Malgré cette réussite exceptionnelle, les citoyens européens doutent de l'efficacité de la construction européenne. Il en résulte, chez un nombre grandissant d'entre eux, au mieux une certaine indifférence, au pire des réactions de rejet, comme celles des Français et des Néerlandais en 2005.
On évoque souvent, pour expliquer cette attitude, l'opacité du fonctionnement des institutions, l'éloignement des instances de décision, la bureaucratie « bruxelloise », l'élargissement réalisé trop rapidement, l'essoufflement du projet des Pères fondateurs, l'absence de projets mobilisateurs et, surtout, le déficit démocratique de l'Union.
Il est certain que le débat institutionnel européen a duré trop longtemps et a trop mobilisé les énergies, au détriment de réalisations plus concrètes qui auraient pu rencontrer l'adhésion des citoyens au projet européen.
Le premier mérite du traité, dit traité de Lisbonne, qui nous est soumis est de clore pour un certain temps cette longue période de réflexion, de querelle, sur l'évolution et l'efficacité des institutions de l'Union.
Ce traité, s'il est adopté avant la fin de l'année par les vingt-sept États membres - ce que je souhaite -, devrait permettre d'enrayer la crise de confiance qui a suivi l'échec du traité constitutionnel en 2005, après les « non » français et néerlandais, et favoriser la relance de la dynamique européenne en sommeil depuis deux ans.
II le pourra d'autant plus qu'il est le résultat d'un compromis signé, pour la première fois, par les vingt-sept chefs d'État et de gouvernement de l'Union, à Lisbonne, le 13 décembre dernier.
Certes, comme tout compromis, il ne satisfait totalement personne, et notamment pas les socialistes français. Ce traité manque de souffle, et « l'esprit européen » n'est pas vraiment au rendez-vous ! On est revenu à un exercice classique de type intergouvernemental négociant des « modifications » aux traités existants.
Pour autant, comme tout compromis, il présente des aspects positifs que je rappellerai brièvement.
En premier lieu, il modifie notamment le traité de Nice, toujours en vigueur, dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il n'est pas satisfaisant. L'objectif est faible, mais c'est, hélas ! la réalité dans laquelle nous retomberions si, par malheur, était effacé ce que nous sommes en train de construire.
Les dispositions institutionnelles du traité de Lisbonne vont permettre d'améliorer de façon substantielle l'équilibre et le fonctionnement des institutions, les modes de prise de décision, les droits des citoyens et la démocratie au sein de l'Union élargie.
En effet, une architecture plus équilibrée et plus démocratique est instaurée entre les trois principales institutions.
D'abord, le Parlement européen - et nous y attachons beaucoup d'importance - monte en puissance, avec l'accroissement du nombre de ses membres afin de prendre en compte l'arrivée des nouveaux États membres. Les parlementaires européens seront désormais 750, le nombre des représentants de chaque État étant établi en fonction de la taille de sa population.
Le rôle du Parlement européen est renforcé aussi par l'extension de la procédure de codécision avec le Conseil des ministres à quarante nouveaux domaines législatifs. Cela est de la plus grande importance. En fait, la quasi-totalité de la législation européenne sera adoptée par le Parlement européen, mis sur un pied d'égalité avec le Conseil des ministres représentant les États membres.
Il lui reviendra, en outre, d'investir le président de la Commission ainsi que le collège qu'il aura formé, en tenant compte de la majorité politique issue des élections européennes. Cela est également primordial.
Enfin, les parlements nationaux vont devenir des acteurs de la construction européenne, puisqu'ils se voient attribuer un rôle inédit de contrôle du respect du principe de subsidiarité. À ce titre, ils bénéficient désormais d'un « droit d'alerte précoce » en cas de dépassement de ses prérogatives par la Commission.
Ce nouveau droit accompagne la clarification qu'effectue le texte entre les pouvoirs de l'Union et ceux des États membres en distinguant trois catégories de compétences : les compétences exclusives de l'Union, où elle seule légifère - union douanière, politique monétaire, établissement des règles de concurrence, etc. - ; les compétences partagées entre l'Union et les États membres ; enfin, les compétences d'appui, c'est-à-dire les domaines où les États demeurent compétents, mais dans lesquels l'Union européenne peut apporter son appui.
Les parlements nationaux disposent, enfin, d'un « droit d'opposition » à la « clause passerelle », qui permet d'étendre la majorité qualifiée à des domaines jusque-là régis par la règle de l'unanimité. Cette innovation est importante, car l'avenir de l'Europe, vous le savez, se joue aussi dans ce passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée.