Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 mars dernier, à l’occasion de l’adoption de son calendrier pour les sessions 2012 et 2013, le Parlement européen votait, à bulletin secret, un amendement visant à scinder les deux sessions plénières d’octobre en deux jours chacune et, par ce biais, décidait de regrouper ces deux sessions plénières en une seule semaine.
Le vote de cet amendement présenté par l’eurodéputé conservateur et eurosceptique britannique Ashley Fox a donc relancé la polémique sur la localisation du siège du Parlement européen à Strasbourg.
Je ne reviendrai pas sur la fragilité juridique de cette nouvelle attaque contre la localisation du Parlement européen dans la capitale alsacienne. Cette question a déjà été développée fort justement par mon collègue Roland Ries, et nous ne pouvons qu’être satisfaits de la saisine par le gouvernement français, rejoint par le gouvernement luxembourgeois, de la Cour de justice de l’Union européenne.
Cependant, l’adoption de ce nouveau calendrier du Parlement européen, par le biais d’un scrutin secret peu habituel pour des questions d’une telle portée symbolique, témoigne des progrès d’une hostilité récurrente à la localisation strasbourgeoise du Parlement européen qui mérite que l’on rappelle avec force la légitimité de Strasbourg.
En fait, Strasbourg bénéficie d’une double légitimité, historique et géographique, pour demeurer la capitale exclusive de l’Europe parlementaire.
La légitimité historique de Strasbourg est incontournable. Mieux que toute autre ville, elle symbolise les douleurs et la force de la réconciliation des nations européennes. C’est ainsi que la première session du Comité des ministres du Conseil de l’Europe et la session inaugurale de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, moments fondateurs de l’Europe unie, se tinrent respectivement à l’hôtel de ville de Strasbourg, le 8 août 1949, et au palais universitaire, le 10 août 1949.
Au fil des ans, la ville s’est imposée comme la capitale européenne des droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe, protecteur des droits et des libertés et promoteur de la démocratie à l’échelle du continent européen, y siège depuis 1949 alors que la Cour européenne des droits de l’homme, gardienne des libertés fondamentales de 800 millions d’Européens, a son siège à Strasbourg depuis le 1er novembre 1998.
Dans ce contexte, l’impact sur l’opinion publique, notamment française, d’une concentration des institutions européennes à Bruxelles et d’un effacement programmé du rôle de Strasbourg serait désastreux.
L’Europe est aujourd’hui déterminée à combler le fossé démocratique qui la tient encore trop souvent éloignée de ses peuples. Pour cela, elle a besoin plus que jamais de symboles forts permettant de réconcilier son identité, multiple, et la force de son projet unificateur. Quelle ville autre que Strasbourg peut mieux symboliser les douleurs de l’Histoire et la force de la réconciliation des nations européennes ? De la lutte fratricide à la réconciliation exemplaire des ennemis d’hier, devenus les plus proches partenaires, Strasbourg réunit en un même lieu des traditions européennes diverses sur le terreau d’une amitié franco-allemande devenue motrice pour toute l’Europe. C’est cela la légitimité historique de Strasbourg pour héberger la démocratie européenne. Remettre en cause cette légitimité serait un affront à la mémoire européenne.
Le vote intervenu au Parlement européen le 9 mars dernier porte également un coup dangereux à l’un des fondements symboliques les plus forts de l’Union européenne : la diversité assumée de ses centres et de ses racines.
C’est ainsi que chaque ville européenne s’est construite au fil des ans une image forte auprès des citoyens : à Bruxelles la place de la Commission et de l’exécutif européen, à Luxembourg le siège de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’Europe juridique, et à Strasbourg le siège du Parlement européen et de la démocratie européenne.
Concentrer à Bruxelles les institutions européennes reviendrait donc à appauvrir l’Union en la privant de l’une de ses richesses essentielles : la diversité de ses représentations.
L’ambition européenne a toujours été de s’appuyer sur les forces de ses États membres et non sur leur dilution par le biais d’une concentration des institutions européennes en un lieu unique. Cette conception polycentrique reflète une volonté constante de mettre l’Europe au plus près de ses citoyens, et non de l’isoler dans un centre lointain et monolithique. L’extrême soin apporté, parfois au mépris de toute cohérence budgétaire, à répartir harmonieusement les sièges des nombreuses agences et institutions de l’Union sur l’ensemble du territoire européen témoigne de cette volonté de faire toute leur place aux citoyens européens. Remettre en cause cet édifice complexe de la répartition géographique des agences et institutions européennes impliquerait de redoutables marchandages politiques dont l’image de l’Europe sortirait ternie. La multiplicité géographique des implantations des institutions européennes est et doit demeurer l’un des principes cardinaux de la construction européenne.
Le vote intervenu au Parlement européen le 9 mars dernier est le résultat d’une conjonction entre des parlementaires eurosceptiques historiques et des parlementaires européens qui sont gênés dans leur déplacement.
Ce vote doit être entendu. À cet égard, je sais que notre collègue Roland Ries a d’ores et déjà engagé, en partenariat avec l’État et la région Alsace, tous les efforts nécessaires pour renforcer les moyens immobiliers du Parlement européen et l’amélioration des transports en direction de Strasbourg.
Ces efforts doivent être soutenus par une mobilisation politique forte. Je considère, avec les membres du groupe socialiste, que le Sénat participera utilement à cette mobilisation et s’honorera en votant cette proposition de résolution. Strasbourg est la capitale de l’Europe parlementaire où se déroulent les sessions plénières du Parlement européen. La défense de la démocratie européenne ne peut souffrir aucune ambiguïté.