Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 17 mai 2011 à 14h30
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous n’en serez pas surpris, les sénatrices et sénateur écologistes sont profondément indignés devant le projet de loi qui nous est aujourd’hui présenté.

Par ce texte, monsieur le garde des sceaux, vous prétendez outrageusement opérer une augmentation de la participation des citoyens à la justice, ainsi qu’une révision de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, alors que ce texte ne brille malheureusement que par la bassesse de l’idée de la justice qu’il développe.

Sur la méthode, tout d’abord, monsieur le ministre, un tel chantier législatif aurait dû être entrepris dans le respect du débat parlementaire, mais vous avez fait le choix d’une procédure accélérée, cédant à l’urgence et à l’électoralisme.

Vous avez ainsi opté pour une procédure parlementaire prioritaire, nous privant d’une deuxième lecture sur un texte visant à réformer en profondeur notre procédure et notre droit pénal.

Par ailleurs, sous couvert de faire davantage participer les citoyens à la justice, vous en profitez pour procéder, dans le même texte, à une réforme du droit pénal des mineurs. Ce dernier thème, pourtant extrêmement important, a malheureusement été occulté par la presse, qui ne s’est fait l’écho que des fameux « jurés populaires ».

Je consacrerai l’essentiel de mon intervention au droit pénal des mineurs, mais je souhaiterais tout de même dire quelques mots du premier volet du texte.

Sous prétexte d’accroître la participation du peuple à l’œuvre de justice, vous souhaitez modifier la composition du tribunal correctionnel et de la chambre correctionnelle de la cour d’appel par l’ajout de deux « citoyens assesseurs ».

Je constate que, paradoxalement, monsieur le garde des sceaux, votre projet de loi vise également à modifier la composition du jury d’assises, en abaissant le nombre de jurés de neuf à six en premier ressort, et de douze à neuf lorsque la cour statue en appel ! Il ne s’agira donc, in fine, que d’un effet d’annonce trompeur sur une participation croissante de la population à la justice, alors que, bien au contraire, vous réduisez le nombre des citoyens qui pourront participer au jugement de certaines affaires pénales.

En associant à des magistrats professionnels ayant suivi une formation juridique de plusieurs années, et sanctionnée par des diplômes, des profanes ne connaissant pas la subtilité du droit et pour qui « rendre la justice » n’est pas un métier, vous remettez en cause le professionnalisme du corps de la magistrature.

Eu égard aux propos de M. Hortefeux qui, en septembre 2010, s’indignait « que des assassins ou des violeurs, condamnés par une cour d’assises, puissent sortir de prison avant la fin de leur peine parce que des magistrats professionnels l’ont décidé », je me demande si le Gouvernement ne s’applique pas, avec cette suspicion supplémentaire, à défier nos magistrats !

Ce projet de loi instaure une hiérarchie entre jurés populaires et magistrats professionnels, hiérarchie que vous essayez d’imposer au détriment de ces derniers. Or, outre cet effet d’annonce à visée purement électoraliste, le dispositif pose de nombreux problèmes d’application.

En premier lieu, vos « citoyens assesseurs » peuvent ne pas faire preuve du recul nécessaire. Ils risquent de se projeter dans l’affaire avec leur affect et d’afficher un manque de discernement gravement problématique, aussi bien pour la victime que pour l’accusé.

Il ne faut pas non plus négliger la durée des procès, du fait de la nécessité de former les nouveaux assesseurs, durée qui n’est pas déterminée par le texte. Les modalités de cette « formation » seront fixées par décret, soit, mais le Gouvernement doit d’autant plus nécessairement nous apporter des éclaircissements à ce sujet.

L’étude d’impact mentionne l’organisation d’une « information sur le fonctionnement de la justice pénale ». S'agira-t-il d’un texte distribué aux citoyens assesseurs, ou bien d’une réelle « formation » ? Dans ce dernier cas, durera-t-elle vingt-quatre, quarante-huit heures ? Il nous faut des réponses plus précises pour que nous soyons assurés que la formation de ces citoyens assesseurs ne sera pas bâclée.

Par ailleurs, vous annoncez le recrutement, qui ne peut qu’être bénéfique, de 155 magistrats supplémentaires et de 100 greffiers, pour un coût estimé par le Gouvernement de 50 millions d’euros pour le mobilier et de 20 millions d’euros supplémentaires par an pour le fonctionnement.

Alors que la réforme de la garde à vue va entraîner des coûts extrêmement importants, que l’aide aux victimes, qui devrait être prioritaire, nécessiterait 10 millions d’euros d’investissements, on peut légitimement se demander, monsieur le garde des sceaux, comment vous allez financer la réforme que vous nous présentez aujourd’hui.

Le second volet du projet de loi me paraît très important, puisqu’il tend à réformer presque entièrement l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

Si les spécialistes – juges des enfants, personnel des services de la protection judiciaire de la jeunesse, universitaires – sont tout à fait effrayés par les dispositions de ce texte, il est regrettable que l’opinion publique n’en ait pas été davantage informée et que ce volet du projet de loi soit resté à ce point méconnu.

Tout d’abord, la délinquance juvénile apparaît comme une problématique ancienne, régie presque entièrement par l’ordonnance de février 1945, qui repose sur une dichotomie entre justice des mineurs et justice des majeurs et dont l’article 2 donne aux mesures éducatives la primauté sur les sanctions. L’article 1er de cette ordonnance dispose qu’un mineur doit être jugé par une juridiction spécialisée.

Or, depuis le début du xxie siècle, la réponse pénale n’a fait que croître, avec les lois dites « Perben I » et « Perben II », la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, puis la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. On assiste à un renversement de l’esprit de l’ordonnance de 1945 : l’enfant est désormais de plus en plus considéré comme un adulte.

La preuve en est que, d’une justice résolutive, nous en revenons, avec ce projet de loi, à une justice distributive, qui ne s’attache qu’aux faits. C’est dans cet esprit que vous proposez de simplifier les procédures de jugement rapide et de présentation immédiate, ce qui tend à rapprocher un peu plus le droit des mineurs de celui des majeurs.

Une telle accélération des procédures, par l’ouverture aux officiers de police judiciaire de la possibilité de convoquer des mineurs devant un tribunal pour enfants, est en contradiction avec la nécessité d’effectuer une étude approfondie de la personnalité de l’enfant. Le comble en la matière est atteint avec le « dossier unique de personnalité » prévu à l’article 14 et sorti tout droit d’un chapitre du rapport Varinard intitulé « Célérité de la réponse pénale ». L’objectif affiché d’accélérer le jugement des mineurs est évidemment très contestable !

Monsieur le garde des sceaux, ce projet de loi ne laisse transparaître aucune volonté d’instaurer une continuité éducative. Au contraire, il tend à précipiter la réponse pénale à l’encontre des mineurs, sans tenir compte de leur jeune âge et des particularités qui en découlent.

Par ailleurs, les sénateurs écologistes contestent fermement les mesures prévues à l’article 21. Vous entendez placer les mineurs non récidivistes en centre éducatif fermé dès lors qu’ils auront commis un délit puni de cinq ans de prison. Or tous les délits commis avec circonstances aggravantes sont passibles d’une peine de cinq ans d’emprisonnement ! Dans la mesure où sont notamment considérées comme circonstances aggravantes la commission en réunion ou à proximité d’un établissement scolaire, ce que vous souhaitez finalement, c’est que les mineurs soient tous incarcérés à la première occasion !

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