...et, paradoxalement, de nombreux économistes d'inspiration marxiste ; s'y sont également ralliés les médias et l'establishment.
Même si c'est pour des raisons différentes, tous pensent que la consommation est une faute économique qui détourne les ressources de l'investissement productif.
Pour eux, la baisse des salaires est le moyen de stimuler l'investissement, de réduire les importations, d'augmenter les exportations, de contenir l'inflation, de garantir une monnaie forte et le bonheur de tous. L'endettement des particuliers et encore plus celui de l'État - source d'inflation - doivent être strictement encadrés.
Ruminant le dictionnaire des idées reçues selon lequel « avant de consommer, il faut produire », répétant le principe de Say qui veut que l'offre crée la demande, ils n'envisagent pas un instant que l'entrepreneur puisse investir et produire seulement s'il a l'espoir de rencontrer une demande, donc un pouvoir d'achat. À part cela, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, « pas une once d'idéologie » !
La condition de la « compétitivité », garantie de l'exportation, c'est l'appauvrissement, au moins relatif, de ceux qui travaillent, avec pour contrepartie, dans le meilleur des cas - et c'est précisément ce sur quoi le Gouvernement veut revenir -, l'allégement du temps de travail. Celui-ci est d'ailleurs tout théorique puisque, selon Eurostat, les Français travaillent en moyenne 36, 4 heures par semaine, contre 36, 1 heures pour les populations des Quinze, 34, 5 heures pour les Allemands et 34, 6 heures pour les Danois.
En ce qui concerne la productivité, vous le savez comme moi, monsieur le ministre, le but a été largement atteint. Je ne cite pas les chiffres, mais vous n'ignorez pas que nous venons en tête en Europe et que nous nous plaçons devant l'Allemagne et le Royaume-Uni.
D'après une étude du Bureau of labor statistics américain, en 2005, un travailleur français aura produit 71 900 dollars de richesse. C'est moins qu'un Américain - 81 000 dollars -, mais plus qu'un Anglais - 64 100 dollars -, qu'un Allemand - 59 100 dollars - ou qu'un japonais - 56 300 dollars. Au cours actuel de l'euro, ces résultats nous seraient encore plus favorables.
Selon Éric Heyer, directeur adjoint du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, « le coût du travail en France n'est pas le principal obstacle à la compétitivité française, puisque les coûts salariaux sont compensés par une productivité plus forte, ce qui nous ramène à des coûts salariaux unitaires plus faibles que la moyenne européenne ».
Pour amener les Français à travailler plus dur sans en tirer profit, il a fallu enfermer le pays dans un carcan de contraintes. Tel fut le rôle que l'on a fait jouer à l'Europe : Banque centrale européenne indépendante, avec pour seul objectif la stabilité monétaire et la lutte contre l'inflation - que celle-ci existe comme aujourd'hui ou qu'elle n'existe pas, comme c'était jusqu'à présent le cas -, limitation stricte des déficits budgétaires, culte de l'euro fort, absence de politique économique, sociale et fiscale commune, absence de politique des changes et, depuis 1974, ouverture à la mondialisation.
Comme le remarque le prix Nobel d'économie Maurice Allais, « la politique de libre-échange mondialiste poursuivie par l'Organisation de Bruxelles a entraîné à partir de 1974 la destruction des emplois, la destruction de l'industrie, la destruction de l'agriculture, et la destruction de la croissance ».
Le paradoxe est le suivant : loin de constituer un espace de production et d'échanges unifié, capable de se protéger de l'extérieur, l'Europe fonctionne comme si le marché unique n'existait pas, sauf quand il s'agit de faire jouer une concurrence inégalitaire pour peser sur les salaires. Elle agit comme s'il n'y avait pas de monnaie unique.
Aux États-Unis, calculer le déficit commercial de l'État du Minnesota par rapport à celui de la Californie n'aurait aucun sens. Dans la zone euro, le déficit de la France à l'égard de l'Allemagne équivaut à son déficit vis-à-vis de la Chine. De deux choses l'une : ou bien l'euro est une véritable monnaie unique et les échanges de la zone euro avec l'extérieur constituent la seule réalité significative, ou bien ce n'est pas le cas et l'euro n'est pas une monnaie unique.
La politique de « désinflation compétitive » assortie de cette étrange politique monétaire a conduit à la cannibalisation des Européens par eux-mêmes, les Allemands excellant à ce sport.
Comme le fait remarquer Guillaume Duval dans un article au titre évocateur, L'Allemagne prédatrice, la cure d'austérité draconienne pour abaisser le coût du travail que s'inflige l'Allemagne depuis une dizaine d'années en fait un « boulet pour l'Europe ». Les Allemands vendent à leurs partenaires de la zone euro, mais leur ferment progressivement leur marché.
Guillaume Duval poursuit : « Ce qui n'est pas rassurant, c'est que ces surplus commerciaux gigantesques sont accumulés aux dépens des voisins européens de l'Allemagne, contribuant en particulier à mettre leurs industries en difficulté. En effet les excédents allemands à l'égard du reste du monde stagnent depuis quatre ans déjà, tandis que ceux dégagés avec les autres européens ont continué de croître. Au point de représenter 100 milliards d'euros en 2006, pratiquement les deux tiers du total. Depuis le début des années 2 000, la poursuite des politiques de baisse du coût du travail voulues par les gouvernements allemands est donc devenue prédatrice : il s'agit désormais d'un véritable dumping social vis-à-vis de ses voisins européens. En particulier de la France qui affiche un déficit extérieur aussi important à l'égard de l'Allemagne que de la Chine. »
Vous l'avez constaté, monsieur le ministre, les derniers chiffres du commerce extérieur français confirment cette analyse. Or on continue de nous donner l'Allemagne pour modèle et l'on entend pérenniser le carcan européen, comme si aucune autre forme d'Europe n'était possible !
En appliquant la théorie qui consiste à se serrer la ceinture, les salariés permettront à leur entreprise d'investir plus et de créer des emplois, les profits d'aujourd'hui faisant les investissements de demain et les emplois d'après-demain, comme le dit encore le dictionnaire des idées reçues !