Madame la ministre, dans votre propos liminaire, vous avez dit qu’il était absurde d’opposer patients et impératifs de gestion. Comment ne pas vous donner pleinement raison ?
L’intitulé de votre texte pouvait d’ailleurs légitimement nous faire espérer que le patient serait vraiment au centre de votre projet de loi. A minima, nous étions en droit d’attendre un réel équilibre entre patients et exigences de gestion. Or il n’en est rien ! Tel est le fondement même de notre critique.
Dans votre texte, le malade a quelque peu disparu. Le travail réalisé par la commission a certes permis des corrections allant dans le sens d’un meilleur équilibre, mais il convient d’aller plus loin.
En définitive, ce texte parle d’organisation, de gouvernance. Mais où est le patient ? Quelle est l’ambition en matière de santé ? Quels sont les moyens nécessaires au service de cette ambition ? Seules les réponses à ces questions peuvent donner un sens au choix d’organisation que vous proposez.
Donnons-nous une véritable loi fondatrice de droits nouveaux pour nos concitoyens. Il en est peut-être encore temps !
Cela étant, regardons le contexte dans lequel surgit ce projet de loi.
Il faut replacer le mouvement de protestation suscité par le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires dans la suite des réformes précédentes qui ont créé un climat de tension et de mécontentement général chez les acteurs de la santé. Du point de vue des hospitaliers de terrain, le projet de loi HPST, dans son contenu, c’est un peu la réforme de trop !
Depuis le milieu des années 1990, l’hôpital est en réforme permanente : création des agences régionales de l’hospitalisation, introduction de la tarification à l’activité, création des pôles, etc. Ces réformes se succèdent sans que l’on ait pris le temps de les évaluer ou même de mesurer tous leurs effets. C’est un peu comme un Meccano dont les pièces auraient été progressivement mises en place sans que le plan d’ensemble ait été dévoilé aux acteurs.
Ainsi, vous proposez un nouveau mode de gouvernance. Qu’en est-il ?
La gouvernance de l’hôpital sera calquée sur celle des cliniques privées avec un directeur, un directoire et un conseil de surveillance. Le projet de loi HPST achève en quelque sorte de « verticaliser » le système de santé en instaurant des lignes hiérarchiques sans rupture : la chaîne de pouvoir, qui va du ministère de la santé au directeur d’hôpital, en passant par le directeur des agences régionales de santé et d’autonomie, gagnera peut-être en rapidité de commandement – j’utilise ce terme à dessein –, mais elle aura pour effet d’ignorer les hommes et les femmes ancrés dans leur territoire, qui sont pourtant la justification ultime d’une politique de santé. Au bout du compte, l’efficience même des soins risque bien d’être remise en cause.
Jusqu’à présent, les lignes médicales et administratives, même si elles étaient séparées, savaient le plus souvent trouver les complémentarités nécessaires à l’action. Or la réforme remet en cause ce Yalta implicite en tentant d’hybrider ces deux logiques en une gestion médico-économique. Le projet de loi ne se préoccupe pas de la mise en œuvre des missions de service public et ne s’attaque pas à ce qui nous semble être les véritables problèmes de l’hôpital, à savoir un déficit de moyens dû au mode de financement, un empilement administratif résultant de cinq réformes successives en vingt ans, un « trou démographique » du nombre de médecins et d’infirmières et des inégalités géographiques d’accès aux soins évidentes.
Aujourd’hui, vous le dites vous-même, le projet de loi ne répond pas à ces objectifs. On entre, comme les intervenants précédents l’ont dit à plusieurs reprises, dans une véritable logique de productivisme. Les objectifs économiques prennent le pas sur les enjeux de santé publique et d’accès aux soins. Pour autant, je le crains, l’équilibre économique global ne sera même pas réalisé.
En filigrane de ce passage à un hôpital comptable