Intervention de Annie David

Réunion du 23 janvier 2008 à 15h00
Pouvoir d'achat — Article 2

Photo de Annie DavidAnnie David :

Cet article 2 a, chacun le sait, un air de « déjà vu ».

En effet, parmi les mesures qu'il comporte figure le déblocage anticipé de la réserve spéciale de participation, réserve constituée de manière obligatoire dans l'ensemble des entreprises de plus de cinquante salariés et qui vise, depuis les ordonnances de 1967, à faire « participer les salariés aux fruits de l'expansion de l'entreprise » ; Mme Debré nous l'a d'ailleurs rappelé cet après-midi.

Mais cette mesure a déjà été expérimentée dans le passé puisque la loi Sarkozy du 9 août 2004 relative au soutien à la consommation et à l'investissement comprenait une disposition analogue, dans son article 5. La mesure a donc clairement un air de « déjà vu again », comme disent nos amis anglais.

Nous avions souligné à l'époque certains éléments clés du débat.

Nous avons toujours eu, expliquions-nous alors, une approche critique de l'épargne salariale, dès qu'il a été question de participation et d'intéressement des salariés aux résultats.

Depuis quelques années, constations-nous, l'épargne salariale s'inscrit dans le cadre de la modération salariale, qui est elle-même liée au pacte de stabilité et au fléau que constitue le chômage de masse.

Pour certains, l'épargne salariale serait un équivalent fonctionnel des augmentations de salaire et renforcerait la culture d'entreprise. En fait, l'épargne salariale vise avant tout à faire peser une partie du risque financier sur les salariés. Il ne s'agit en rien d'augmentations de salaire puisque les sommes placées sont indisponibles pendant cinq ans et ne peuvent donc être consacrées à la consommation.

Toutefois, l'article 3 du texte initial du projet de loi initial de 2004, dont l'enjeu était relativement important puisque les estimations évoquaient le déblocage de 5 milliards d'euros d'épargne salariale constituée, nous conduisait à nous interroger sur l'objectif réel de la mesure et se représenter ses éventuels effets pervers.

En effet, au bout du compte, nous le savons, ce sont toujours l'emploi, les capacités de production, les investissements durables qui paient la note des épuisantes guerres boursières.

À la limite, cet article 3 était contre-productif au regard des intentions et des objectifs affichés dans le projet de loi !

Nous demandions en fin ce qui nous garantissait que l'épargne débloquée serait affectée à la consommation de biens et de services. Vous le savez, cela n'a pas été le cas ! Certains d'entre vous nous l'ont même rappelé !

Nous doutions que ce fût l'objectif essentiel de cet article 3. Nous pensions même qu'il était plutôt chaudement recommandé aux salariés d'orienter leur épargne vers les nouveaux plans d'épargne retraite populaire, qui étaient, miraculeusement - et comme par hasard ! -, épargnés par la mesure de déblocage.

La réalité est là : en prônant la modération salariale, l'État ne peut que prendre ce type de mesures qui consistent, en fait, à modifier le point de chute de l'épargne salariale sans trop en modifier l'encours. Pour ne pas avoir à augmenter les salaires, l'État décide d'utiliser autrement l'épargne, fût-elle modeste, que se constituent les salariés.

Cette analyse que nous faisions à l'époque est donc toujours d'actualité. Au demeurant, nous n'avions alors qu'esquissé ce qu'est devenu cet article de loi, c'est-à-dire tout sauf un vecteur de croissance puisque l'argent débloqué a souvent été réinvesti, et non dépensé.

C'est notamment vrai pour les cadres supérieurs et les cadres dirigeants d'entreprise, qui sont largement pourvus en PEA défiscalisés et autres placements rémunérateurs.

Les doutes que nous exprimons sont d'ailleurs renforcés par l'avis, plutôt autorisé, rendu par notre collègue Serge Dassault, dont je vous invite à lire, si ce n'est déjà fait, le rapport pour avis fait au nom de la commission des finances.

En effet, il « estime indispensables les limites apportées au dispositif de déblocage exceptionnel proposé au présent article ». Il « souhaite cependant souligner les incertitudes quant à l'impact attendu sur le pouvoir d'achat ». Enfin, il estime que « le déblocage proposé au présent article pourrait s'élever à 12 milliards d'euros, dont un tiers, soit 4 milliards d'euros, serait affecté à la consommation des ménages, et les deux tiers restants à d'autres produits d'épargne ».

En clair, la mesure qui nous est proposée ne vise, en fin de compte, qu'à permettre aux salariés aux rémunérations les plus élevées d'en tirer réellement parti. Pour la grande masse des actionnaires obligés que sont les salariés des entreprises de plus de cinquante salariés, l'article 2 ne représente qu'un tout petit bonus de quelques dizaines d'euros, c'est-à-dire même pas ce qu'un rattrapage du SMIC à hauteur de l'inflation finalement constatée en 2007 aurait permis de dégager.

Et puis, mes chers collègues, il faudrait tout de même vous entendre sur la question de la détention du capital de nos entreprises ! En effet, en 2004, on débloque les fonds de la réserve spéciale de participation, en 2006, on encourage le développement de la participation, et, en 2008, on « redébloque » de nouveau !

Est-ce ainsi que l'on va faire en sorte de stabiliser l'actionnariat populaire, l'actionnariat salarié, qui correspond tout de même, ne l'oublions pas, à l'un des meilleurs outils de préservation de nos entreprises face aux raids boursiers ?

Il faudrait que le Gouvernement soit cohérent avec son propre discours !

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