Cet amendement étant particulièrement important, je prendrai la peine de développer l'argumentaire.
L'article 41 prévoit que, lorsque l'étranger est placé en rétention, le tribunal administratif statuera à juge unique, sans commissaire du Gouvernement, sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi.
Nous sommes clairement opposés au jugement à juge unique.
En effet, la collégialité est un principe fondamental de la procédure administrative contentieuse. Il est posé à l'article L. 3 du code de justice administrative : « Les jugements sont rendus en formation collégiale, sauf s'il en est autrement disposé par la loi ». Pourquoi ? Parce que cela permet, surtout lorsque les dossiers donnent lieu à une importante appréciation de faits qui touchent à l'humain, un échange, parfois une confrontation des opinions de chacun ; cela permet de mûrir une décision. Cette méthode de travail donne plus de garanties aux justiciables.
Elle renforce l'indépendance des juridictions. Il ne faut jamais oublier que, devant nos juridictions, une des parties, le plus souvent le défendeur, est toujours un ministre, un maire, un préfet, bref, un représentant d'une administration investie de pouvoirs exorbitants du droit commun. Le tribunal ou la cour sont là pour rétablir l'égalité des armes. Ils auront d'autant plus de poids face à ces institutions que leurs jugements seront rendus par des formations collégiales.
Pour ces raisons, les exceptions à la règle doivent être arrêtées par le législateur. En effet, les exceptions risquent de porter atteinte à l'indépendance de la justice administrative, qui est un principe de nature constitutionnelle.
C'est bien ce que précise l'article L. 3, que ne contredit pas l'article L. 222-1 du code de justice administrative, qui précise : « Les jugements des tribunaux administratifs et les arrêts des cours administratives d'appel sont rendus par des formations collégiales, sous réserve des exceptions tenant à l'objet du litige ou à la nature des questions à juger.
« Les juges délibèrent en nombre impair. ».
Cet article n'indique pas que les exceptions sont fixées par voie réglementaire. C'est pourtant le cas. Subrepticement, à l'occasion de la transformation, par ordonnance, du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel en code de justice administrative, l'ancien article L. 4-1 a été transformé en article réglementaire, l'article R. 222-13. Le législateur, par ordonnance, s'est contenté de fixer deux critères très vagues : la nature et l'objet du litige.
Il est clair que ces deux critères n'épuisent pas la compétence du législateur. Comment exercer un contrôle sérieux de la légalité du décret avec ces deux termes ? Qui pourrait dire, sur cette base, que le fait de confier à un juge unique le contentieux des titres de séjour serait illégal ? La nature ou l'objet du litige n'y conduisent pas immédiatement.
Le législateur doit en dire beaucoup plus et, compte tenu de la difficulté de l'énumération, sans doute doit-il l'exprimer en totalité.
Pourquoi la nouvelle liste proposée par le pouvoir réglementaire pose-t-elle problème ? Parce qu'elle va au-delà des contentieux juridiquement simples dont les enjeux sont faibles. Il en va ainsi du contentieux des étrangers qui n'est ni simple, ni de faible incidence sur les intéressés.
Ce sont ces extensions qui posent problème pour les raisons exprimées ci-dessus tenant à l'indépendance du juge administratif.
Il faut savoir par ailleurs que cette réforme n'est pas dictée par un souci de l'amélioration de la qualité des décisions rendues. Elle l'est seulement par la contrainte budgétaire et l'insuffisance des moyens qui nous sont alloués. Comment faire pour juger dans des délais raisonnables, ce qui est une autre exigence d'une bonne justice, sans augmenter les effectifs ? On modifie les méthodes de travail.
Dans ces conditions, et parce qu'il n'est pas question, pour le moment, de modifier l'article L. 222-1 du code de justice administrative ni de transformer en article législatif l'article R. 222-13 du code de justice administrative, nous demandons qu'à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration le Parlement exerce à nouveau pleinement ses compétences et inscrive dans la loi que les refus de titre de séjour assortis d'une obligation de quitter le territoire français sont jugés en formation collégiale.
Il s'agit de faire barrage aux dispositions les plus contestables de ce projet de décret. C'est ce qui motive notre amendement pour la formation collégiale au tribunal administratif.