La motion que vous venez de présenter, monsieur Mézard, tend à opposer l’exception d’irrecevabilité, dont l’objet, selon l’article 44 du règlement du Sénat, est de « faire reconnaître que le texte en discussion […] est contraire à une disposition constitutionnelle, légale ou réglementaire ».
À l’appui de cette motion, vous soulevez deux arguments.
Premièrement, vous estimez que le texte soumis en deuxième lecture au Sénat comporte des dispositions nouvelles que le Gouvernement s’était initialement engagé à insérer dans des projets de loi distincts. Or vous considérez que ces nouveaux articles modifient de façon substantielle l’économie générale du texte et qu’ils auraient dû, par conséquent, faire l’objet d’une lettre rectificative.
Je ne peux vous suivre sur ce point.
Il est vrai que l'Assemblée nationale a introduit, par voie d’amendements, deux séries de dispositions qui ne figuraient pas dans le texte voté par le Sénat en première lecture. Elle a supprimé l’article 1er A, qui avait été introduit en première lecture par le Sénat, et a voté plusieurs dispositions à caractère électoral ayant trait au conseiller territorial. Elle a également transformé l’article 35 en plusieurs articles qui déclinent juridiquement les principes contenus dans cet article, jusqu’alors dénués de portée normative.
Dans les deux cas, il n’y a pas eu de bouleversement de l’économie générale du projet de loi, puisque l'Assemblée nationale s’est appuyée sur des dispositions qui figuraient dans le texte qui lui avait été transmis par le Sénat, à savoir celles des articles 1er A et 35. Elle n’a fait qu’utiliser le droit d’amendement que lui confère le premier alinéa de l’article 44 de la Constitution, qui dispose que « les membres du Parlement […] ont le droit d’amendement ».
La jurisprudence du Conseil constitutionnel et, tout récemment, le pouvoir constituant ont eu l’occasion d’encadrer précisément ce droit d’amendement.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a ainsi modifié l’article 45 de la Constitution, qui dispose désormais que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Cette modification constitutionnelle consacrait en réalité l’état de la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel.
Or je crois que nous pourrons convenir ensemble que les amendements introduits à l’Assemblée nationale en première lecture n’étaient pas dépourvus de tout lien, même indirect, avec le projet de loi.
Deuxièmement, monsieur Mézard, vous estimez que les dispositions introduites en première lecture par l’Assemblée nationale ont pour objet principal l’organisation des collectivités territoriales et que, par conséquent, elles auraient dû être soumises d’abord au Sénat, selon les termes du deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution, qui dispose que « les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ».
Le Gouvernement a pleinement respecté cette obligation constitutionnelle, puisqu’il a déposé sur le bureau du Sénat, au cours du mois d’octobre 2009, les quatre projets de loi que vous avez mentionnés.
Mais surtout, il faut lire l’article 39 de la Constitution, auquel vous vous référez, dans son intégralité. Son deuxième alinéa dispose ainsi que « sans préjudice du premier alinéa de l’article 44 – c’est-à-dire du droit d’amendement des membres du Parlement –, les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ». L’Assemblée nationale était donc tout à fait en droit d’introduire les dispositions en question par voie d’amendements, dans les limites constitutionnelles que je viens de rappeler.