Intervention de Bernard Frimat

Réunion du 16 juin 2006 à 9h45
Immigration et intégration — Article 41

Photo de Bernard FrimatBernard Frimat :

Monsieur le ministre, au-delà des considérations d'ordre général que vous avez évoquées, l'article 41 du présent projet de loi, comme vient de l'indiquer Mme Alima Boumediene-Thiery, remet en cause le principe de la collégialité des tribunaux administratifs.

Il ne s'agit pas de nier les difficultés auxquelles sont confrontés les tribunaux administratifs. Il ne s'agit pas davantage de nier l'explosion du nombre de recours contentieux effectués par des étrangers ni le fait que l'exécution de la loi de programme de 2002 n'a pas permis de résorber l'engorgement des tribunaux.

Néanmoins, cet engorgement ne peut constituer un argument pour mettre en cause la qualité des jugements qui sont rendus et, par voie de conséquence, la qualité des droits de la défense.

Pour présenter le nouveau dispositif relatif à l'obligation de quitter le territoire, M. le rapporteur écrit, à la page 29 de son rapport : « le nouveau mécanisme ne retirerait aucun droit à l'étranger. En effet, son droit au recours est entièrement préservé tout en simplifiant les procédures pour les préfectures et les tribunaux administratifs. » Après avoir étudié ces éléments, nous nous permettons de douter de cette affirmation.

Nous sommes en effet dans un cercle vicieux : plus on créera, et ce projet de loi est exemplaire à cet égard, de nouvelles dispositions visant à durcir les conditions d'accueil et de séjour et à accélérer les procédures, plus les autorités administratives verront leurs décisions remises en cause devant les tribunaux administratifs, plus les tribunaux seront sollicités, plus le contentieux sera important.

En réalité, monsieur le ministre, sur la question de la collégialité, votre gouvernement avance masqué. Nous savons en effet qu'un projet de décret est en train d'être examiné par le Conseil d'État. Celui-ci, comme Mme Boumediene-Thiery vient de le dire, aura pour conséquence de revenir sur le principe de la collégialité, principe pourtant fondamental, qui figure dans ce que les juges administratifs appellent le « décalogue des juridictions administratives », à savoir l'article L. 3 du code de justice administrative, qui affirme le principe de la collégialité.

Nous savons également que le Gouvernement souhaite s'appuyer sur l'article L. 222-1 de ce code, qui pose le fondement du principe du juge unique, pour imposer une telle évolution, qui sera présentée comme une réforme fondamentale des juridictions administratives. Je ne reviens pas sur l'immense champ des contentieux concernés par une telle décision, celui des étrangers n'en représentant qu'une partie.

Cette réforme est très fortement contestée dans les milieux judicaires. La grève des magistrats administratifs du 7 juin dernier n'est pas un événement anecdotique. Le mouvement a reçu le soutien d'un grand nombre d'organisations d'avocats, ainsi que de nombreuses associations, notamment l'Association des paralysés de France.

C'est la première fois qu'une grève est organisée pour défendre un principe élémentaire de justice, celui de la collégialité. Comme le rappelait un syndicaliste, les décisions collégiales constituent une « garantie essentielle » de l'indépendance et de l'autorité des tribunaux administratifs, notamment face au pouvoir d'État.

J'en reviens au contentieux plus précis qui surgira avec cette nouvelle procédure relative à l'obligation de quitter le territoire. Parce que vous réunissez, monsieur le ministre, dans une décision unique trois aspects différents, le refus de séjour, l'obligation de quitter le territoire et le pays de destination, les recours pourront être dépecés en plusieurs morceaux et plusieurs juridictions seront susceptibles d'intervenir.

De plus, ce texte s'est enrichi d'une disposition nouvelle, qui prévoit que l'instruction est close à l'audience ou au terme des débats. Normalement, l'instruction est close avant l'audience. Cette mesure rendra plus difficile - il s'agit d'une conséquence évidente - l'intervention du commissaire du Gouvernement quand la clôture sera prononcée à l'audience. C'est donc, là encore, une manière insidieuse de remettre en cause le principe de la collégialité.

Ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il serait judicieux de préserver la qualité, l'indépendance et la sérénité des débats, en affirmant ce principe de collégialité que vous vous apprêtez à démanteler par voie de décret dès l'adoption de ce projet de loi ?

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