Intervention de Mireille Schurch

Réunion du 5 mai 2011 à 9h00
Politique énergétique de la france — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Mireille SchurchMireille Schurch :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon ami Jean-Claude Danglot ayant présenté la question des problèmes énergétiques dans leur ensemble, j’interviendrai, pour ma part, plus précisément sur celle de la sécurité nucléaire.

Celle-ci doit être garantie au regard des risques naturels, mais elle doit aussi intégrer les aspects techniques et la dimension sociale et humaine. Ce point a d’ailleurs fait l’objet d’une question crible thématique de ma collègue Évelyne Didier en avril dernier, question hélas restée sans réponse.

Les sénateurs de mon groupe et moi-même sommes très attachés à l’aspect social et organisationnel de la sûreté nucléaire, c'est-à-dire aux collectifs de travail, aux habitudes de coopération et à la transmission des savoirs, qui sont les fondements de la culture de la sûreté dans une entreprise.

S’agissant, tout d’abord, des savoir-faire, s’il est un secteur qui nécessite une main-d’œuvre hautement qualifiée et très compétente, c’est bien l’industrie nucléaire, car, de l’exploitation aux contrôles de sûreté, aucune défaillance n’est concevable. Les qualifications, l’expérience et la compétence des opérateurs à tous les niveaux sont tout aussi essentielles.

Comme le souligne, l’OCDE, « la disparition de spécialistes expérimentés et compétents préoccupe de plus en plus les autorités de sûreté et l’industrie nucléaire ». Il est indispensable de disposer d’un personnel de maintenance compétent pour prévenir les incidents dus à des défaillances ou des dysfonctionnements. Or la formation à la maintenance a été plutôt négligée et le besoin d’amélioration est généralement reconnu. On compte actuellement, en France, 300 diplômés de niveau bac+5 dans cette filière, alors que les besoins sont estimés à 1 200 par an.

De plus, si l’accent a été mis sur le renforcement de l’attractivité des métiers de haut niveau, on reste muet sur la formation des ouvriers chargés de la maintenance des sites et la perte progressive de leur savoir-faire face aux restructurations et à la nouvelle culture managériale d’EDF.

Les salariés de la centrale nucléaire du Blayais ont rappelé à plusieurs reprises le risque de voir se perdre les savoir-faire des agents, dont une grande partie a atteint l’âge de cinquante ans, alors que, dans le même temps, « on demande aux nouveaux de surveiller des travaux qu’ils n’ont jamais effectués ». Et les salariés d’expliquer encore : « Dans les dix années à venir, on va perdre tous les bâtisseurs de la centrale, ceux qui ont vécu le démarrage de la centrale. » Ce mouvement est renforcé par la politique de remplacement d’un salarié sur trois partant à la retraite.

De plus, dès 2004, l’OCDE a lancé l’alerte sur les risques du recours à la sous-traitance pour la maintenance des sites, soulignant que ces salariés avaient souvent « une expertise et une expérience limitées et n’avaient pas toujours une compréhension globale de la sûreté des centrales sur lesquelles ils interviennent ».

En France, par exemple, on dénombre quelque 600 sous-traitants intervenant dans 58 centrales nucléaires, avec un chiffre d’affaires de 800 millions d’euros par an. Le volume de maintenance sous-traitée est passé, en cinq ans, de 20 % à 80 %. Il arrive même que des sous-traitants confient leurs tâches à d’autres sous-traitants !

Les témoignages alarmants ne manquent pourtant pas. Ainsi, Le Monde diplomatique nous rapporte les propos de salariés d’EDF : « Les conditions de cette externalisation se traduisent par une montée des accidents parmi les salariés de cette sous-traitance. Beaucoup de ses salariés ont été affectés à ces activités sans formation et, pour la plupart, sans connaissance des règles de sécurité fondamentales inscrites dans le recueil des prescriptions au personnel. » Ils sont en outre soumis à de fortes pressions en termes de temps d’intervention.

Le moment est venu de mettre un terme à cette logique d’externalisation des risques, à cette course au moins-disant social ! Et je ne fais qu’évoquer la sous-traitance en Chine d’une partie de la fabrication des matériels nucléaires, comme les générateurs de vapeur ou les cuves, qui met à mal non seulement le principe de sécurité, mais aussi la politique industrielle de la France.

J’en viens maintenant à la question de la nécessité d’un audit social.

Nicolas Sarkozy a dû se résoudre, il y a quelques jours, à demander un audit financier portant sur toute la filière à la Cour des comptes, un audit qui intégrera les coûts des futurs renouvellements et le démantèlement des centrales, lesquels ne sont pas, pour l’instant, pris en compte. Nous nous en réjouissons, mais nous pensons qu’il est impératif d’intégrer la dimension sociale à cet audit.

En effet, établissement public transformé en société anonyme en 2004 et coté en bourse, ce « service public » doit désormais rémunérer ses actionnaires. Cependant, comme le rappelle M. Michel Lallier, représentant CGT, « la sûreté nucléaire a reposé durant des décennies sur un cadre social bien défini pour un personnel qualifié, par la vigilance et le travail de ce personnel et par la cohérence humaine de ce collectif de travail ». Il ajoute : « Or la dérégulation du marché de l’électricité, puis la privatisation partielle d’EDF avec sa course aux économies mettent à mal depuis les années 1990 tout cet édifice. »

C’est pourquoi un audit général des installations nucléaires doit intégrer les conditions d’exploitation en lien avec les conditions de travail des salariés et les activités confiées à la sous-traitance.

Durant de nombreuses années, les salariés d’EDF ont tiré la sonnette d’alarme sur leurs conditions de travail, sur l’accélération des rythmes, dénoncé les ravages du nouveau management sur la santé psychologique des personnels, la dévalorisation et le cloisonnement des métiers, mais tout cela est resté sans écho.

Enfin, nous pensons que le débat sur la sécurité nucléaire est inséparable du débat sur le démantèlement du service public de l’électricité et des grands services publics en réseaux.

Ainsi que Jean-Claude Danglot l’a très bien expliqué, il ne faut pas se leurrer : les impératifs de rentabilité, la charge de travail accrue, le recours massif à la sous-traitance et la situation des salariés qui n’est pas favorable à une sûreté optimale des centrales françaises sont les maux d’une politique d’ouverture à la concurrence et de privatisation partielle de l’opérateur historique.

L’acceptation démocratique du nucléaire repose sur le contrat moral passé entre les Français et le Conseil national de la Résistance. Une remise en cause du risque zéro en faveur du risque calculé est inacceptable.

C’est pourquoi nous souhaitons la tenue d’un grand débat public national sur l’organisation et l’utilisation du nucléaire dans des conditions de sécurité, de sûreté et de transparence qui garantissent l’accessibilité de tous à l’énergie.

Pour notre part, nous pensons que seul un grand service public national de l’énergie est en mesure de répondre à ces exigences ! §

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