Intervention de Annie David

Réunion du 23 janvier 2008 à 15h00
Pouvoir d'achat — Exception d'irrecevabilité

Photo de Annie DavidAnnie David :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre système politique est organisé, depuis l'après-Seconde Guerre mondiale, autour de trois textes majeurs, auxquels le Conseil constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle dans sa décision « Liberté d'association », fondatrice s'il en est, en date du 16 juillet 1971.

Cette décision, que de nombreux observateurs ont qualifiée de « révolution constitutionnelle », changea de manière considérable l'approche constitutionnelle de notre pays.

D'une part, elle traduit la place nouvelle que prend le Conseil constitutionnel, qui revêt le caractère de défenseur des droits fondamentaux des citoyens, ce qui lui confère une mission à la fois importante et cruciale. Il n'est plus seulement « une arme pointée contre le Parlement ».

D'autre part, et surtout, dans cette décision, faisant référence au Préambule de la Constitution de 1946, il renvoie à la notion de « bloc de constitutionnalité », en considérant que le Préambule de la Constitution de 1946, celui de la Constitution de 1958 et la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen ont tous une portée constitutionnelle.

Dès lors, il n'y aura plus qu'une seule référence constitutionnelle dans notre pays, principalement axée sur l'organisation politique et institutionnelle.

Il y aura aussi, et il y a toujours, un certain nombre de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Ces principes, humains et sociaux, fruits d'une construction progressive marquée par les évolutions sociétales de notre pays, ont construit la République dans laquelle nous vivons, une République tournée vers la paix, la démocratie, la reconnaissance des droits individuels et collectifs et qui affirme, permettez-moi de le rappeler ici, comme l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Je ne reviendrai ni sur la notion de démocratie ni sur celle de laïcité, bien que des faits présidentiels récents m'en donnent l'envie. Vous l'aurez compris, c'est à la référence à une République sociale que je m'attacherai, cette référence, issue des Lumières, héritage de la Révolution française dans son aspiration à en finir avec les privilèges, alors que certaines décisions présidentielles, là encore, semblent traduire sur ce sujet la volonté de faire un retour en arrière ; héritage de la Révolution donc, mais héritage réapproprié et reconstruit par les femmes et les hommes de progrès qui, durant la Seconde Guerre mondiale, construisirent pour la future France libre un projet de société intitulé « programme national de la Résistance, qui sera, dès le sortir de la guerre, la base fédératrice pour la reconstruction de notre pays.

Ne vous en déplaise, cette référence à une république sociale constitue la singularité même de notre régime ; plus qu'une spécificité, elle est, à n'en pas douter, l'exception française même.

Pourtant, ces garanties constitutionnelles ne vous empêchent pas de nous présenter des projets de lois de plus en plus intolérables - la privatisation du service public de l'emploi, avec ses conséquences sur le statut des agents ; bientôt, la rétention de sûreté, qui créé une seconde condamnation à vie -ou encore des textes comportant des mesures inacceptables, comme les tests ADN.

Ces décisions sont toujours validées par le Conseil constitutionnel, dans une opacité certaine ; à n'en pas douter, notre démocratie aurait besoin d'une autre forme de contrôle de constitutionnalité, qui favoriserait, notamment, le lien direct entre cette institution et les citoyens.

Aussi, le présent projet de loi mérite d'être analysé au regard de cette construction constitutionnelle. Il nous faut l'appréhender sous le double éclairage de la Constitution de 1958 et du Préambule de 1946.

En décidant de faire de notre république une république sociale, les constituants ont eu à coeur de développer tout à la fois la France et les droits de celles et ceux qui la construisent. Ils ont souhaité bâtir une France de progrès, un pays où l'évolution serait toujours positive, l'avenir toujours une avancée, et où tous les citoyens auraient droit à une protection, que ce soit en matière de santé, de sécurité, ou encore de logement.

Le Préambule de la Constitution de 1946 garantit, quant à lui, à chacun des Français le devoir et le droit de travailler. Or, vous le reconnaîtrez sans peine, ce droit est aujourd'hui plus qu'ignoré, et votre projet de loi aggravera cette situation, car son dispositif est inique : il crée des inégalités, en ne s'adressant, au final, pour toutes ses dispositions - sauf une sur le logement - qu'aux Français qui travaillent.

Pas un mot, pas un geste pour les étudiants, les retraités ou ceux qui, en raison des règles économiques libérales, se trouvent privés d'emploi ! Et encore, quand je parle de ceux qui travaillent, je devrais évoquer les salariés qui bénéficient de RTT, d'heures supplémentaires ou de comptes épargne-temps. Pour les autres, et ils sont sans doute les plus nombreux, c'est la règle de l'arbitraire qui s'applique, celle du bon vouloir de l'employeur.

Vous avez donc tricoté un projet de loi qui, en cinq articles initiaux seulement, réussit l'exploit de ne pas répondre au problème du pouvoir d'achat et de violer les principes d'égalité qui fondent notre société, en instaurant autant de règles qu'il y a de situations différentes !

