Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le traité dont on nous demande d'autoriser la ratification aujourd'hui est d'une nature particulière puisqu'il emporte des transferts de compétence. Nous avons réglé ce problème ces derniers jours en adoptant le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution, dans les deux assemblées, puis au Congrès.
Beaucoup d'arguments de fond ayant été invoqués lors de la discussion de ce texte - j'avais évoqué, quant à moi, des questions juridiques - pour justifier la position de la majorité d'entre nous, je ne fatiguerai pas notre assemblée en les reprenant à cette heure tardive et me contenterai de formuler deux observations qui me paraissent essentielles.
La première concerne la procédure de ratification. Fallait-il un référendum ? Nombre d'entre nous ont été, à juste raison, troublés dans la mesure où, comme l'a indiqué le président Valéry Giscard d'Estaing, les outils du traité de Lisbonne sont pratiquement les mêmes que ceux de la Constitution européenne. Nous sommes en quelque sorte dans une opération à la découpe. La Constitution amoindrie et réduite a donné naissance à ce traité.
Les scrupules que certains peuvent avoir à passer par la voie parlementaire, en évitant le spectre du référendum, alors que le peuple s'est prononcé une première fois, doivent être dissipés parce qu'ils pèsent sur le débat.
Tout d'abord, il s'agit d'un traité. Ensuite, le principe de réalité doit reprendre tous ses droits si nous voulons, comme l'a dit Pierre Mauroy, relancer l'Europe. Enfin, il faut prendre en considération les pouvoirs dont dispose le Président de la République. Ses décisions ou ses choix ne peuvent en aucun cas être subordonnés à l'hypothèque d'une décision antérieure, prise par quelqu'un d'autre.
L'approbation parlementaire est donc une bonne chose.
Deuxième observation, les avancées du traité sont tout de même considérables.
On peut se réjouir de disposer dorénavant d'un président élu pour deux ans, voire pour cinq ans. C'est en quelque sorte une réponse aux sarcasmes d'Henry Kissinger qui demandait : « L'Europe, quel numéro de téléphone ? ». Dorénavant, l'Union européenne aura un représentant bien identifié sur la scène internationale.
On peut aussi se réjouir de l'octroi à l'Union de la personnalité juridique, de la création d'un Haut représentant pour les affaires étrangères, du développement de la codécision législative et de l'intégration de la charte des droits fondamentaux, même si la Grande-Bretagne émet des réserves sur ce sujet.
Il faut insister sur les points de nature à rassurer ceux, qui, dans leur diversité, ont voté « non » en 2005. Ainsi, je rappelle que, comme la France l'avait demandé, la concurrence libre et renforcée n'est plus un objectif de l'Union, et le protocole sur les services d'intérêt général préserve la compétence des États membres, ce qui est un progrès considérable.
Certes, certains éléments ont été retirés du traité : c'est notamment le cas des symboles, le drapeau et l'hymne, auxquels Pierre Mauroy a fait allusion. Mais croyez-vous que la bannière bleue étoilée sera réellement ôtée des bâtiments ? Je ne le pense pas, car les symboles ont la vie dure. N'oublions pas comment Bismarck a fait disparaître le privilège qu'avait le représentant de l'Autriche de fumer le cigare à la Diète de Francfort...
M. le rapporteur et M. le secrétaire d'État ont exprimé leurs réserves sur ce traité, s'agissant notamment du fonctionnement des institutions. Le traité est effectivement extrêmement complexe, et l'articulation entre les quatre piliers ne sera pas chose simple. Par ailleurs, nous avons bien conscience qu'en matière de gouvernance économique, par exemple, face à des pays tels que l'Inde ou la Chine, la maîtrise de certains éléments nous échappe. Et avons-nous les moyens pour lutter contre les mafias ?
En quelque sorte, avec le traité de Lisbonne, l'approfondissement rattrape quelque peu l'élargissement, mais on peut redouter que celui-ci ne reprenne sa course en tête. Nous serions alors obligés de tenter de rattraper un élargissement sans fin, que certains des intervenants ont pu évoquer. Sur cette question, j'ai déjà eu l'occasion d'exprimer mes réserves sur l'adhésion de la Turquie, et je n'avais pas voté l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez plaidé pour la suppression de l'exigence du référendum avant tout élargissement. Je suis opposé à l'adhésion de la Turquie, mais je me demande quel pourrait être, demain, le crédit de la France si, après avoir « promené » la Turquie pendant dix ans, elle lui refusait in extremis, par référendum, l'entrée dans l'Union ? Il y va de l'honneur de notre pays, de son crédit, de sa réputation.
« Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple », a écrit Jean-Jacques Rousseau dans Les Confessions. C'est le cas de l'entreprise qu'engagèrent les pères fondateurs de l'Europe, qui ont aujourd'hui disparu, sauf Maurice Faure, à qui nous devons rendre hommage. Il nous faut poursuivre cette entreprise. « Ami, il n'y a pas de chemins ; c'est en marchant qu'on les trace », dit un proverbe espagnol. Le RDSE, dans sa quasi-unanimité, empruntera ce chemin.