Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 5 mai 2011 à 22h15
Régulation du système de distribution de la presse — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 2 avril 1947, qui réglemente la distribution de la presse, appelée plus communément « loi Bichet », est l’une de ces grandes lois sacrées qui régissent le secteur de la presse, aux côtés de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou encore de la loi du 10 janvier 1957 portant statut de l’Agence France-Presse. On ne doit donc s’en approcher qu’en tremblant.

Ce n’est pas un hasard si ces lois, icônes de la République, ont perduré jusqu’à nos jours, en ne subissant que quelques modifications marginales.

La loi Bichet constitue un héritage précieux de la Résistance qui a consacré un certain nombre de principes fondamentaux qu’il nous appartient de préserver dans un environnement de la diffusion de la presse profondément bouleversé par les mutations technologiques.

C’est pourquoi la proposition de loi que j’ai déposée se cantonne, dans le strict cadre du titre II de la loi Bichet, à rénover la gouvernance opérationnelle du système de distribution de la presse afin de garantir l’effectivité des principes suivants : la liberté de la diffusion de la presse, la maîtrise par les éditeurs de la distribution de leurs titres et l’égalité de traitement entre tous les titres, quel que soit leur poids économique, dans l’accès au système coopératif de distribution de la presse.

Dans ce texte, j’ai tenu compte des multiples réflexions qui ont été conduites sur la modernisation des mécanismes de régulation du secteur de la distribution de la presse.

Le Livre vert des états généraux de la presse écrite, remis au chef de l’État en janvier 2009, appelait au respect des principes fondamentaux de la loi Bichet, à la professionnalisation de la composition du Conseil supérieur des messageries de presse, le CSMP, ainsi qu’au renforcement de son pouvoir décisionnel, dans la logique d’une autorégulation plus efficace et proactive.

M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, proposait, lui, en revanche, dans son rapport, de transformer le CSMP en une autorité complètement indépendante de la profession, dont les membres ne seraient plus issus des entreprises ou des organisations professionnelles du secteur et dont le pouvoir de régulation serait considérablement renforcé. Dans ce schéma, le conseil rénové se serait appuyé, en amont, sur des commissions spécialisées associant à titre purement consultatif les acteurs de la distribution de la presse.

Enfin, dans un rapport consacré au redressement financier de l’entreprise Presstalis, M. Bruno Mettling recommandait une voie intermédiaire qui adosserait à un CSMP complètement professionnalisé une autorité indépendante chargée de contribuer au règlement des différends et de contrôler l’activité normative du Conseil afin de garantir l’effectivité des principes d’indépendance et d’impartialité de la distribution de la presse.

Nous nous sommes inscrits, en collaboration étroite avec notre collègue David Assouline, dans une démarche constructive de dialogue direct avec les différents représentants de la profession et de l’État, dans la mesure où ce dernier consent des sommes significatives à la distribution de la presse d’information politique et générale. En conséquence, le texte que j’ai déposé reprend le principe d’une régulation bicéphale, déjà esquissé dans le rapport de M. Mettling.

Nous accordons ainsi une place substantielle à l’autorégulation en confiant à un CSMP intégralement professionnalisé un pouvoir décisionnel renforcé afin de mettre en œuvre les réformes urgentes préconisées par les états généraux de la presse écrite. La proposition de loi vise à instituer également une procédure de conciliation des différends entre les acteurs de la distribution de la presse devant le CSMP, préalablement à tout recours contentieux.

Nous consacrons le rôle consultatif des commissions spécialisées qui devront permettre au CSMP d’appuyer ses décisions sur une expertise reconnue et diversifiée. En somme, nous institutionnalisons le rôle proactif que le CSMP avait cherché à développer sous l’impulsion de son président, M. Jean-Pierre Roger, en lui donnant désormais une base juridique solide.

Parallèlement au renforcement du CSMP, nous avons créé une nouvelle autorité de régulation de la distribution de la presse chargée de deux missions principales.

