Intervention de Roland Ries

Réunion du 5 mai 2011 à 9h00
Sessions plénières du parlement européen à strasbourg — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Roland RiesRoland Ries, auteur de la proposition de résolution :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 mars dernier, les parlementaires européens ont voté l’amendement dit « Fox », du nom du député européen britannique Ashley Fox, amendement ramenant, de fait, de douze à onze le nombre de sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg pour les années 2012 et 2013.

Cet amendement vise à positionner deux périodes de session de deux jours chacune sur une même semaine, aux mois d’octobre 2012 et 2013, en lieu et place des deux sessions de quatre jours prévues initialement au cours de ce mois.

Depuis plusieurs années – vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues –, certains lobbies, emmenés par les plus eurosceptiques des députés européens, s’évertuent à vider de leur contenu les sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg. Le bien-nommé amendement Fox, adopté à la faveur d’un vote à bulletin secret, procédure très rarement utilisée, entre dans cette même logique. Il s’agit là d’une nouvelle attaque visant à remettre en cause le siège du Parlement européen à Strasbourg.

La souveraineté du Parlement européen dans l’organisation de ses sessions ne peut évidemment pas être contestée. En revanche, je regrette l’état d’esprit qui prévaut à ces réorganisations et, surtout, le non-respect manifeste des traités qui, sur ce point, sont sans équivoque : « le Parlement européen a son siège à Strasbourg où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire. » À cet égard, le Gouvernement français, par la voix de M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes, a d’ailleurs clairement fait part, le 14 mars dernier, de son intention de saisir une nouvelle fois la Cour de justice de l’Union européenne, afin de contester la légalité de la décision prise par le Parlement européen.

En outre, la mise en place de deux sessions de deux jours sur une même semaine, alors que toutes les autres sessions plénières se déroulent mensuellement sur une période de quatre jours, contrevient sans nul doute au « rythme régulier » auquel le Parlement européen devrait tenir ses sessions.

Je rappelle en ce sens l’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 1er octobre 1997, arrêt qui a en effet annulé, à la demande de la République française, soutenue devant la cour par le Grand-Duché de Luxembourg – cela sera encore le cas cette fois –, la délibération du Parlement européen du 20 septembre 1995 fixant déjà à onze le nombre de sessions plénières devant avoir lieu à Strasbourg pour l’année 1996. À l’appui de cette décision, l’arrêt mentionnait que « le siège du Parlement est le lieu où doivent être tenues, à un rythme régulier, douze périodes de sessions plénières ordinaires de cette institution ». Il précisait également que « des périodes de sessions plénières additionnelles ne peuvent donc être fixées dans un autre lieu de travail que si le Parlement tient les douze périodes de sessions plénières ordinaires à Strasbourg, lieu du siège de l’institution ». La cour a ajouté par ailleurs qu’« il est cependant constant entre les parties que les périodes de sessions plénières s’étendant d’un lundi à un vendredi se tiennent à Strasbourg ».

Le vote de l’amendement Fox va donc très clairement à l’encontre de la jurisprudence communautaire. Il est également dommageable aux intérêts de l’institution et, plus généralement, de l’Union européenne dans son ensemble. En effet, alors que les pouvoirs du Parlement européen se sont accrus au fil des traités successifs et que le travail parlementaire est devenu sans cesse plus dense, les calendriers, tels qu’ils ont été votés, mettent à mal l’ambition démocratique de l’institution.

Cibler en permanence le siège de Strasbourg, c’est remettre en cause l’équilibre institutionnel de l’Union européenne. En effet, une Europe centralisée serait contraire au principe même d’une Europe « unie dans sa diversité », devise, je vous le rappelle, de l’Union européenne. L’Europe est polycentrique. L’Union a fait le choix de déconcentrer ses centres de décision, afin d’être incarnée dans différents États membres.

Vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues, Strasbourg tire sa légitimité non seulement du droit, mais surtout de l’Histoire. Le cœur de l’Europe s’est mis à battre à Strasbourg le 10 août 1949, lors de la session constitutive du Conseil de l’Europe. Moins d’un an après, le 9 mai 1950, Robert Schuman y a prononcé sa fameuse déclaration, qui deviendra le véritable acte de naissance de l’Europe communautaire.

Le choix de la localisation du Parlement européen à Strasbourg est donc loin d’être le fruit du hasard. La construction de l’Europe s’est fondée sur le dépassement des conflits historiques et, plus singulièrement, sur la réconciliation franco-allemande, dont Strasbourg est à l’évidence le symbole. Siège de la première organisation paneuropéenne créée par les gouvernements au sortir de la guerre, à savoir le Conseil de l’Europe, Strasbourg a conscience des responsabilités qui lui incombent dans la mise en œuvre du projet de construction d’une Europe unie autour des valeurs de la démocratie et des droits de l’homme.

La construction européenne s’est développée sur le principe de trois villes hôtes d’institutions, jouant chacune un rôle spécifique, nécessaire et indispensable. Aux côtés de Bruxelles et Luxembourg, qui incarnent respectivement le pouvoir exécutif et judiciaire de l’Union européenne, Strasbourg est le siège du pouvoir législatif. La ville est par ailleurs – faut-il le rappeler ? – le symbole historique de l’humanisme, de la démocratie, de la paix, des droits de l’homme et des citoyens. Elle est ainsi le siège de plusieurs institutions qui incarnent ces valeurs : le Conseil de l’Europe, dont la mission est de promouvoir la démocratie, de protéger les droits de l’homme et l’État de droit en Europe ; la Cour européenne des droits de l’homme, le Médiateur européen et, enfin, le Parlement européen. Il s’agit donc non pas d’opposer ces trois capitales – Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg –, mais bien de les associer dans une perspective de complémentarité.

D’ailleurs, dans cette lignée, le conseil municipal de Strasbourg a acté la création prochaine d’un « Lieu d’Europe », qui aura pour mission principale de faire découvrir l’Europe aux citoyens et de renforcer leur sentiment d’appartenance à un ensemble géographique et politique large.

Nous avons également noué avec le Parlement européen un partenariat qui se décline à travers maintes actions conjointes, la plus emblématique étant sans aucun doute le prix Sakharov, remis chaque année par le Parlement européen. Je pense aussi à la Fête de l’Europe ou aux journées portes ouvertes. Nous entendons approfondir encore ce partenariat, qui pourra peut-être se concrétiser par une convention, à l’instar de celle qui a été conclue entre la ville de Strasbourg et le Conseil de l’Europe en mai 2010.

À l’heure où les peuples se soulèvent au nom des valeurs que je viens d’évoquer et où les Européens ont besoin de repères forts pour traverser la crise qui les accable, le rayonnement européen et international de Strasbourg contribue pleinement à celui de la France. « Strasbourg, capitale européenne » n’est donc pas un simple enjeu municipal. C’est une cause nationale, qui nécessite l’engagement ferme et résolu, dans la durée, de toutes les autorités de l’État.

C’est la raison pour laquelle je souhaite voir aujourd’hui l’ensemble des groupes parlementaires du Sénat soutenir cette proposition de résolution, qui « demande […] aux institutions européennes et notamment au Conseil d’empêcher toute remise en cause de la tenue des sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg ».

Cette proposition de résolution ayant été reprise par le député Armand Jung et déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale, j’espère voir acter une position nationale ferme et forte sur cette question par l’ensemble du Parlement.

Pour répondre aux arguments avancés par ceux qui sont opposés à ce que le Parlement européen siège à Strasbourg, je prendrai la liberté de rappeler certains éléments.

En matière d’accessibilité, outre les actions qui devraient être menées dans le cadre du prochain contrat triennal, j’ai invité, lors de la réunion annuelle des trois capitales européennes en juin 2010, les bourgmestres de Bruxelles et de Luxembourg à répondre de concert à la consultation de la Commission européenne sur les grands projets d’infrastructure visant à la constitution d’un vaste réseau transeuropéen de transport. Ainsi, dans une déclaration commune en date du 10 septembre 2010, nous avons appelé à la réalisation rapide du projet Eurocaprail, soulignant son « intérêt prioritaire » pour « améliorer la qualité, la performance et la fréquence des liaisons ferroviaires » entre nos trois villes, sièges d’institutions européennes.

À cet égard, je tiens à vous informer que, dès la session que le Parlement européen tiendra la semaine prochaine, un second train Thalys sera mis en service, à neuf minutes d’intervalle avec le premier, pour relier Strasbourg et Bruxelles via Paris.

Les conditions de l’hébergement hôtelier à Strasbourg inspirent aux députés qui militent en faveur d’une localisation du Parlement européen à Bruxelles l’un de leurs principaux arguments : ces députés arguent en effet de l’augmentation des tarifs pendant les sessions, hors de proportion selon eux et conduisant au dépassement des plafonds autorisés dans le cadre du per diem. D’autres arguments relèvent de la même critique.

Cette situation révèle l’état de mécontentement dans lequel se trouvent aujourd’hui l’administration et les personnels du Parlement européen, ainsi que celui des députés eux-mêmes.

Afin de remédier à cela, nous avons décidé de réunir ce mois-ci les hôteliers strasbourgeois en vue d’améliorer la qualité de l’offre d’hébergement. À cette occasion, le projet d’une charte des hôteliers sera relancé.

Strasbourg a pour elle le droit et l’histoire, ainsi que le rôle essentiel de complémentarité dont j’ai parlé.

Je crois cependant, monsieur le ministre, que le moment est venu d’être plus offensif face à ces provocations, pour défendre la présence du Parlement européen sur notre territoire.

En 2008 à Copenhague, M. le Premier ministre François Fillon avait vivement et clairement défendu le statut de Strasbourg en tant que capitale parlementaire de l’Union européenne. Répondant à un journaliste qui l’interrogeait sur les dépenses supplémentaires et la trace carbone résultant de ses voyages entre Bruxelles et Strasbourg, il avait déclaré ceci : « si on ne veut pas déplacer autant de personnes, c’est très simple : il suffit de faire siéger le Parlement européen à Strasbourg de manière définitive ! »

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