Pour vous, modernité signifie règle du particulier. Vous n'avez cure des droits collectifs, et les principes fondamentaux de notre république n'ont pour vous de valeur que s'ils sont individualisés, quitte à oublier au passage une ou plusieurs catégories de nos concitoyens. C'est le cas ici, je le répète, des étudiants et des retraités, qui devront encore se serrer la ceinture, si tant est que votre projet de loi produise un jour des résultats.

En effet, monsieur About, vous nous disiez tout à l'heure que, grâce à ce texte, nos concitoyens pourraient gagner plus en travaillant plus. Mais encore faut-il qu'ils travaillent !

Le signal envoyé aux Français est limpide : c'est la fin de la république sociale qui voulait le progrès pour tous ses citoyens. C'est le règne du « chacun son tour », quand ce n'est pas le chacun pour soi. C'est le triomphe du partage de la misère, alors que les bénéfices des entreprises du CAC 40 s'étalent au grand jour.

Le département dont je suis l'élue n'échappe pas à ce triste constat de la montée du mal-être social et de la pauvreté : les restructurations, délocalisations et autres plans de licenciements rythment le quotidien de l'activité économique en Isère, et ce sont les salariés qui en subissent les conséquences, au nom du profit et de la libre concurrence.

La liste des entreprises qui ont eu recours à de telles pratiques ces dernières années est longue. On peut évoquer, pour en citer seulement quelques-unes, Poliméri - j'ai, d'ailleurs, interrogé Mme Lagarde, ministre de l'économie, sur les derniers développements européens de ce dossier, et j'attends sa réponse -, Arkéma, le groupe Total, LAF, ainsi que, plus récemment, Ascométal ou Rhodia pour la chimie ; malheureusement, les exemples ne manquent pas en Isère.

Dans ces conditions, on ne peut que constater la fin de cette république sociale, de ces valeurs dont il ne reste plus qu'un souvenir. En effet, quand le législateur intervenait, même dans un passé récent, il avait à coeur d'agir pour toutes et tous. Il ne fragmentait pas le corps citoyen comme vous le faites, monsieur le ministre. Il existait des principes communs, une règle commune, à savoir que le progrès se partage entre tous. Au lieu de cela, votre gouvernement individualise les mesures et rompt, ce faisant, avec la tradition de solidarité de notre pays.

Notre Constitution précise que notre République est « une et indivisible ». Il ne s'agissait pas seulement de garantir les frontières de notre pays et d'empêcher les velléités indépendantistes de quelques régions. Il s'agissait aussi de faire de la France une république des égalités humaines, conformément à la devise de notre pays, inscrite au fronton de toutes nos mairies et écoles.

En effet, en écrivant que notre République était une et indivisible, les constituants, à n'en pas douter, voulaient affirmer qu'il en allait de même de notre peuple. Or que faites-vous ? Vous divisez nos concitoyens en autant de « publics », de cibles, comme on dit dans un domaine que vous affectionnez particulièrement, celui de la publicité.

La question du pouvoir d'achat devenant la priorité des Français, il vous fallait agir, et vite, avant les élections municipales ; nous sommes désormais habitués à cette précipitation !

Toutefois, au-delà de l'affichage politique et du « plan médias » déployé par votre gouvernement, on comprend mal, pour ne pas dire pas du tout, la raison pour laquelle vous avez déclaré l'urgence - je reviendrai sur ce point -, mais on saisit parfaitement la logique qui vous anime : il vous fallait un projet de loi qui prouve votre intérêt pour la France qui travaille, ce qui n'était pas vraiment le cas jusqu'ici.

Avec la loi TEPA, vous avez montré votre intérêt pour la France qui hérite et celle qui crée des emplois précaires, et ce ne sont pas vos exonérations des heures supplémentaires qui viendront modifier la situation, loin s'en faut.

Dans l'urgence donc, pour ne pas dire dans la précipitation, vous avez élaboré ce texte. Aucun budget n'est prévu pour ce projet de loi, alors que c'est à grand renfort de fonds publics que vous avez financé la loi TEPA - à hauteur de 15 milliards d'euros, rappelons-le -, des sommes qui manquent d'ailleurs cruellement à l'État aujourd'hui ; et le Président de la République de constater, ironie suprême, qu'il ne peut rien faire puisque les caisses sont vides !

Il vous fallait donc une loi qui ne coûte rien à l'État, qui soit prête rapidement, avant les municipales, et dont le titre au moins réponde aux préoccupations des Français. C'est chose faite !

En effet, cette loi, que l'UMP, en majorité bien disciplinée qu'elle est, ne manquera pas de voter, ne coûtera pas un euro à l'État : la monétisation des RTT, celle des repos compensateurs ou le rachat du solde des comptes épargne-temps étant laissés au bon vouloir de l'employeur, l'État ne mettra rien de sa poche.

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