Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 12 octobre 2006 à 9h30
Secteur de l'énergie — Division additionnelle avant le titre ier

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, nous sommes dans une situation abracadabrantesque, un peu à l'image - c'est le breton qui parle - du homard qui, quand il mue, se fait manger par le congre : la mue que vous voulez faire opérer à GDF ne laisse pas augurer par qui il se fera croquer demain...

L'un des arguments souvent utilisés pour justifier les privatisations est l'intérêt des clients, qui pourraient bénéficier, grâce au jeu de la concurrence, de baisses des tarifs.

Or, cet argument s'avère de plus en plus discutable, si l'on en croit l'expérience de l'ouverture des marchés dans le domaine de la téléphonie, dans celui des services postaux ou de ce que nous pouvons constater dans le domaine de l'électricité.

S'agissant de la téléphonie, comment ne pas rappeler que, depuis l'ouverture des services à la concurrence, l'événement le plus important que nous ayons pu constater est plus la condamnation des trois principaux opérateurs de téléphonie mobile pour entente sur les prix qu'une véritable baisse du prix des prestations fournies, et ce sans compter le véritable racket organisé sur les usagers au travers des services associés à la téléphonie mobile - envoi de minimessages, par exemple ?

Comment encore ne pas rappeler que l'ouverture du marché des renseignements téléphoniques se traduit par un véritable fiasco, la plupart des opérateurs intervenant sur ce segment plus que réduit de service étant d'ores et déjà en situation de disparition programmée ?

Les usagers eux-mêmes ne s'y sont pas trompés : la médiocre qualité du service rendu a fait chuter de 40 % la sollicitation des numéros dédiés au regard de l'ancien recours au numéro 12 de France Telecom ; l'opérateur historique, pour sa part, s'apprêterait à supprimer 40 % des postes de travail destinés à l'activation de ce service.

Comment ne pas relever, en matière de services postaux, que les pays ayant totalement mis en oeuvre la libéralisation de ceux-ci se retrouvent aujourd'hui - l'exemple de la poste en Suède est instructif de ce point de vue - avec un service dont l'efficacité est sérieusement remise en question ?

Revenons à la question de l'énergie et à l'expérience fondée sur l'éligibilité de la clientèle des professionnels à la concurrence des opérateurs.

Généralement, dans le passé, à l'époque de la seule application des tarifs réglementés, les industriels étaient épargnés et une augmentation concernant les seuls particuliers ne soulevait pas de contestation flagrante. Mais, cette fois, nous assistons à un véritable tollé de la part des industriels qui constatent une flambée des prix, dépassant de très loin les records antérieurement observés. Il est nombre de secteurs dans lesquels cette hausse des prix des fournitures énergétiques a un impact sur les coûts de production.

Il est donc nécessaire de mettre en oeuvre au plus vite un processus de contrôle et de bilan pour prévenir les dérapages éventuels.

Du point de vue de l'efficacité économique, les exemples des pays libéralisés devraient nous inciter à la prudence. En effet, plus les pays ont opté pour la libéralisation de leur système de production, de distribution et de transport, plus les effets de la volatilité des cours se sont fait ressentir.

Par exemple, la progression des prix « spot » est particulièrement spectaculaire. Selon le rapport annuel 2005 de la Commission de régulation de l'énergie - qui recommande pourtant dans le même temps de prolonger le mouvement de libéralisation... -, la moyenne annuelle des prix spot était de 46, 67 euros par mégawattheure en base et de 64, 05 euros par mégawattheure en pointe en 2005, alors qu'elle s'établissait respectivement à 28, 13 euros et à 37, 55 euros en 2004. Et chacun sait pertinemment ici que les prix du gaz ont connu la même ascension, suivant assez étroitement la tendance haussière observée sur les prix du pétrole !

En fait, la réalité semble décidément ne pas donner raison à ceux qui préconisent de longue date la déréglementation. Annoncée au début des années quatre-vingt-dix comme une « révolution » inéluctable et liée au développement de l'économie mondiale, la déréglementation sous sa forme actuelle est aujourd'hui sujette à interrogation, même dans de grands pays libéraux.

Cette volatilité des prix a des conséquences économiques que l'on ne saurait ignorer. Comment, en effet, équilibrer ses budgets et prévoir ses dépenses pour une entreprise quand les prix de l'énergie connaissent de telles envolées, à tel point que vous vous sentez obligés, pour l'heure, de créer un dispositif de tarification transitoire, dont vous allez d'ailleurs faire payer une part non négligeable à l'opérateur historique de l'électricité, même si un amendement examiné hier en commission améliore ce point précis ?

Dans ces conditions, vous conviendrez avec moi, mes chers collègues, de l'utilité d'un bilan indispensable sur la question de l'ouverture à la concurrence, dans la perspective de la renégociation des directives l'ayant favorisée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion