Intervention de Yvon Collin

Réunion du 5 mai 2011 à 9h00
Sessions plénières du parlement européen à strasbourg — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en avril 2009, à l’occasion du sommet de l’OTAN qui se tenait à Strasbourg, le président des Etats-Unis, Barack Obama, fit se lever l’assemblée en prononçant ces quelques mots, simples mais à la portée universelle : « Pendant plusieurs siècles, Strasbourg a été attaquée, occupée et disputée par les nations en guerre de ce continent ; aujourd’hui, dans cette ville, la présence du Parlement européen et du Conseil de l’Europe demeurent les symboles de l’Europe unie, en paix et libre. » Mes chers collègues, on ne peut mieux dire !

Ces propos cachent pourtant une polémique récurrente, de nature à menacer le destin profondément européen de la ville de Strasbourg. En effet, une « guerre des sièges » oppose depuis plusieurs années les partisans d’un maintien du Parlement européen à Strasbourg aux adeptes d’un siège unique situé à Bruxelles.

Le 9 mars dernier, à l’occasion de l’adoption du calendrier des périodes de session du Parlement européen pour les années 2012 et 2013, les députés européens ont adopté un amendement prévoyant que, sur les douze sessions plénières qui doivent se tenir chaque année à Strasbourg, deux auront lieu durant la même semaine du mois d’octobre.

Cet amendement a été approuvé par 58 % des votants, au cours d’un vote à bulletin secret. Déposé sur l’initiative d’un parlementaire européen britannique, il a été cosigné par 215 autres députés, et finalement voté par plus de 350 d’entre eux.

L’objectif de ce texte est de réduire au maximum les déplacements des élus, fonctionnaires et journalistes accrédités entre Bruxelles et Strasbourg.

Dans un rapport publié en février 2011, un autre eurodéputé britannique avait déjà relancé la polémique sur le double siège du Parlement européen à Bruxelles et Strasbourg, en pointant du doigt les inconvénients supposés du maintien d’un Parlement bicéphale.

Je conviens, mes chers collègues, que la transhumance parlementaire entre les villes capitales de l’Union puisse apparaître comme coûteuse, et pour le moins étrange, à l’opinion ; mais transférer définitivement l’intégralité de la vie parlementaire européenne à Bruxelles serait particulièrement mal perçu par les citoyens européens, la ville belge ayant la réputation tenace d’être synonyme de technocratie européenne.

Les pères fondateurs de l’Europe – les Schuman, Adenauer, de Gasperi ou Jean Monnet – auraient répondu négativement à l’affirmation selon laquelle Strasbourg serait un investissement trop onéreux pour l’Union.

Tout est question de mémoire. Il n’est pas permis d’oublier quand, comment et dans quelles conditions s’est construite l’Europe. Faut-il rappeler que, après les traumatismes provoqués par la Seconde Guerre mondiale, l’unité européenne méritait un lieu à la hauteur de ses enjeux ? Strasbourg fut la localisation idéale.

Qu’il me soit permis de citer un ancien ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne, Ernest Bevin, qui, au moment du choix de Strasbourg comme capitale européenne en 1949, s’exprimait ainsi : « cette grande cité avait été témoin de la stupidité du genre humain, qui avait essayé de régler les affaires par la guerre, la cruauté et la destruction. L’Europe a gagné le droit de résoudre ses problèmes par des méthodes plus humaines et plus sensées. Nous avons pensé que Strasbourg était vraiment le lieu qui convenait pour développer ce grand effort dans une atmosphère de bonne volonté. »

Il serait bon de rappeler ces propos à quelques députés européens britanniques, qui privilégient le pragmatisme par rapport au symbole… Ce n’est jamais une bonne solution, surtout lorsqu’il s’agit de politique et de construction européenne.

Je crois également utile de rappeler que Strasbourg, en changeant quatre fois de nationalité en soixante-quinze ans, entre 1870 et 1945, est devenue la ville symbole de la réconciliation franco-allemande et, plus globalement, de l’unité européenne.

