Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 28 novembre 2007 à 10h20
Loi de finances pour 2008 — Participation de la france au budget des communautés européennes

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c'est un plaisir que d'avoir à aborder les questions européennes, alors que, comme vient de le dire très justement M. de Montesquiou, les perspectives se sont singulièrement améliorées à la faveur du nouveau traité.

Je n'évoquerai pas les questions financières, celles-ci l'ayant été par des personnes beaucoup plus qualifiées que moi. Après tout, derrière le budget, ce sont les politiques qu'il nous faut examiner et auxquelles nous devons réfléchir.

C'est sans regret que je vois se profiler la perspective d'un rééquilibrage des budgets européens, car nous sommes, me semble-t-il, restés trop longtemps prisonniers des budgets historiques dans lesquels la PAC, la politique agricole commune, jouait un rôle prépondérant, ce qui se comprenait et se justifiait parfaitement. Cependant, à partir du moment où l'Europe, avec les traités de Maastricht et d'Amsterdam, a élargi son horizon à des problèmes tout à fait nouveaux, se tournant ainsi non plus vers ses traditions mais vers son avenir, il est tout à fait normal qu'elle redéploie ses moyens financiers, en particulier dans le cadre d'un budget qui, il faut bien le dire, n'est pas considérable.

Au fond, ce redéploiement a un peu tardé ! A cet égard, je suis heureux que la conjoncture économique dans le secteur agricole le facilite peut-être, car il est urgent d'y procéder. Je n'en dirai pas plus, concernant notamment la politique agricole commune, qui ne mérite pas toujours son nom, car elle n'est pas vraiment commune à tous les États, en tout cas dans un sens positif, ni surtout, soit dit en passant, à tous les agriculteurs, puisqu'elle profite le plus souvent à ceux qui en auraient le moins besoin ! Mais je préfère refermer cette parenthèse !

Je souhaite, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous soumettre deux réflexions : l'une, d'ordre général, est liée aux institutions ; l'autre, plus précise, concerne le troisième pilier.

Tout d'abord, je crois que nous sommes entrés dans une ère profondément nouvelle en matière européenne. Nous étions en effet habitués à un mécanisme très ingénieux, imaginé par les fondateurs de l'Europe - il ne s'agit pas du tout, pour moi, de le critiquer ! -, en vertu duquel la Commission jouait un rôle majeur, puisqu'elle en était à la fois le gestionnaire et le moteur pratiquement exclusif.

Or, à la faveur du nouveau traité, il semble que nous soyons en train - c'est en tout cas mon souhait - de passer à un système plus classique, doté d'un véritable exécutif politique et non pas administratif. J'évite d'utiliser le mot « technocratique », qui a toujours des connotations désagréables, même si je n'ai rien contre la technocratie. Je la crois même tout à fait utile et, pour ma part, j'entends le terme dans son sens positif.

Il est tout à fait remarquable que nous soyons parvenus à l'adoption de ce nouveau traité par une démarche des chefs d'État et de gouvernement, réunis en Conseil européen, lequel a manifestement voulu sortir de manière résolue des embarras dans lesquels nous étions plongés depuis des années. Ce traité est complexe et donc difficile à comprendre, mais plus on l'analyse, plus on s'aperçoit qu'il est en réalité très astucieux, car il fait les concessions qu'il fallait bien faire, tout en ménageant, dans le même temps, la possibilité de procéder à des corrections pour aller de l'avant. Il est extraordinaire que la conférence intergouvernementale ait fait preuve d'une telle efficacité.

Tout cela montre que, lorsque les Européens se réveillent et veulent avancer, ils savent le faire. En quelques mois, ils peuvent résoudre des problèmes qui paraissaient insolubles depuis des années, ce qui est tout de même encourageant.

À mon avis, nous allons bénéficier d'un système politique plus équilibré et plus conforme aux systèmes politiques généraux des structures fédérales, avec pour exécutif un Conseil renforcé, qui prendra, d'une manière générale, ses décisions à la majorité qualifiée, ce qui nous permettra enfin de sortir du système paralysant du vote à l'unanimité. Certes, cette procédure n'interviendra qu'en 2014, mais nous y arriverons vite !

Est également prévue une présidence durable de deux ans et demi, renouvelable une fois, de sorte que certains présidents, qui seront élus pour cinq ans, pourront marquer leur passage à la tête des affaires européennes.

Par ailleurs, en matière de politique étrangère, sera nommé un « haut représentant », dont les fonctions sont valorisées.

Au total, l'exécutif européen pourra devenir, à l'avenir, le véritable moteur des affaires européennes, ce qui est normal. J'observe d'ailleurs qu'il s'est réservé la possibilité de trancher certaines des difficultés qui peuvent subvenir en cours de parcours, les litiges sur les exceptions, les clauses d'opting-out et les freins d'urgence, ou emergency brakes. À chaque fois, l'arbitrage sera effectué par le Conseil européen, qui assumera pleinement ses responsabilités.

Parallèlement, le pouvoir législatif sera assuré par le Parlement, selon un système de codécision généralisé. Ainsi, on aboutit à un dispositif assez complet, auquel manque cependant, à mes yeux, une seconde chambre, représentative des États et de leur culture, qui caractérise toute structure fédérale.

