Ils m'ont fait l'amitié de m'interroger en particulier sur ce sujet. C'est la raison pour laquelle je reviens sur ce thème, d'autant qu'il est indiqué, dans le dossier de presse accompagnant le projet de loi, que l'on constate « une dégradation sensible de l'attractivité internationale de nos universités et de la visibilité de nos travaux de recherche ».
Prise à la lettre, cette affirmation n'est guère discutable si l'on se réfère à l'instrument de mesure considéré, c'est-à-dire le classement de Shanghai, qui désigne Paris VI comme la première université française, mais en lui assignant seulement le quarante-cinquième rang à l'échelon mondial.
Or que faut-il savoir de ce classement ? L'Institut des études supérieures de l'université de Shanghai retient quatre critères : la qualité de l'éducation, celle du personnel enseignant, l'importance de la recherche et, enfin, la taille de l'institution évaluée.
Plus précisément, les universités sont notamment classées selon le nombre de détenteurs d'un prix Nobel qui en sont issus, la fréquence des citations des travaux de leurs enseignants-chercheurs, le nombre d'articles publiés dans les deux revues les plus cotées au monde, à savoir Science et Nature, et le nombre d'articles publiés qui sont répertoriés dans le Science citation index et le Social Science citation index. S'ajoute enfin à ces critères un indicateur de performance défini - écoutez bien ! - par la division des indicateurs précédents par le nombre d'enseignants-chercheurs permanents à temps plein.
Telle est la méthode d'évaluation des performances des universités retenue. Ce mode de classement ne tient pas compte de la sélection faite à l'entrée des universités, ni de leur mode de financement, ni des missions de service public que certaines d'entre elles accomplissent, liées par exemple, s'agissant de notre pays, à l'obligation d'accueil de tous les étudiants.
En outre, seules les performances en matière de recherche sont évaluées, le taux d'insertion professionnelle des étudiants, dont le renforcement figure pourtant parmi nos objectifs, comme cela est constamment rappelé dans nos discussions, n'étant jamais pris en compte.
De plus, dans des pays comme le nôtre, la recherche est très largement duale, c'est-à-dire à la fois universitaire et d'État, via des établissements de recherche. C'est un mode d'organisation comme un autre, on en conviendra ; on peut certes juger qu'il vaudrait mieux procéder à une unification, mais cela relève d'un autre débat. En tout état de cause, le classement de Shanghai ignore les résultats obtenus au Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, à l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, ou à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, pour ne citer que ces quelques organismes, ce qui minore artificiellement l'évaluation des performances des capacités de recherche de notre pays.
Par ailleurs, le classement mesure la qualité et l'importance de la recherche en prenant essentiellement en compte le nombre d'articles publiés dans Nature et Science, ce qui favorise le corps universitaire anglophone. Cette orientation sélective transparaît dans le classement lui-même : sur les cinquante premières universités, trente-sept sont américaines, cinq britanniques, deux canadiennes, deux japonaises, une suisse, une néerlandaise, une suédoise et, enfin, une française. Je vous demande d'y réfléchir, mes chers collègues.
Or même les universités non anglophones de cette liste, à l'exception de la française, délivrent en partie leur enseignement en langue anglaise. Devons-nous, afin d'être mieux classés, imposer la pratique de l'anglais dans toutes nos universités ? Est-ce cela que nous voulons ? Les auteurs du classement semblent donc ignorer largement la qualité des travaux de recherche d'universités enseignant dans une autre langue que l'anglais. Vous observerez qu'aucune université chinoise ne figure dans ce classement. Je pense que personne ici ne se risquerait à dire que les universités de la première puissance économique mondiale dans certains domaines de pointe ne valent rien !
Je conclurai en soulignant que l'indexation des travaux de recherche et des publications est sujette à caution. Les deux index de référence sont produits par l'Institute of scientific formation, basé à Philadelphie et créé en 1960. Cet institut a été racheté en 1992 par une firme privée nord-américaine, Thomson scientific and healthcare, dont la maison mère, Thomson corporation, est un des leaders mondiaux de l'information financière et économique, possédant aussi l'agence Reuters. Cette compagnie a donc une importante activité d'édition scientifique, médicale et juridique. Comment peut-on accepter que l'on puisse être à la fois juge et partie dans le classement des résultats des universités ?
Ainsi, tout organisme public et international ne discute donc jamais des méthodes d'indexation des travaux de recherche et ne garantit leur impartialité ni leur pertinence scientifique. Je ne mets cela au débit de personne dans cet hémicycle, même pas au vôtre, madame la ministre. Je veux simplement appeler à plus de réserve lorsque l'on cite ce classement international dit de Shanghai pour dénigrer les résultats des universités françaises ou quand on me reproche de faire l'aveugle devant les résultats de nos universités, au motif que je ne tiendrais pas compte de ce classement.
Je le dis tout net, je n'ai pas l'intention, en tant qu'élu de la nation et mandataire de l'intérêt général, de considérer qu'une telle indexation fournit une référence sérieuse pour juger de la qualité du travail accompli dans nos universités.