Intervention de Bernard Seillier

Réunion du 7 février 2008 à 21h30
Traité de lisbonne — Adoption définitive d'un projet de loi

Photo de Bernard SeillierBernard Seillier :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le recours à la ratification parlementaire du traité de Lisbonne, fût-elle clairement annoncée à l'avance, pour passer outre le refus référendaire, suscite une véritable gêne. Ne sommes-nous pas dans le registre des chartes octroyées au peuple, qui, inversant la démarche démocratique, peut avoir des conséquences plus graves que l'effet même du refus populaire ?

L'argument avancé pour justifier le recours à une telle procédure est principalement fondé sur le fait que l'isolement de la France et la nécessaire relance de la construction européenne constitueraient des cas de force majeure. Or ces deux arguments ne sont pas convaincants.

La vie, quelle qu'elle soit, continue, et ce n'est pas la forme des institutions qui crée la liberté et la vie. C'est l'inverse. Les institutions doivent respecter la source de la vie ainsi que la liberté de la pensée et de l'existence des personnes et des peuples. Le moteur n'est pas au sommet, mais sur le terrain. La vie n'est pas quantité, mais qualité.

La démocratie doit avant tout être substantielle et ne pas se contenter d'être formelle.

On ne peut non plus considérer l'isolement comme une tare en soi que si l'on a déjà renoncé à toute hiérarchie des valeurs à défendre.

Être isolé parce que l'on a commis un délit est tout à fait différent du fait de l'être parce qu'on défend une position juste. On ne peut pas considérer qu'être isolé est en soi rédhibitoire, sauf si l'on privilégie la dynamique constructiviste par rapport à une dynamique éthique et politique. Or c'est bien là en définitive que se fondent les divergences légitimes entre deux conceptions de la construction européenne, au point que la forme actuellement privilégiée pourrait se révéler ultérieurement avoir été celle de sa dissolution.

Le principe inspirateur de la construction européenne consistait, il y a cinquante ans, à créer des liens économiques étroits entre les États-nations de l'Europe occidentale pour empêcher toute exaspération conflictuelle entre eux.

L'évolution du monde a complètement changé la donne, au point de faire apparaître aujourd'hui deux types de menaces totalement différentes de celles qu'avaient en tête les initiateurs du traité de Rome ; je veux parler de la guerre commerciale et du terrorisme.

La véritable question est donc aujourd'hui de savoir quelle est la meilleure réponse à donner aux conditions de demain.

Je pense personnellement que la suprématie des réseaux de coopération et de coordination politique, économique et sociale correspond plus à la nécessité du temps que la formation de grands ensembles d'exaspération des compétitions inégalitaires, et donc injustes, sous couvert de liberté.

De tels ensembles risquent, en outre, d'être perçus par les autres peuples comme des menaces belliqueuses. La puissance des réseaux, des coopérations et des coordinations me semble plus conforme aux exigences de l'ère d'Internet, à l'instar des microordinateurs qui ont succédé aux énormes machines des années soixante.

L'Europe a un autre rayonnement à faire valoir dans le monde, aux peuples de notre époque, qui attendent autre chose qu'une réponse en termes de structuralisme et de bureaucratie tatillonne.

Il faut nourrir la construction européenne de valeurs humaines pratiquée à tous les niveaux, et pas seulement affirmées dans les textes.

Les pétitions de principe, les catalogues de bonnes intentions sont sans fécondité, surtout quand ils sont en contradiction avec la manière d'appliquer le principe de subsidiarité.

La subsidiarité imposerait que soient mieux définies des compétences partagées ou attribuées aux nations et à l'Union européenne.

Il est spécifié dans le traité de Lisbonne que les parlements nationaux auront leur mot à dire au cas où la subsidiarité serait remise en cause. Mais, ici encore, il s'agit d'une subsidiarité octroyée, c'est-à-dire définie par le sommet. Ne faudra-t-il pas, en effet, réunir la majorité des Parlements concernés, c'est-à-dire mettre en minorité le pouvoir central, pour faire valoir son droit ?

Une grande confusion règne sur cette notion de subsidiarité faute d'admettre qu'elle n'est pas principalement procédurale, mais qu'elle est indissociable de l'essence même de la démocratie, et plus profondément encore de ce qui fonde le sens de la participation des citoyens et des familles à l'organisation de leur destin.

Cela implique que, pour chaque catégorie de problèmes, soit reconnue une compétence au niveau le plus adéquat à partir du terrain, et que soient respectées les valeurs de civilisation sur lesquelles repose la volonté de vivre ensemble. Ce peut être un échelon local, national, international, européen ou mondial, selon la nature du problème.

Seule cette mise en perspective générale exigée par notre époque permet de concevoir un autre dynamisme que celui de la forme de gouvernance kafkaïenne mise en oeuvre depuis plusieurs décennies.

C'est en ce sens que, rassembleur déterminé, démocrate affirmé, européen convaincu, mais pas exclusivement, je ne peux approuver la démarche actuelle qui prétend construire l'Europe, car je pense sincèrement qu'elle en ruine les véritables potentialités et la fécondité !

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