Intervention de Ivan Renar

Réunion du 5 mai 2011 à 22h15
Régulation du système de distribution de la presse — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Ivan RenarIvan Renar :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la liberté d’expression et la liberté de la presse font partie des fondements de notre démocratie. Parce que les journaux ne sont pas des biens comme les autres, leur diffusion et leur distribution sont des éléments clés pour garantir un véritable pluralisme des titres. Leur réforme appelle donc la plus grande prudence, et il faut l’aborder en tremblant, comme l’ont dit M. le ministre et M. Legendre, paraphrasant Montesquieu.

La loi Bichet de 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques a instauré l’impartialité de la distribution de la presse, afin d’assurer le pluralisme de celle-ci. Elle a consacré des principes fondamentaux qui gardent toute leur valeur aujourd’hui encore, telle la liberté pour les éditeurs de diffuser leurs titres par leurs propres moyens, qui s’accompagne cependant de l’obligation de distribution groupée des titres de presse par des sociétés coopératives de messageries de presse. Ainsi, l’égalité de traitement, pour tous les titres de presse de tous les éditeurs, est assurée par ce système coopératif. Par ailleurs, la loi a créé le Conseil supérieur des messageries de presse, instance qui veille à sa bonne application et au respect du système coopératif.

Depuis quelques années, la presse écrite française, notamment la presse quotidienne d’information générale et politique, connaît une crise sans précédent. La forte diminution des ventes, liée en partie à l’essor du numérique et des supports mobiles, remet en cause le modèle économique de la presse écrite : le système de péréquation des coopératives, fondement de la distribution en France, est mis à mal. Ainsi, Presstalis, qui assure la totalité de la distribution de la presse quotidienne nationale et 80 % de la distribution totale, est structurellement déficitaire depuis plusieurs années.

La lutte pour la répartition de la valeur entre les différents acteurs qui composent la chaîne de la distribution s’est faite d’autant plus forte que cette valeur s’est amenuisée. Des conflits importants opposent tous les niveaux de la chaîne : les éditeurs, les messageries de presse, les dépôts, les distributeurs et les diffuseurs peinent à s’accorder sur des réformes pourtant jugées nécessaires.

De même, les messageries de presse s’affrontent entre elles : les intérêts des Messageries lyonnaises de presse, indépendantes, ne coïncident pas avec ceux de Presstalis, qui est détenu par Hachette et se trouve en position hégémonique.

Le CSMP, tel que prévu par la loi Bichet, n’a pu élaborer de solutions pérennes, et pour cause : il ne possède pas de pouvoir contraignant. Petit à petit, son rôle s’est néanmoins renforcé, pour évoluer vers celui d’une instance de régulation du secteur de la distribution de la presse, au-delà même de ses compétences initiales, mais ses avis et propositions ne peuvent s’appliquer d’autorité. Dans ce contexte, une réforme des modes de régulation de la distribution de la presse semble indispensable. Les difficultés financières rencontrées peuvent s’avérer dramatiques pour tous les acteurs professionnels de ce secteur, qui expriment le souhait d’un renforcement des compétences du CSMP.

Mais cet apparent consensus cache une grande diversité d’approches.

La proposition de loi prévoit un CSMP rénové, constitué de vingt membres, exclusivement des représentants des professionnels de la distribution, composition reflétant les forces en présence. Le dispositif de régulation de la loi Bichet étant fondé sur les éditeurs, ceux-ci y occupant une place importante, au côté des messageries de presse.

Il est proposé de créer une nouvelle instance, l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, l’ARDP, autorité administrative indépendante composée de trois membres issus du Conseil d’État, de la Cour de cassation et de l’Autorité de la concurrence.

Une telle organisation peut sembler pertinente ; la question centrale tient aux rôles respectifs des deux instances. Le CSMP est une instance représentative de la profession. Il constitue un des fondements et une des garanties de l’existence du système coopératif. Sans CSMP, c’en est fini de la loi Bichet ! Si l’autorité de régulation est présentée comme indépendante et impartiale, elle est surtout l’émanation de la volonté du pouvoir. Dès lors, on est en droit de se demander quelle légitimité elle aurait à édicter la réglementation de ce secteur professionnel.

