Monsieur le ministre, à l'issue de ces cinquante heures de débat sur un texte aussi important, je tiens d'abord, par courtoisie, à vous remercier d'avoir été présent tout au long de la discussion. Vous direz au ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, que la relative fugacité de son passage ici même ne nous a pas semblé très respectueuse de la Haute Assemblée, eu égard, notamment, à la teneur du texte et à l'effet médiatique que lui-même escomptait.
Disant cela, je n'enlève rien à votre mérite et je n'ai aucunement l'intention de vous être désagréable. Vous avez défendu la position du Gouvernement, nous avons débattu, nous nous sommes opposés, parfois vivement, mais tout cela est le jeu normal de la démocratie. Nous faisons tous de la politique pour défendre nos convictions, et c'est au nom des siennes que le groupe socialiste, unanime, votera contre ce projet de loi. Je ne le reprendrai pas d'ailleurs ici point par point, car nous avons eu suffisamment l'occasion de nous expliquer.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne voudrais pas que les termes que j'emploie puissent paraître blessants, car tel n'est pas mon but. Dans le combat politique, il est certes facile d'être tenté par l'offense, mais, au final, une telle attitude se révèle toujours mauvaise, car la qualité des arguments ne trouve sa pleine expression que dans la mesure. Il n'y a donc pas lieu d'y ajouter l'outrance.
De toutes les images qui me sont revenues en mémoire en travaillant sur ce texte, je retiendrai plus particulièrement deux souvenirs littéraires.
Tout d'abord, lorsque j'observe la composition de notre assemblée, je pense toujours à ce si beau vers d'Edmond Rostand dans Cyrano de Bergerac : « Non, non, c'est encore bien plus beau lorsque c'est inutile ! »
Même si nous connaissions par avance le sort que vous réserviez à nos amendements, nous avons tenu à les présenter un par un. Et il est tout à notre honneur de défendre nos convictions jusqu'au bout, jusqu'à la dernière minute de ce débat. Monsieur le ministre, je vous le répète donc une dernière fois, vous êtes dans l'erreur et vous faites fausse route lorsque vous croyez pouvoir connaître l'opinion profonde de notre peuple en vous référant simplement aux résultats d'un sondage publié par ce qu'est devenu Le Figaro. Sachez-le, c'est nous qui sommes touchés, dans notre chair, par les problèmes des immigrés, c'est nous qui nous sentons en harmonie avec nos frères étrangers.
Ensuite, j'ai pensé à un poème de Jacques Prévert, publié dans Paroles. Je vous l'accorde, il est quelque peu provocateur ; mais puisqu'il comporte des mots à ne pas prononcer dans cet hémicycle, je n'en citerai qu'une partie ! Ce poème s'intitule La chasse à l'enfant. Après une série de quatre injures, que je vous épargne, Jacques Prévert écrit ceci :
« Qu'est-ce que c'est que ces hurlements ?
« C'est la meute des honnêtes gens
« Qui fait la chasse à l'enfant. »
Monsieur le ministre, par moments, au cours du débat, j'ai effectivement eu ce sentiment. Encore une fois, je ne veux en aucun cas être blessant. Malgré tout, comme je l'ai déjà dit lors de la discussion générale, personne ne peut nier que nous vivons dans un pays, qui, comme d'autres, a vu, de tout temps, prospérer des courants xénophobes, surtout quand les difficultés s'accumulaient. Les boucs émissaires étaient alors immédiatement désignés : les juifs, les étrangers. Ces courants transcendaient d'ailleurs les opinions politiques. Chez tous ceux qui ont payé de leur vie pour combattre le triomphe de telles idées, toutes les couleurs politiques étaient représentées.
Par conséquent, je ne ferai pas d'amalgame !