Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 1er février 2011 à 15h00
Défenseur des droits — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Dans la série des atteintes à nos droits fondamentaux et libertés individuelles, la continuité sera malheureusement encore assurée avec la discussion générale sur le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

J’ai donc la sensation, à chaque fois que je me rends dans cet hémicycle, de venir assister à un recul du respect et de la protection des droits humains, tout en continuant de lutter inlassablement contre cette surenchère liberticide !

La réforme relative au Défenseur des droits, telle que prévue par le constituant le 23 juillet 2008, avait au moins le mérite d’inscrire cette institution dans la Constitution, ce qui ne peut qu’être salué comme un progrès de l’état de droit.

Toutefois, la satisfaction fut des plus brèves, puisque, comme je l’ai dénoncé avec force et vigueur en première lecture, le Gouvernement souhaite maintenant faire du Défenseur des droits une véritable holding administrative, en lui permettant d’absorber les missions du Médiateur de la République, de la CNDS, de la HALDE et du Défenseur des enfants. Une mise sous tutelle politique, en quelque sorte !

Je salue à ce sujet la vigilance de la commission, qui a su, mercredi dernier, refuser l’intégration du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans l’institution.

Vous imaginez, mes chers collègues, à quel point je partageais, en tant qu’ancien membre du Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire, l’argument défendu par la commission : le contrôle du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté constitue une mission bien trop spécifique pour accepter une telle absorption au sein du Défenseur des droits. De par sa mission de contrôle des prisons, des centres de rétention administrative, des locaux de garde à vue et de tout autre lieu d’enfermement, il est indispensable que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté puisse conserver son indépendance.

J’estime qu’il en va de même des missions spécifiques exercées par la HALDE, le Défenseur des enfants et la CNDS. Cette dernière reste un outil de contrôle de la police et de l’administration pénitentiaire, dont l’action doit rassurer, et non inquiéter, notre société démocratique.

Vous aurez évidemment noté, mes chers collègues, que je ne conteste pas l’intégration du Médiateur de la République à la nouvelle institution constitutionnelle. Je réaffirme même que la constitutionnalisation d’une autorité chargée de défendre les droits des usagers de l’administration répond parfaitement à l’objectif d’assurer une protection renforcée des libertés et des droits fondamentaux de nos concitoyens.

Mais, j’y insiste, je suis opposée à l’absorption des trois autres autorités administratives indépendantes, aux compétences spécifiques.

Je m’étonne d’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, que vous ignoriez à ce point les inquiétudes et les critiques – relayées par la presse – émanant de citoyens, d’associations, de juristes, d’universitaires spécialisés en libertés publiques et d’une partie des parlementaires.

Je pense notamment aux deux avis rendus par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, attirant l’attention du Gouvernement sur les risques d’atteintes à nos libertés qui résulteraient des présents projets de loi : l’avis sur le Défenseur des droits et ses annexes, datant du 4 février 2010, et l’avis, en date du 30 septembre 2010, sur le projet de loi organique relatif au Défenseur des droits adopté par le Sénat au mois de juin 2010.

Dans ce dernier avis, la CNCDH « réitère […] sa recommandation du 4 février 2010 visant, à l’exception du Médiateur de la République qui deviendrait Défenseur des droits, au maintien des autorités existantes, qu’elles soient directement ou indirectement concernées par l’actuel projet de loi organique. Elle souhaite que le Défenseur des droits intervienne comme garant de l’indépendance de ces autorités et d’une meilleure interaction entre elles en favorisant une communauté de moyens, de projets et d’idées au service d’une défense efficace et effective des droits de l’homme. »

Monsieur le garde des sceaux, pourquoi donc solliciter l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme si, in fine, vous n’en tenez aucun compte ? Est-ce, encore une fois, pour nous donner l’illusion d’une prétendue concertation sur ces projets de loi ?

Nous pouvons ainsi constater le peu d’intérêt que vous portez aux autorités administratives indépendantes… C’est certainement pour cela que vous souhaitez, dans votre proposition contestable, en englober quatre dans le Défenseur des droits !

Mais personne n’est dupe, et vous ne faites que renforcer nos inquiétudes !

Tout comme la CNCDH, les sénateurs écologistes s’inquiètent de la perte de visibilité des autorités administratives indépendantes qui résulterait de la dilution des mandats de plusieurs d’entre elles au sein du Défenseur des droits.