Ainsi, il apparaît difficile d’approuver la philosophie du texte adopté par la commission : celui-ci accorde, à nos yeux, un pouvoir trop important à l’ARDP, qui a vocation à valider toutes les décisions du CSMP, ainsi qu’à arbitrer les conflits. Le CSMP est, en quelque sorte, complètement placé sous la tutelle d’une autorité dont l’indépendance et la neutralité peuvent s’avérer très théoriques… Ce faisant, la proposition de loi procède à une profonde remise en cause du CSMP et, partant, du système coopératif, qui seul garantit un équilibre propre à permettre d’atteindre l’objectif de pluralisme.

Le CSMP mérite peut-être d’être réformé, mais il doit rester l’instance principale de régulation de la distribution, veillant au respect de l’équilibre instauré par la loi Bichet. Ce n’est pas en amoindrissant son rôle que l’on améliorera la situation de la distribution de la presse française, car il est le dernier rempart contre la marchandisation. Si la presse ne doit pas être structurellement déficitaire, elle ne peut être considérée comme un secteur marchand ordinaire, sauf à porter gravement atteinte aux valeurs mêmes sur lesquelles repose notre système démocratique. Effacer le CSMP revient à introduire la concurrence dans le système coopératif, avec pour conséquence la disparition progressive des titres de petite ou de moyenne diffusion.

Il faut créer une instance de résolution des conflits qui soit complémentaire du CSMP : il lui reviendrait d’arbitrer les différends non résolus au sein de ce dernier et de donner force exécutoire à ses décisions. Si cette instance extérieure et non professionnelle détient tous les pouvoirs de décision, rien ne garantira qu’elle soit fidèle au principe de solidarité défendu par le CSMP, que l’on cherche de toute évidence à transformer en coquille vide.

J’en veux pour preuve la remise en cause du contrat d’exclusivité contenue dans cette proposition de loi qui porte en elle la fin du système coopératif. Le CSMP a désormais pour mission, selon l’alinéa 26 de l’article 4, de définir « les conditions de distribution non exclusive par une messagerie de presse », ainsi que « les conditions d’une distribution directe par le réseau de dépositaires centraux de presse sans adhésion à une coopérative de messageries de presse ».

Ainsi, l’éditeur d’une publication pourrait confier la part la moins rentable de sa distribution aux messageries, tandis qu’il assurerait l’activité de distribution rentable par ses propres moyens ou par le biais d’une société non coopérative.

Mes chers collègues, c’est là une atteinte grave au système coopératif : c’est la fin de la mutualisation des moyens et de la péréquation des coûts de distribution qui permettent pourtant l’égalité de traitement entre tous les éditeurs ! Remettre en cause ces principes revient à déstabiliser entièrement le modèle économique mis en place en 1947, qui permet d’échapper au jeu exclusif des règles de la concurrence, et ainsi d’assurer le pluralisme des opinions et des idées.

Avec la mise sous tutelle du CSMP, cette disposition met fin au système coopératif, alors que le texte tendait en apparence à le sauvegarder.

Conscient du fait que des évolutions sont indispensables, je suis favorable au texte initial de cette proposition de loi, d’autant que les représentants de la profession semblent l’approuver unanimement. Les amendements adoptés en commission ont changé sa nature. Ils sont contraires, à nos yeux, à l’esprit de la loi Bichet et démantèlent, de fait, le système coopératif. Les modifications apportées limitent et minorent le rôle et l’action du CSMP, et donc des éditeurs.

Au lieu d’un rôle d’arbitrage, l’autorité administrative se voit conférer une fonction exorbitante de contrôle : on entre dans un système de distribution administré par l’État. Pour parler franchement, je trouve que cela a un petit parfum d’Union soviétique, et je m’y connais, hélas !

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