Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 5 mai 2011 à 22h15
Régulation du système de distribution de la presse — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, un kiosque ou un diffuseur de presse qui ouvre, c’est un acteur du lien social qui se crée ou qui renaît, c’est un lieu de sociabilité et de rencontres auquel on donne vie, c’est une chance supplémentaire pour l’exercice de la démocratie. Vous l’aurez compris, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui revêt à mes yeux une signification culturelle et politique très importante : dans l’ère de « l’entre soi » souvent mise en exergue dans les travaux des sociologues, dans la « société des écrans », c’est un signal très fort en faveur de la culture de l’écrit et de la relation sociale de proximité.

Vous examinez, mesdames, messieurs les sénateurs, une proposition de loi portant sur un sujet qui est au cœur des préoccupations des professionnels de la presse et des pouvoirs publics : l’amélioration du système de distribution de la presse écrite dans notre pays.

Malgré le développement récent de nouveaux modes de diffusion de l’information sur des supports numériques, la presse et ses lecteurs n’ont pas abandonné, loin de là, le support papier. Il demeure un moyen incontournable de diffusion des idées et des opinions auprès de chacun de nos concitoyens, notamment ceux qui n’ont pas encore accès à internet : je pense aux aînés, à ceux qui habitent les zones rurales, pas toujours couvertes par le haut débit.

La matérialité du papier pose la question de sa distribution. Vous le savez, celle-ci est encore en grande difficulté malgré les efforts conjugués de l’État et de la profession.

Le recul des ventes de la presse réalisées par les diffuseurs de presse qui a été constaté en 2010 est particulièrement préoccupant. Ainsi, la vente au numéro des quotidiens a enregistré une baisse en volume de 8, 2 % en 2010, contre 5, 3 % en 2009. Ce fort recul s’explique non seulement par la disparition de nombreux titres de presse, touchés de plein fouet par la crise – trente-sept ont disparu en 2010 –, mais aussi par la diminution à la fois du nombre et de l’activité des points de vente de la presse au numéro.

L’érosion du réseau des points de vente de la presse a en effet repris en 2010 après une stabilisation en 2009 : 455 points de vente – sur un total de plus de 30 000 – ont été supprimés en 2010. De plus, l’activité du réseau des points de vente est en diminution de 6, 1 %, toutes messageries confondues ; pour les quotidiens, le recul est de 7, 8 %, pour les magazines de 4, 4 %.

Comme j’ai souvent eu l’occasion de le rappeler à la profession, nous nous attachons à poursuivre une politique volontariste en faveur des diffuseurs de presse, dont le développement reste une des conditions prioritaires du redressement des ventes de la presse.

Je prendrai pour exemple de cette politique le soutien exceptionnel de l’État aux diffuseurs spécialisés, que mes services s’apprêtent à reconduire. Je citerai également le plan de développement des kiosques, commerces culturels de proximité par excellence, puissants outils de consolidation du lien social, qui a conduit à la signature, le 22 mars dernier, d’une convention entre le ministère de la culture et de la communication, le Conseil supérieur des messageries de presse et l’Association des maires de France. L’objectif est de créer en France 300 nouveaux kiosques en trois ans, soit une progression d’environ 40 %.

Mais il nous faut aller plus loin. Afin de favoriser le développement des kiosques à journaux, des projets de textes ont été élaborés après concertation avec les professionnels afin de clarifier et d’alléger les règles en vigueur pour leur installation sur le domaine public. Des dispositions législatives modifiant le code général des collectivités territoriales, complétées par des mesures réglementaires dans le code de l’urbanisme et, à la marge, quelques modifications du code général des impôts, devraient être reprises dans les mois qui viennent dans une proposition de loi portée par M. le député Jean-Luc Warsmann.

En effet, la revalorisation du métier de diffuseur reste l’objectif prioritaire du Gouvernement. Ce métier est au cœur de la relation que les éditeurs de presse entretiennent avec leurs lecteurs. Son rôle dans ce lien si singulier, dans ce véritable pacte de lecture entre la presse et ses lecteurs, ne peut être envisagé indépendamment de la question de la distribution de la presse dans son ensemble.

Comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, la modernisation de la distribution de la presse vendue au numéro et son indispensable régulation s’inscrivent dans le cadre du système coopératif instauré par la loi Bichet du 2 avril 1947, dont on ne doit en effet, monsieur le président Legendre, s’approcher qu’en tremblant.

Ce fut l’un des grands chantiers des états généraux de la presse écrite qui se sont tenus fin 2008. En clôturant ces derniers le 23 janvier 2009, le Président de la République s’est prononcé en faveur d’une réforme ambitieuse de l’instance de régulation, qui devait trouver sa traduction dans la révision de sa composition et de ses compétences, ainsi que dans le renforcement de son indépendance. Il a alors demandé à M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, de lui remettre des propositions en ce sens.

Dans son rapport, M. Bruno Lasserre recommandait la création d’une autorité administrative indépendante, sous la forme d’un collège resserré de cinq membres, seul cadre adapté, selon lui, permettant d’exercer à la fois une mission de régulation sectorielle efficace et une mission de règlement des différends non contestable.

Dans le schéma préconisé par M. Lasserre, les membres du collège n’avaient aucun lien avec les intérêts du secteur. Les professionnels ne devaient intervenir qu’au sein de commissions consultatives statutaires et de groupes de travail pour préparer les décisions de l’instance collégiale.

Le choix d’une autorité administrative indépendante traduisait clairement un ancrage de la régulation dans la sphère publique, indépendante à la fois de l’État et des acteurs et entreprises concernés par la régulation.

Si ce choix représentait une réelle innovation pour le secteur de la distribution de la presse, il ne l’était pas au regard du mode de régulation adopté dans des secteurs aussi différents que l’audiovisuel, à travers le Conseil supérieur de l’audiovisuel, les télécommunications et les postes, avec l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’énergie, avec la Commission de régulation de l’énergie, ou les marchés financiers, à travers l’Autorité des marchés financiers.

La profession dans son ensemble a cependant exprimé des réticences à l’égard de ce mode de régulation. En effet, elle l’estimait susceptible de déstabiliser un secteur déjà fragilisé et le considérait comme un frein à la mise en œuvre des réformes importantes engagées par elle sous l’égide du Conseil supérieur des messageries de presse à l’issue des états généraux de la presse écrite.

Selon la profession, la régulation du secteur par une autorité administrative indépendante dans laquelle le pouvoir de décision et d’expertise échapperait aux éditeurs ne constituait pas la meilleure réponse face aux évolutions, qu’elle considérait cependant indispensables, du système coopératif de distribution de la presse et de son réseau.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la concertation s’est donc poursuivie entre les éditeurs et le CSMP, sous l’égide du ministère de la culture et de la communication, afin de définir une voie médiane, une position équilibrée, tenant compte à la fois des recommandations du Livre vert des états généraux de la presse écrite et des préconisations du rapport de M. Bruno Lasserre.

C’est cette voie médiane de régulation du secteur, la plus sage et la plus respectueuse des équilibres qui ont été, ces cinquante dernières années, à l’origine du développement de la presse, que propose d’emprunter la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat au travers de la proposition de loi relative à la régulation du système de distribution de la presse présentée par M. Jacques Legendre, son président.

Elle associe étroitement une instance professionnelle – le CSMP rénové – et une autorité administrative indépendante, tout en donnant une définition précise des missions et des compétences de chacun.

Elle entend répondre au souhait de la profession de conserver son indispensable expertise en matière de régulation de la distribution de la presse, ainsi qu’à la nécessité d’instituer un contrôle objectif des décisions de l’instance professionnelle et un arbitrage des différends par une autorité indépendante.

Je tiens à rendre hommage à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat pour le travail remarquable qu’elle a accompli dans la recherche de cet équilibre. Elle a veillé à organiser une large concertation, qui a permis à l’ensemble des parties prenantes au processus de distribution de faire valoir leurs arguments. Je salue tout particulièrement le souci de la commission de proposer une organisation non seulement harmonieuse – cela va de soi –, mais aussi efficace et opérationnelle, une organisation qui permette de consolider le fonctionnement du secteur, dans le strict respect des principes fondateurs de la loi Bichet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, j’apporte mon soutien à cette démarche en vue d’une meilleure régulation du système de distribution de la presse. J’y attache une importance toute particulière. À travers une régulation plus efficace de la vente au numéro, nous parviendrons à poser les bases d’une adaptation de la chaîne de distribution aux enjeux de la société numérique et de l’information en temps réel. Dans cette période de remise en cause des équilibres qui ont régi le secteur durant tant de décennies, l’ensemble des professionnels de la presse, des messageries jusqu’aux diffuseurs en passant par les dépositaires, ont besoin d’un outil de référence solide sur lequel s’appuyer. C’est le sens de la réforme que vous proposez, et je me félicite de ce que la Haute Assemblée ait appréhendé l’importance cruciale de cette question.

Je soutiens donc pour l’essentiel la proposition de loi déposée par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. Je présenterai toutefois des amendements sur quelques points. Outre des modifications de caractère formel, je souhaite notamment revenir à la composition de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse prévue dans la rédaction initiale de la proposition de loi, à savoir trois magistrats. Je souhaite par ailleurs que soit conservé un caractère facultatif à la consultation publique prévue par la commission pour les décisions importantes du CSMP.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre de cette proposition de loi, c’est le « juste milieu », si cher à Aristote, que je vous invite à suivre et à considérer. À mes yeux, ce texte marque une avancée considérable, qui a pu se nourrir de la dynamique du consensus. Il ménage les grands héritages démocratiques issus de la Libération et facilitera considérablement le développement économique, autour d’une régulation dynamique indissociable de nouvelles ambitions pour la distribution de la presse, cet outil essentiel pour le débat et la démocratie dans notre pays.

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