Ce « méga-défenseur » que le Gouvernement souhaite créer devra, quant à lui, à la fois s’occuper des abus de l’administration, des bavures policières, des droits des enfants et de la lutte contre les discriminations. Ce « tout en un » surréaliste impliquera donc d’opérer des choix dans les causes à défendre. Faudra-t-il trouver une hiérarchie entre les discriminations ?

À ce sujet, je citerai de nouveau l’avis du 30 septembre 2010 de la CNCDH, qui indique, à juste titre, que « ces choix appelleront des arbitrages qui risqueront d’être dictés par des impératifs politiques ou médiatiques (l’émotion de l’opinion publique) non sans risque d’arbitraire. » Je rappellerai également, monsieur le garde des sceaux, que le gouvernement auquel vous appartenez nous habitue régulièrement à ce genre de pratiques consistant à surfer sur la vague de l’actualité et de l’émotionnel populaire !

Vous prévoyez de mettre en place une véritable « braderie » de nos droits fondamentaux et de nos libertés individuelles. Avez-vous l’intention de poursuivre pendant longtemps encore les soldes de nos droits ?

Selon le projet de loi organique, le Défenseur des droits, autorité indépendante, ne recevrait aucune instruction. Il est pourtant nommé en conseil des ministres, donc par le Président de la République !

Si une telle nomination est en vigueur dans certaines des autorités administratives indépendantes qu’il est prévu d’intégrer au Défenseur des droits, nous disposions, au moins, de plusieurs institutions, qui pouvaient avoir une vision différente dans l’approche et le traitement des dossiers.

En Espagne, le Défenseur du peuple est élu par le Parlement à la majorité des trois cinquièmes. En France, c’est l’inverse : le Parlement peut seulement bloquer la nomination par trois cinquièmes des voix au sein de la commission permanente concernée de chaque assemblée... Une procédure envisagée pour être tout à fait inutilisable !

Vous vous appliquez donc, monsieur le garde des sceaux, à accentuer le recul des contre-pouvoirs et à renforcer la toute puissance du Président de la République et du Gouvernement à travers ce Défenseur des droits, qui sera souverain.

Permettez-moi, en cet instant, de saluer le travail qui a pu être effectué par la HALDE, depuis sa création, en matière de lutte contre les discriminations directes ou indirectes, par le Défenseur des enfants, qui a toujours veillé à la protection et à l’effectivité des droits de ces derniers, par la CNDS, que j’ai saisie à plusieurs reprises, comme d’ailleurs un certain nombre de mes collègues, à la suite de suspicions de bavures policières.

Je ne peux donc que regretter le fait que ces autorités administratives indépendantes disparaissent, et je réitère mes inquiétudes et mon opposition à ce projet.

Enfin, je souhaite aborder la question des obstacles conventionnels et constitutionnels à l’absorption de ces autorités administratives indépendantes et, plus particulièrement, de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.

La HALDE trouve son origine dans la disposition d’une directive de l’Union européenne. L’article 13 de la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique prévoit effectivement la mise en place par les États membres d’un ou plusieurs organismes chargés à l’échelon national, d’une part, de promouvoir l’égalité de traitement sans discrimination raciale ou ethnique et, d’autre part, d’assister individuellement les victimes de discriminations dans leurs procédures.

Or, comme l’ont souligné certains éminents juristes et universitaires, la directive susvisée contient une clause de stand still qui dispose que « la mise en œuvre de la […] directive ne peut justifier une régression par rapport à la situation existant dans chaque État membre ». Il n’est donc pas possible au législateur organique d’adopter des mesures qui seraient en retrait par rapport au dispositif issu de la loi du 30 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

Le droit de l’Union européenne produit en l’espèce un effet de « non-retour en arrière ».

Le projet de loi organique qui nous est soumis aujourd’hui, en englobant les missions de la HALDE dans celles du Défenseur des droits, porte gravement atteinte à ce principe. Dès lors, il est incompatible avec les exigences communautaires et les engagements que nous avons pris à l’échelon européen.

Le Conseil constitutionnel ne manquera pas, je l’espère, de sanctionner cette absorption de la HALDE lors de son examen de la future loi organique relative au Défenseur des droits.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce texte, qui porte à la fois atteinte au droit européen, au respect et à l’effectivité des droits humains, à l’existence de contre-pouvoirs français indépendants !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion