Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à rendre hommage à la loi Bichet dont la pertinence ne s’est jamais démentie depuis l’après-guerre.
Il s’agit là d’un de ces joyaux législatifs de la Résistance, adoptés dans un climat consensuel et constructif, qui consacrent un certain nombre de principes fondamentaux indispensables à la vitalité du débat démocratique dans notre pays. Y figurent, en particulier, la liberté de la diffusion de la presse imprimée et l’égalité de traitement entre tous les titres, quel que soit leur poids économique, au sein du système coopératif de distribution de la presse.
C’est précisément cette exigence de climat consensuel sur le plan politique et de concertation étroite avec la profession qui a présidé au dialogue constructif que le président de la commission de la culture, Jacques Legendre, et moi-même avons conduit avec les acteurs du secteur et l’État. Je partage d’autant plus l’ambition de ce texte qu’il est également l’aboutissement législatif des préconisations que j’avais formulées dès 2011 dans mon rapport pour avis sur les crédits de la presse rendu dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.
Dans cet esprit, nous avons avancé de façon responsable et ciblée, en nous focalisant sur la réforme de la gouvernance du secteur de la distribution de la presse et en ne modifiant pas le titre Ier de la loi Bichet, dont les principes fondamentaux gouvernent le système de distribution de la presse depuis l’après-guerre. Je souhaite vivement que les deux assemblées adoptent la même conduite et ne touchent pas au titre Ier de la loi Bichet. Nos travaux, sinon, seraient dénaturés.
L’ensemble des acteurs de la profession établissent un diagnostic partagé des difficultés qui affectent le secteur de la distribution de la presse et qui appellent une réforme urgente de sa gouvernance.
D’une part, le développement de la diffusion de la presse sur des supports numériques va sensiblement bouleverser le rapport du lecteur à l’acte physique d’achat d’un titre de presse et commence, d’ores et déjà, à exercer une pression importante sur la vente au numéro de la presse imprimée.
D’autre part, le secteur de la distribution de la presse est exposé à des déséquilibres industriels majeurs.
D’un côté, le niveau 3 du circuit de distribution, c'est-à-dire les diffuseurs de presse – marchands de journaux, petits kiosquiers, etc. –, constitue depuis trop longtemps le parent pauvre de la régulation du secteur et se retrouve tout en bas de la chaîne de valeur de la distribution. D’un autre côté, le niveau 1 des messageries de presse connaît lui aussi désormais des difficultés financières considérables, liées aux tensions qui pèsent sur les logiques de mutualisation des coûts et de solidarité coopérative devant exister entre les différentes catégories de presse.
Faute d’une légitimité solide inscrite dans la loi, le CSMP actuel ne peut adopter que des recommandations qui n’ont pas nécessairement valeur exécutoire. En parallèle, les contentieux se multiplient auprès de l’Autorité de la concurrence, en l’absence de structure de règlement des différends au sein du secteur de la distribution de la presse.
Devant ce diagnostic partagé, l’ensemble de la profession s’est accordée sur la nécessité de mettre en place un CSMP professionnalisé qui garantisse la représentation de tous les acteurs de la profession. En contrepartie, elle a entériné le principe de l’adossement à cette instance d’autorégulation d’une autorité indépendante qui garantira la légitimité de ses décisions, en veillant au respect des principes d’indépendance et d’impartialité régissant la distribution de la presse. C’est ce mécanisme de régulation bicéphale, qui préserve la prééminence du CSMP en matière normative, que reprend la proposition de loi du président de notre commission, en cohérence avec les préconisations finales du rapport de M. Bruno Mettling.
Il nous est cependant apparu nécessaire, au stade de la discussion en commission, d’apporter des modifications à ce schéma afin de garantir, d’une part, sa fonctionnalité, et, d’autre part, sa légitimité aux yeux de tous les professionnels, y compris ceux qui sont minoritaires au sein du CSMP. Il nous a semblé, en effet, indispensable de préciser et d’élargir le contenu des responsabilités de l’autorité de régulation indépendante afin qu’elle ne soit pas une coquille vide. C’est ce que nous avons fait, en veillant toujours à ne jamais remettre en cause la force de décision et l’efficacité de gouvernance du CSMP. En renforçant la légitimité du dispositif, nous permettrons que diminue le recours intempestif à la voie contentieuse ; c’était bien le but visé au travers de cette proposition de loi.
Ainsi, les modifications adoptées par notre commission, en accord avec son président, ont visé deux objectifs fondamentaux.
D’une part, nous avons souhaité garantir la pérennité du système coopératif de distribution de la presse en précisant que le respect des principes de solidarité coopérative et des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse constitue une mission fondamentale et prioritaire des deux instances de régulation.
D’autre part, dans le respect de la prééminence normative du CSMP, nous avons pris soin de rééquilibrer les rapports entre ce dernier et l’autorité indépendante de régulation, afin de garantir l’effectivité des principes de transparence, d’indépendance et d’impartialité dans la régulation économique sectorielle.
Je veux le rappeler solennellement : l’un des objectifs fondamentaux de la régulation du secteur de la distribution de la presse réside dans la préservation de ses équilibres mutualistes et le respect des principes de solidarité coopérative. C’est pourquoi, en accord avec une jurisprudence ancienne, nous avons cherché à exclure, s’agissant des conditions de dérogation à l’exclusivité des contrats de groupage qu’encadrera le CSMP, l’hypothèse d’une situation où l’éditeur réserverait la part la moins rentable de sa distribution au système coopératif, tout en assurant à meilleur coût la distribution de la part la plus rentable.
Je rappelle que les états généraux de la presse écrite avaient déjà pris soin de cantonner les dérogations au principe d’exclusivité, sous des conditions strictes, à des cas bien précis, d’ores et déjà définis par voie contractuelle entre les messageries de presse et les éditeurs. Les précisions apportées par la commission de la culture visent, dans cette logique, à encore mieux prévenir tout risque de contournement systématique par les éditeurs des messageries de presse en vue d’assumer eux-mêmes les activités de distribution les plus rentables et, à terme, tout risque de remise en cause des équilibres économiques du système coopératif, fondé sur une nécessaire mutualisation des coûts.
Notre commission entend également prévenir de façon effective tout risque d’entente, de coordination des pratiques ou de conflits d’intérêts dans l’élaboration par le CSMP des règles de la distribution de la presse, compte tenu de sa nouvelle composition, intégralement professionnalisée.
En conséquence, nous avons pris soin de préciser que toutes les décisions de portée générale prises par le CSMP seront transmises à l’autorité de régulation, qui seule décidera de leur conférer un caractère exécutoire, que ces décisions interviennent dans le cadre de la mission générale du CSMP visant à assurer le bon fonctionnement du système coopératif de distribution de la presse et de son réseau ou dans le cadre de ses compétences énumérées au nouvel article 18-6 de la loi Bichet.
Dans le même ordre d’idées, nous avons introduit deux nouvelles compétences d’avis au profit de l’autorité de régulation, en ce qui concerne la qualité du contrôle comptable des messageries exercé par le CSMP et l’évolution des conditions tarifaires des messageries de presse.
En effet, la prédominance des éditeurs au sein du CSMP ainsi que la présence de représentants des messageries elles-mêmes risqueraient de susciter des soupçons d’ententes ou de pratiques concertées si cette compétence d’avis demeurait exclusivement entre les mains du CSMP. Bien entendu, les messageries de presse demeurent libres de fixer leurs tarifs comme elles l’entendent, dans le strict respect du droit du commerce et de la concurrence. C’est pourquoi l’autorité de régulation, et non plus le CSMP, ne formulera qu’un avis.
Lors de l’examen du texte en commission, j’ai pu relever, à la suite de l’adoption des amendements, un certain nombre d’interprétations parfois contradictoires.
D’un côté, certains redoutent que le CSMP ne soit trop encadré, voire empêché d’exercer une gouvernance efficace par une autorité indépendante exerçant un plus grand rôle. Je leur dis qu’instituer une autorité de régulation de pure façade limiterait la portée et la légitimité des décisions et de la mise en œuvre des règles de régulation. D’un autre côté, les petits distributeurs, dépositaires et diffuseurs de presse, en minorité au sein du CSMP, s’inquiètent d’une autorégulation largement dominée par les éditeurs et les messageries de presse et réclament que l’autorité de régulation indépendante ait des pouvoirs renforcés.
Face à ces positions divergentes, je rappelle que notre souci a justement été de mettre en place un dispositif équilibré qui, d’une part, conserve au CSMP toute sa réactivité et sa fonctionnalité afin de faciliter la mise en œuvre des réformes urgentes, et, d’autre part, repose sur des garanties de transparence, d’indépendance et d’impartialité de nature à rassurer les niveaux 2 et 3 de la distribution de la presse, dont la représentation est minoritaire au sein du CSMP.
Cet équilibre subtil, à la préservation duquel je suis attaché, nous l’avons atteint dans le texte de la commission, après avoir écouté tous les acteurs concernés.
Mes chers collègues, j’ai trouvé une très grande satisfaction à conduire, en accord avec le président de notre commission, un travail de concertation approfondi en vue d’améliorer les conditions de régulation d’un secteur qui a son originalité et sa particularité, un secteur très technique mais fondamental pour la vitalité de notre vie démocratique : celui de la distribution de la presse. C’est la preuve que, sur des sujets aussi délicats que la régulation sectorielle des médias, il est possible, avec de la bonne volonté et des principes d’indépendance, de liberté et de pluralisme de la presse chevillés au corps, d’établir une convergence de vues. Il faut continuer à travailler ensemble en ce sens.