Madame la ministre, la procédure d’urgence serait tout à fait justifiée si votre projet l’était lui-même. Or, si l’on entend réellement assurer la viabilité du service public de santé français, l’urgence n’est pas aujourd’hui de réformer – pour ne pas dire de chambarder ! – ses structures et son organisation, qui plus est pour la sixième fois en dix ans, alors que les pôles ne sont pas encore tous mis en place, ni a fortiori évalués. L’urgence est plutôt de pourvoir au financement de ce service public.
Dans un courrier en date du 29 avril dernier, il y a donc très peu, adressé au président de la Fédération hospitalière de France, la FHF, vous avez annoncé le report à 2018 de la convergence tarifaire publique/privée, initialement prévue pour 2012. Le renoncement, cela a été dit, est raisonnable, mais tardif !
De même aviez-vous attendu l’ouverture des débats parlementaires sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale en novembre dernier pour enfin reconnaître la sous-estimation du coût de la prise en charge de la précarité et des polypathologies par le service public, et donc de son sous-financement.
Cela fait des mois, en effet, que les professionnels de santé et nous-mêmes vous alertons sur la gravité de la situation financière des établissements publics et que nous plaidons en faveur d’un plan de résorption des déficits hospitaliers.
Nous demandons donc non pas simplement la levée de l’urgence sur ce texte, mais le retrait pur et simple de ce dernier ; nous aurons d’ailleurs l’occasion de défendre dans la suite du débat la motion que nous avons déposée tendant à opposer la question préalable.
Vous entendez garantir à tous, et partout, un égal accès aux soins et sauver l’hôpital. Mais les outils que vous proposez de mettre en place à cet effet ne sont qu’apparence et paradoxe.
Vous n’offrez que l’apparence d’une réorganisation des parcours de soins. En effet, menée avec un tel « tact » et une telle « mesure », l’offre ambulatoire ne s’en trouvera pas plus accessible, ni géographiquement ni financièrement, et n’en sera pas autrement perturbée. Ceux auxquels votre réforme prétend s’adresser, ceux qui n’ont plus accès aux soins, en sont, paradoxalement, les grands oubliés !
Vous n’installez que l’apparence de « patrons » tout-puissants à la tête de l’hôpital et de l’agence régionale de santé et de l’autonomie : c’est l’État qui prend la main et ils seront aux ordres. Mais cette étatisation évidente organise, dans le même temps, le désengagement de l'État du service public hospitalier, livré aux appétits du secteur privé commercial, et prépare l’abandon de la responsabilité politique et financière de l’organisation du système de santé lui-même.
Les valeurs qui fondent cette réforme sont claires ; les moyens mis à leur service, classiques ; l’objectif est transparent.
Vous vous appuyez sur un principe, pour ne pas dire un dogme : l’optimisation des coûts résultera d’une mise en concurrence. Il faut donc gommer tout ce qui pourrait encore distinguer le secteur public du secteur privé pour glisser le premier dans les habits du second.
C’est l’application des modes de gestion entrepreneuriaux à l’hôpital et à l’organisation du système de santé. C’est la tarification à l’acte déjà mise en place et le démantèlement du service public hospitalier, parcellisé en missions que l’on dispersera ainsi aisément au vent des marchés.
L’objectif, vous l’avez annoncé : des économies à hauteur de 93 millions d’euros doivent être réalisées, car la santé coûte trop cher à l’État. Tel est d’abord le souci comptable présidant à cette réforme et telle est bien la « feuille de route » fixée aux nouveaux « patrons » des agences régionales de santé et de l’autonomie et des hôpitaux publics, qui, sous une apparente liberté de moyens, seront révocables à merci et seront tenus au collet par cette obligation de résultat.
L’effet de l’annonce de cet impératif catégorique financier, déguisé en « maîtrise médicalisée », a d’ores et déjà tétanisé les personnels et gelé les sources de financements des réseaux de santé.