfondir les relations entre la commune et la communauté de communes ou la communauté d’agglomération. Elle aurait pu être l’occasion d’une avancée démocratique là où, pour le coup, toute visibilité citoyenne est absente. Elle aurait pu être l’occasion de clarifier l’exercice des compétences, car là est bien la faiblesse de notre système actuel.

Aujourd’hui, la seule légitimité démocratique provient du scrutin communal. Les conseillers municipaux qui ne siègent pas dans les conseils communautaires ne comprennent pas le fonctionnement des établissements intercommunaux.

Le fléchage que vous proposez de mettre en place n’apporte pas une réponse satisfaisante au problème central de l’intercommunalité. Sur ce point, qui touche à la vie quotidienne, à la démocratie la plus proche et la plus appréciée des citoyens, vous avez manqué d’audace et d’imagination messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, peut-être parce que vous n’êtes pas porteurs de l’idée et du concept de décentralisation.

Vous avez manqué l’occasion de rapprocher dans notre pays le fonctionnement du bloc local et les exigences de base de la démocratie.

Enfin, avec le conseiller territorial – j’avais parlé à son propos d’EGM, pour « élu génétiquement modifié » –, ce sont des sommets d’hypocrisie et d’absurdité qui sont atteints ! Cette nouvelle institution devait, disait-on, coûter moins cher ; aujourd'hui, plus personne n’ose avancer un tel argument…

En revanche, les départements seront affaiblis avant effacement ; c’est bien l’objectif recherché. La nature des régions sera profondément modifiée, avec des gouvernances souvent impossibles.

Certes, le redécoupage des cantons – on se demande bien dans quelle marmite vous allez nous mitonner le vôtre – et l’élection de l’assemblée départementale pour une durée de six ans sont des demandes anciennes. Mais quels dégâts !

Comment peut-on à ce point méconnaître le rôle et le fonctionnement de nos collectivités territoriales ? Pourquoi amorcer la disparition de l’échelon départemental comme acteur public essentiel ? Comment pourrait-on accepter cette perte de la proximité essentielle à la mise en œuvre des politiques de solidarité entre les hommes et les territoires, proximité qui est la raison d’être des conseillers généraux, qui est leur force, leur légitimité et qui donne tout son sens à leur engagement ? Comment pourrait-on l’accepter, sauf à porter un coup de poignard à la ruralité en détruisant ce qui en est aujourd’hui le moteur, le partenariat communes-intercommunalité avec le département ?

Les conseillers généraux ruraux de toutes sensibilités sont effarés des annonces faites à propos de ces nouveaux cantons et de l’éloignement qui en résultera, rendant illusoire le maintien du travail d’écoute, de relais et de porteurs de projets qui est aujourd'hui le leur.

Et que dire de la région – on pourrait évoquer la « nouvelle région » –, qui a besoin, elle, d’une distance nécessaire pour mettre en place du capital-risque, de la recherche et développement, des pôles universitaires, des filières économiques ?

Du département à la région, votre projet de réforme n’est pas du « gagnant-gagnant » ; c’est du « perdant-perdant » ! Malheureusement !

Votre projet est dangereux pour notre organisation territoriale. Il n’allège pas ; au contraire, il crée de nouveaux niveaux. Il ne simplifie pas ; au contraire, il installe la confusion. Il ne génère pas plus de démocratie, il ne donne pas plus d’efficacité ; au contraire, il limite les partenariats et les financements croisés.

De surcroît, et c’est le plus grave à mes yeux, ce projet de réforme est bien de nature thatchérienne. Après une atteinte à l’autonomie fiscale, sinon financière, des collectivités territoriales, il vise à la réduction de l’action publique territoriale.

Parce qu’ils n’ont pas de locomotive urbaine, les territoires ruraux en seront les premières victimes, avec l’affaiblissement du département, auquel nos concitoyens sont pourtant si attachés.

Les territoires ruraux, ce sont 11 millions de femmes et d’hommes porteurs de l’histoire et de l’avenir de notre pays. Ils méritent attention, considération et équité.

Messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, de la confusion totale dans laquelle votre projet de réforme s’engouffre de semaine en semaine ne pourrait-il pas naître un éclair de raison, sinon de sagesse ? Retirez votre projet avant que la voix des femmes et des hommes des territoires ruraux dans notre pays ne devienne un cri de désespoir, puis un cri de révolte !

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