Le choix de la capitale alsacienne comme carrefour de l’Europe apparaît comme une évidence. J’associe tout particulièrement à mes propos le sénateur du Haut-Rhin Jean-Marie Bockel, mon collègue au sein du groupe RDSE qui n’a pas pu, comme il l’aurait souhaité, siéger ce matin parmi nous.

Le 25 juillet 1952, à l’occasion de l’entrée en vigueur du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, ou CECA, les ministres des affaires étrangères des États membres ont décidé que l’assemblée tiendrait sa première réunion à Strasbourg. La ville de Strasbourg a ensuite été désignée comme le siège du Parlement européen le 7 janvier 1958, au moment de l’entrée en vigueur des traités de Rome instituant respectivement la Communauté économique européenne, ou CEE, et la Communauté européenne de l’énergie atomique, ou CEEA.

Le 22 septembre 1977, au président du Parlement qui l’avait interrogé sur les problèmes de fonctionnement qui se poseraient au Parlement après l’élection de ses membres au suffrage universel et l’accroissement concomitant de leur nombre, le président du Conseil a répondu que les gouvernements des États membres confirmaient qu’il n’y avait pas lieu de modifier, ni en droit ni en fait, les dispositions en vigueur touchant aux lieux de travail de l’Assemblée.

Enfin, le 12 décembre 1992, le conseil européen d’Édimbourg a tranché de façon définitive la question des sièges des principales institutions communautaires. S’agissant du Parlement européen, la formulation ne laisse aucune place au doute : « le Parlement européen a son siège à Strasbourg, où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire. » En dehors des sessions mensuelles, le Parlement européen peut organiser des sessions additionnelles consacrées à des sujets spécifiques, lesquelles ont lieu à Bruxelles.

Aujourd’hui, le protocole n° 6 sur la fixation des sièges des institutions, annexé au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, confirme cette décision. De même, le règlement du Parlement européen mentionne, dans son article 135, que « le Parlement tient ses séances plénières et ses réunions de commission conformément aux conditions prévues par les traités. »

Quant à la Cour de justice, elle a confirmé, dans un arrêt du 1er octobre 1997, que le siège du Parlement était fixé conformément à l’article 289 du traité CE ; le contenu de cette décision a ensuite été intégré au traité d’Amsterdam, sous la forme d’un protocole annexé aux traités communautaires.

J’estime, mes chers collègues, que, aux côtés de l’Europe économique et financière installée à Bruxelles et Luxembourg, Strasbourg est le symbole de l’Europe de l’humanisme et de la démocratie, de l’Europe de la paix, des droits de l’homme et des citoyens, en un mot, de cette Europe politique qu’il nous faut construire chaque jour un peu plus.

Strasbourg est également le siège de plusieurs institutions incarnant les valeurs démocratiques qui nous sont si chères : le Conseil de l’Europe, dont la mission est de promouvoir la démocratie et de protéger les droits de l’homme et l’État de droit, la Cour européenne des droits de l’homme, le Médiateur européen et – c’est l’objet de notre débat – le Parlement européen. Aussi ne faut-il jamais oublier que Strasbourg symbolise l’inscription des générations futures dans l’identité européenne.

Prendre pour cible le siège de Strasbourg, c’est menacer tout l’équilibre institutionnel de l’Union européenne, qui n’a jamais fait le choix de la concentration des centres de décision dans un même lieu.

Depuis les prémices de la construction européenne, un consensus s’est toujours dégagé en faveur d’une conception polycentrique de l’Europe afin de respecter la diversité, la pleine participation de tous les États membres au bon fonctionnement des institutions et le souci de proximité avec les citoyens européens.

Par conséquent, les querelles incessantes sur le siège du Parlement européen à Strasbourg et les attaques croissantes visant à vider de leur contenu les sessions plénières se déroulant dans cette ville sont à regretter, et même à condamner, ce à quoi nous invite très clairement la proposition de résolution de notre collègue Roland Ries, lequel – faut-il le rappeler ? – est au demeurant maire de Strasbourg.

C’est pourquoi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe RDSE, tous profondément européens et tous profondément militants pour une Europe unie, forte et souveraine, voteront le texte de cette résolution et, plus encore, espèrent que celle-ci sera entendue, au-delà des frontières, par l’ensemble des vingt-sept pays membres de l’Union.

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