La nomination du Défenseur des droits selon la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution ne peut qu’entacher son autorité morale, et donc la crédibilité de ses décisions. Nous examinons aujourd’hui une sixième version des dispositions relatives aux modalités de sa mise en œuvre. Hélas, jusqu’à présent, le débat parlementaire n’a pas apporté de réponse aux préoccupations exprimées par mon groupe – et pas uniquement par lui, vous en conviendrez.
Certes, en première lecture, la commission des lois, sous votre impulsion, monsieur le rapporteur, a tempéré le projet de loi initial sur certains aspects. Elle a bien perçu des contradictions inhérentes à l’institution du Défenseur des droits, au regard de la composition, de la spécificité, des modes d’intervention des autorités administratives indépendantes actuelles. Elle a tenté, par exemple, de redonner une certaine visibilité à leurs missions en créant des adjoints spécialisés du Défenseur des droits.
Dans le même temps, le rapporteur et la majorité ont décidé de faire disparaître la HALDE, qui était encore indépendante, au sein des missions du Défenseur des droits. À l’époque, sa présidente fraîchement nommée – mais devenue aujourd’hui membre du Gouvernement – défendait le principe d’une existence indépendante de la HALDE. Comme quoi la situation est assez bizarre !
Concernant le Défenseur des enfants, nous avons pu nous réjouir qu’une majorité se soit dégagée en séance publique, lors de la première lecture, pour maintenir son existence formelle. Mais c’était sans compter sur l’obstination du Gouvernement à la mettre en cause ni sur le revirement qu’il a alors obtenu de sa majorité. Ce précédent augure bien mal de l’indépendance du futur défenseur !
Depuis, à l’Assemblée nationale, la majorité, ne s’embarrassant pas même d’un « apprêt » démocratique, a supprimé l’intervention parlementaire dans la nomination des adjoints et en a fait de simples « assistants » – des « chefs de service non identifiables » comme le dit avec raison Mme Versini. Ce faisant, les députés de la majorité ont retiré toute visibilité à la spécificité des missions du Défenseur des droits, y compris celles de défenseur des enfants, que le Sénat avait un tant soit peu reconnue, eu égard à la convention internationale relative aux droits de l’enfant et à la particularité de ces missions, qui ne se limitent pas à la défense de dossiers individuels. Ils ont réduit la composition et les pouvoirs des collèges et exclu toute cooptation en leur sein de personnes qualifiées bénéficiant d’une large reconnaissance et – ce n’était pas la moindre des dispositions – ils ont transféré au Défenseur des droits les missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Bien entendu, la commission des lois du Sénat est revenue sur cette disposition inacceptable, mais la logique suivie par le Gouvernement apparaît dans toute son évidence : il s’agit de recentraliser toutes les fonctions de contrôle sous la coupe d’un seul personnage, nommé par le Président de la République.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, soulignait, voilà déjà un an, à propos du contour de la nouvelle autorité : « la multiplicité des buts recherchés et les versions successives des projets relatifs au Défenseur des droits expliquent les incertitudes et ambiguïtés de la disposition constitutionnelle finale [...] ». Un an après, cette appréciation demeure d’actualité.
Il peut sembler pour le moins paradoxal que des dispositions devant fonder la protection des droits et des libertés puissent être perçues comme inquiétantes, au point de susciter autant de critiques de la part d’associations, d’organisations non-gouvernementales, de syndicats, de la CNCDH, et même des responsables des autorités visées, bien qu’elles aient été nommées par le Président de la République.
Qu’il s’agisse du Défenseur des enfants, de la HALDE ou de la CNDS, autorités qui ont toutes une courte existence, le bilan de leur activité confirme leur utilité et leur pertinence. Mais nul n’ignore qu’ils gênent le Gouvernement, ou tel ou tel détenteur de pouvoirs.
Dans son dernier rapport, le Comité des droits de l’enfant a pointé du doigt des évolutions qui contredisent l’esprit de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, en matière de justice des mineurs, de traitement des mineurs étrangers isolés, ou encore de mal-logement et de pauvreté des enfants. Ce constat rejoint les préoccupations exprimées par le Défenseur des enfants depuis la création de cette autorité. Souvenez-vous : les parlementaires de la majorité avaient très peu apprécié, y compris dans cet hémicycle, que cette dernière dénonce les grandes disparités observées, entre départements, dans le domaine de l’enfance.
Pour ce qui concerne la HALDE, « elle a permis de mettre fin à l’impunité dans un certain nombre de domaines » – pardonnez-moi si j’ai plaisir à reprendre les termes employés par Mme Bougrab lorsqu’elle en était présidente, même si elle a sûrement changé d’avis depuis ! Serait-ce précisément ce comportement que vous reprochez à cette institution ? Ou encore ses prises de position contre les tests ADN pour les candidats au regroupement familial ? Ou ses mises en cause de grosses entreprises comme BNP-Paribas ou Airbus en raison de pratiques discriminatoires ? Pour nous, tant que les discriminations existeront, tant que le combat pour l’égalité sera justifié, la HALDE aura vocation à poursuivre son activité, y compris à un niveau global.