Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'argumentaire de notre collègue Charasse repose sur l'existence d'un risque pour notre laïcité. C'est l'existence de ce risque qu'il faut apprécier.
Notre collègue Jean François-Poncet estime qu'il n'y a pas de risque. Il s'appuie sur l'alinéa 1 de l'article 16 du traité de fonctionnement de l'Union européenne: « L'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient en vertu du droit national les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. »
Il aurait dû pousser sa lecture jusqu'à l'alinéa 3. En effet, celui-ci crée le cadre juridique qui, en toute hypothèse, permet la mise en cause d'une décision à caractère laïque de la République française : « Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ses églises et organisations. »
Le cadre juridique ainsi posé, voici implicitement une nouvelle difficulté : de quelles églises parle-t-on ? Qui établit cette liste ? Je vous rappelle que la République française est montrée du doigt parce qu'elle caractérise comme sectes un certain nombre de groupes qui s'autoproclament « églises » et qui sont reconnus comme telles par d'autres pays. Je pense, en particulier, à la prétendue Église de scientologie, qui vient d'être reconnue en Espagne et qui est considérée en France comme une secte.
À cette raison s'en ajoute une autre. Elle trouve sa source dans l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux, dont vous nous avez dit à l'instant qu'elle a une valeur contraignante, qui va dorénavant s'imposer et élargir le champ des libertés.
Que dit l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux ? « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. » Avec cela, nous sommes parfaitement d'accord. « Ce droit implique la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. »
Avec cela, nous ne pouvons pas être d'accord parce que cela veut dire que, sur la base de cet article de la Charte des droits fondamentaux, la loi française qui interdit de se présenter dans un établissement scolaire avec un foulard sur la tête pourrait ne pas être acceptée par l'Union européenne.
On m'a rétorqué que l'article 10 de la Charte n'était que la reprise mot pour mot de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme. C'est presque vrai, mes chers collègues. Presque ! Car la Charte n'a pas repris le deuxième paragraphe de cet article, qui permet, précisément, de limiter la liberté religieuse dans l'intérêt public. Or la Charte n'autorise ces limitations à l'article 52-1 que pour des objectifs d'intérêt général, reconnus par l'Union. Mais la laïcité ne fait pas partie des objectifs affirmés par l'Union, bien au contraire !
Enfin, deux cours seraient désormais habilitées à interpréter ces mêmes articles : la Cour de justice des Communautés européennes, celle qui siège à Luxembourg, garante des traités et de la Charte, et la Cour européenne des droits de l'homme, celle qui siège à Strasbourg, garante des droits de l'homme.
Mais il est bien précisé à l'article 52-3 que l'harmonisation des décisions de ces cours différentes ne doit pas faire obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue.
Par conséquent, un juge pourrait faire appliquer l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux s'il estimait qu'il donne une protection plus étendue que la version plus restrictive d'un autre traité. Or la laïcité est considérée comme une restriction de la liberté de conscience par nos partenaires européens et non pas comme son socle, ainsi que le pensent les républicains français.
Il n'y a donc aucune raison que le Parlement ne vienne pas rappeler des réserves qu'il est en droit de formuler après les décisions du Conseil constitutionnel, à moins que vous n'ayez déjà opté pour une autre version de la laïcité.