Certes, à l'heure actuelle, nous faisons des efforts importants pour mieux associer les parlements nationaux. Mais, il faut bien le reconnaître, cette association a ses limites, du fait de leur nombre, de leur mode de recrutement, de leurs charges de travail et de leur culture. Pourtant, Dieu sait si nous la pratiquons au maximum ! À ce titre, je tiens à rendre hommage au travail de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

On me répondra que le Conseil européen joue le rôle qui devrait être assigné à cette seconde chambre. Or nous savons bien, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que les conseils ministériels correspondent très mal au concept qui est le nôtre de « seconde chambre » ! Je n'entrerai pas dans les détails.

Le système retenu comporte donc une lacune. Il faut imaginer une seconde chambre, qui serait à mi-chemin entre le Sénat français et le Bundesrat et réunirait des représentants des parlements ou des gouvernements. Tant que le système européen ne prévoira pas un parlement comprenant deux chambres, il manquera, à mon avis, quelque chose à ce dispositif.

Ensuite, et c'est l'objet de ma seconde réflexion, j'évoquerai le problème du troisième pilier et plus spécialement, comme l'un des orateurs qui m'a précédé, les problèmes de sécurité et de justice. Je crois, monsieur le secrétaire d'État, que la présidence française n'envisage pas d'en faire l'une de ses priorités. §Mais je reconnais que vous avez beaucoup de choses à faire !

J'ai entendu dire que votre intention serait d'essayer de faire avancer différents projets mis en oeuvre par la Commission européenne. Mais, en agissant ainsi, vous ne ferez pas de progrès dans ce domaine, j'en suis convaincu.

Dans le système antérieur au traité de Lisbonne, caractérisé par la nécessité d'un vote à l'unanimité, l'insuffisance des procédures de codécision et tous les embarras que nous connaissons, la Commission européenne avait tenté d'agir : Eurojust et Europol ont été créés ; un mandat d'arrêt européen, qui n'est peut-être pas aussi efficace qu'on le croit, a été mis sur pied ; des décisions-cadres, qui ne concernent en réalité que des questions relativement accessoires, et ce d'une manière insuffisante, ont été adoptées.

D'une manière générale, les inconvénients du système étaient tels que la Commission européenne n'a pas pu faire des avancées décisives dans ces domaines. Eurojust et Europol sont des démarches exploratoires, qui ne sont pas réellement opérationnelles, si ce n'est d'une manière ponctuelle. Je rends d'ailleurs hommage à ceux qui travaillent dans ces institutions et font certainement preuve d'un esprit de mission remarquable. Toutefois, leurs statuts sont tellement complexes et limitatifs qu'ils ne peuvent mener les actions qui seraient nécessaires pour que l'Europe assume pleinement ses responsabilités en matière d'unification des systèmes juridiques et de lutte contre la délinquance transfrontalière, qui est tout de même, jusqu'à nouvel ordre, l'un de nos principaux problèmes. Il y a en effet beau temps que les criminels et les délinquants, eux, ont fait l'Europe !

Chacun sait, s'il veut bien réfléchir à ces questions de manière objective, qu'il faut unifier les méthodes de poursuite, avec l'instauration d'un parquet européen. Il convient également d'unifier les systèmes juridiques, en rapprochant les définitions des délits et des peines .Enfin, il est nécessaire d'unifier les structures juridictionnelles et les polices, en se dotant, à un moment donné, d'un « FBI européen », si nous voulons nous occuper sérieusement de la criminalité.

En quoi tout cela est-il si difficile ? Les prérogatives nationales, qui seraient un domaine sacro-saint, sont souvent invoquées, mais en général par les chancelleries concernées ! Quant aux parlements eux-mêmes, en particulier le parlement français - je ne parle pas du parlement anglais qui, comme chacun le sait, possède un particularisme très marqué -, ils ne verraient pas d'objection à ce que l'on réalise des avancées significatives dans ces domaines.

Pour ma part, je souhaite que l'on réexamine à la base les questions relatives au troisième pilier, c'est-à-dire à l'espace judiciaire et juridique européen, en se posant à nouveau les questions fondamentales. L'esprit nouveau créé par le traité de Lisbonne le permet, et la présidence française pourrait être, selon moi, l'occasion de proposer à nos partenaires de réaliser des progrès importants dans ces domaines. Affirmons-le gentiment mais fermement : si nous ne voulons pas, tous ensemble, nous doter des moyens nécessaires pour résoudre ces problèmes, la formule des coopérations renforcées, qui est souvent et à juste titre rappelée dans le nouveau traité, nous permettra de réaliser des avancées auxquelles les autres pays finiront par se rallier.

J'ai peur d'avoir dépassé mon temps de parole, et je vous prie de m'en excuser. Je conclurai en disant - et c'est l'essentiel - que mon groupe, pour lequel, comme vous le savez, le projet européen a toujours été la plus claire et la plus constante raison d'être, votera ce budget, abordant avec confiance l'année 2008, qui devrait marquer, nous l'espérons beaucoup, le renouveau de la construction européenne, auquel, je n'en doute pas, monsieur le secrétaire d'État, notre pays contribuera avec détermination.

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