Cet amendement a pour objet de supprimer le II de l'article L. 212-15-3 du code du travail, qui prévoit que les salariés assujettis aux forfaits hebdomadaire, mensuel ou annuel peuvent avoir des durées de travail supérieures à la durée légale si une convention collective de branche ou un accord individuel le prévoit et détermine des mécanismes de contrôle.
Monsieur le ministre, en écoutant les déclarations gouvernementales, on devine que cela ne vous choque pas, loin s'en faut. Car vous rêvez, en fait, d'imposer les mécanismes applicables aux cadres à tous les salariés. Je pense, par exemple, à la détermination, par accord de gré à gré, de la durée légale du travail.
Or, vous le savez, les cadres subissent à leur manière une pression telle qu'il faudrait intervenir. Selon une étude du CNRS, ce sont chaque année 300 à 400 salariés qui se suicident dans l'entreprise. Il est impossible de ne pas faire le rapprochement entre souffrance et situation professionnelle.
Pour Christophe Dejours, psychiatre et directeur du Laboratoire de psychologie du travail et de l'action du Conservatoire national des arts et métiers, cela est principalement dû à l'effritement des solidarités - dans l'entreprise, comme dans la société dans son ensemble -, mais aussi aux exigences et aux rythmes insoutenables de l'entreprise.
Un article de Nicolas Bourgoin, chercheur à l'Institut national d'études démographiques, intitulé Suicide et activité professionnelle, fait le lien entre les deux. Il analyse un double phénomène : d'un côté, plus les salariés sont pauvres, plus ils se suicident ; de l'autre, le suicide se multiplie également dans certaines catégories professionnelles particulières, comme les instituteurs et les cadres. À mon époque, les conditions de travail des instituteurs étaient différentes ! Pour ce chercheur -l'ensemble des syndicalistes confirment son hypothèse -, cela est dû à la pression grandissante qui pèse sur eux.
On se souviendra, par exemple, des suicides de travailleurs du technocentre de Renault à Guyancourt. La CGC, FO, la CFTC et la CGT ont alors exigé que l'entreprise fasse appel à un cabinet agréé par les pouvoirs publics pour enrayer le malaise. Selon le rapport de ce cabinet, « les conditions de travail sont telles que cela peut craquer à tout moment ». Le président-directeur général, Carlos Ghosn, l'a presque reconnu implicitement.
Vous en conviendrez, il est urgent d'agir, d'autant que l'article L. 212-5-3 du code du travail étend le dispositif d'annualisation aux salariés non cadres. Cela correspond à l'exigence patronale d'une flexibilité du travail autour de « contrats qualité », pour reprendre l'appellation retenue. D'ailleurs, les faits sont têtus : chez Renault - d'autres entreprises sont concernées, mais c'est le cas qui a le plus marqué l'opinion publique -, les suicides se sont multipliés après l'adoption d'un contrat de ce type, intitulé « contrat 2009 », qui a eu pour conséquence de pressurer plus encore les salariés et d'affecter leurs conditions de travail.
Avec cet amendement, nous entendons donc revenir sur des éléments que les lois Aubry - et notamment la loi Aubry II - ont mal mesurés, et que votre politique a aggravés. Nous entendons garantir le droit à des horaires stables, qui seraient clairement définis non pas dans la relation contractuelle entre l'employeur et le salarié, mais dans la convention collective.