Ma position sera équilibrée : je voterai deux des quatre amendements du Gouvernement.
Je voterai l'amendement n° 83, car je suis farouchement contre toute forme de haine, d'intolérance et de discrimination. Par conséquent, je voterai également l'amendement n° 82, qui tend à insérer une division additionnelle après l'article 17.
En revanche, je suis beaucoup plus réservé - c'est le moins que l'on puisse dire ! - sur les amendements n° 84 et 85. Certes, leur objectif est honorable : ces amendements sont guidés par des sentiments louables, que je peux intellectuellement accepter. Pourtant j'attire votre attention sur le fait qu'ils risquent d'être, sur un plan pratique, extrêmement dangereux en permettant des dérives que ni vous ni moi ni personne ici ne souhaite.
En effet, qu'on le veuille ou non, ces amendements portent atteinte à la liberté d'expression. L'amendement n° 85, ainsi que le précise son objet, aurait été élaboré en tenant compte de l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Cela me laisse perplexe. Car, dans cet avis, la Commission souligne que « légiférer afin de protéger une catégorie de personnes, risque de se faire au détriment des autres, et à terme, de porter atteinte à l'égalité des droits », donc à la liberté d'expression. Par ailleurs, elle reconnaît que « les notions de diffamation et d'injure à raison de l'orientation sexuelle constituent un délit extrêmement flou ». En effet, c'est la liberté d'expression, symbole de toute démocratie, qui est au coeur du problème dont nous parlons.
De ce point de vue, les amendements n° 84 et 85 soulèvent des difficultés. Si les intentions qui vous animent sont respectables, monsieur le garde des sceaux, le chemin qu'elles ouvrent ne va pas dans la bonne direction.
J'attire votre attention sur le décalage préoccupant qui existe aujourd'hui entre les propos selon qu'ils sont tenus en public ou en privé. Quand une telle différence apparaît dans une démocratie, cette dernière doit s'interroger, car cela peut être grave. J'entends dans les milieux privés, quelles que soient la région ou l'origine culturelle, sociale ou autre, des propos qui font frémir d'horreur. C'est le phénomène du balancier ! Lorsque l'on va trop loin d'un côté, on va ensuite trop loin de l'autre. Je ne vous cache pas que j'en suis extrêmement inquiet. Beaucoup de citoyens ne supportent plus le « politiquement correct » lénifiant et étouffant qui bride de plus en plus l'expression des idées.
Il ne sera bientôt plus possible de parler sans avocat ; cela fera peut-être la richesse de cette profession, mais certainement pas celle de la démocratie ! Prenons garde à ne pas transformer la lutte contre les discriminations qui frappent ceux qui sont différents en discrimination contre ceux qui pensent différemment.
Je prendrai l'exemple de l'homophobie. Certaines personnes, sans penser à mal, n'hésiteront pas à utiliser l'expression de « couple normal » pour parler d'un couple hétérosexuel. Je suis persuadé qu'il se trouvera une association pour estimer cette expression injurieuse à l'égard des couples homosexuels, puisque cela suppose en creux que ceux-ci sont anormaux. Cela risque de donner lieu à un procès. Les problèmes posés sont sérieux.
Dans le même ordre d'idées, il existe une pratique, bien ancrée dans nos moeurs, qui consiste à affubler à tout bout de champ les personnes qui ne le méritent pas d'un mot de trois lettres qui commence par un « c ». Or ce terme étant sexiste, nous ne pourrons bientôt plus le prononcer librement.
A force d'interdire, nous ne pourrons plus autoriser. Voilà une trentaine d'années, il était interdit d'interdire. Désormais, il sera interdit d'autoriser. Une telle évolution est embarrassante !
De grâce, ne jouons pas aux apprentis sorciers en dépassant les limites. D'ailleurs, la Commission nationale consultative des droits de l'homme précise que, aujourd'hui, « personne ne peut se soustraire à sa responsabilité pénale en cas d'atteinte à la réputation ou aux droits d'autrui » et que « la législation actuelle et l'autorégulation permettent un équilibre satisfaisant entre le respect de l'intérêt des personnes, des groupes de personnes ou des institutions et la liberté d'expression ».
Ne perturbons pas ce fragile équilibre, sur le point de rompre. L'article 2-6 du code de procédure pénale est déjà très coercitif.
Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, n'oubliez pas que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme se fonde davantage sur la liberté d'expression que sur les restrictions apportées à ce principe. Or ces deux amendements tendent à restreindre davantage ce principe.
Voltaire disait : « Je n'ai pas vos idées, mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer et les défendre. » C'est ce que nous devons faire : nous battre pour que chacun puisse exprimer ses idées, mais sans troubler l'ordre public, sans appeler à la haine, aux discriminations ou à la violence.
Pour défendre cette liberté d'expression à laquelle je suis très attaché, j'opposerai aux amendements n° 84 et 85 un autre mot, correct cette fois, de trois lettres, avec un « o » au milieu : non !
Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, ce « non » peut évoluer, pas jusqu'au « oui », mais peut-être jusqu'à une abstention amicale, à condition que vous nous apportiez de façon claire et précise la garantie que l'adoption de ces amendements ne mettra nullement en cause le droit de chacun de formuler une opinion éthique sur l'homosexualité et le mariage homosexuel afin de manifester son approbation ou sa désapprobation vis-à-vis de l'homosexualité et du mariage homosexuel.
De telles assurances me paraissent essentielles, compte tenu de l'interprétation que les juges seront appelés à faire en cas de différend. Si vous ne voulez pas de dérive, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, apportez-nous ces garanties : ce sera la meilleure façon de faire progresser réellement le droit.