D’une part, en cas d’échec de la procédure de conciliation devant le CSMP, elle constituera un cadre efficace de règlement des différends entre les acteurs du secteur, conformément au souhait que vous avez exprimé, monsieur le ministre, lors de votre intervention au congrès annuel de l’Union nationale des diffuseurs de presse, en février 2011. À l’image de ce qui vaut déjà pour le CSMP, les frais de fonctionnement de cette structure seront pris en charge par la profession.

D’autre part, cette nouvelle autorité conférera un caractère exécutoire aux décisions normatives prises par le CSMP afin d’apporter des garanties d’indépendance et d’impartialité aux règles applicables à l’ensemble du secteur.

La commission de la culture a souhaité renforcer la légitimité de ce dispositif en clarifiant le contenu et l’articulation des responsabilités respectives du CSMP et de l’autorité de régulation.

Pour ce faire, elle a adopté les amendements proposés par le rapporteur avec mon soutien. Nous avons tenu compte, en particulier, de la nécessité de prévenir tout risque de conflit d’intérêts et d’entente tacite sur des questions aussi délicates que l’évolution des barèmes tarifaires des messageries de presse ou le contrôle de leur comptabilité.

Je voudrais rappeler que le principe d’une régulation bicéphale du secteur de la distribution de la presse a été voulu par le CSMP lui-même. J’entends cependant, ici et là, que la commission de la culture du Sénat placerait désormais le CSMP sous la tutelle d’une autorité extérieure à la profession. Ce n’est pas le cas, car nous avons toujours veillé, dans le texte de la commission, à préserver la prééminence du CSMP en matière de production normative.

Dans sa nouvelle composition, le CSMP est entièrement professionnalisé et il accorde une place très largement majoritaire aux éditeurs et aux messageries. C’est, du reste, justifié par le principe selon lequel les éditeurs doivent garder la maîtrise de la distribution de leurs titres, les messageries constituant leurs mandataires directs. C’est ce principe qui justifie la prééminence du CSMP dans l’élaboration des règles de la distribution de la presse.

Toutefois, il est nécessaire de s’assurer que son activité normative sera encadrée par une autorité qui en garantira la transparence, l’indépendance et l’impartialité. En somme, c’est la légitimité des décisions du CSMP que cette autorité s’emploiera à renforcer afin de prévenir un recours systématique à la voie contentieuse.

Je vous signale que, si cette autorité n’existait pas, ce serait un coup terrible porté à la confiance des petits distributeurs, dépositaires et diffuseurs de presse qui, minoritaires au sein du CSMP, remettraient alors en cause la légitimité d’un dispositif qui apparaîtrait concentré dans les seules mains des plus puissants, influencé par les conflits d’intérêts et exposé aux risques d’ententes systématiques.

Je pense que nous avons ainsi abouti à un texte équilibré offrant des bases juridiques solides à une gouvernance opérationnelle et proactive du secteur de la distribution de la presse. Je tiens à remercier notre collègue David Assouline, avec lequel j’ai eu le plaisir de travailler en concertation étroite depuis plusieurs mois, de son implication déterminée dans ce chantier législatif passionnant.

Mes chers collègues, je fais le vœu qu’un très large consensus se dégage au sein de notre assemblée, comme cela s’est produit dans notre commission, en faveur d’une modernisation ambitieuse et responsable des mécanismes de régulation institués par la loi Bichet.

En matière de gouvernance dans le secteur de la presse, la commission de la culture a su démontrer que les exigences de liberté, d’indépendance et de pluralisme de la presse devaient nous conduire à privilégier une concertation approfondie et un dialogue constructif qui nous permettent de dépasser les clivages partisans. Tel est l’esprit de la proposition de loi dont nous avons à débattre aujourd'hui et à laquelle, je l’espère, le Sénat donnera son approbation.

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