Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 17 mai 2011 à 22h15
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Article 1er

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Au moment où nous abordons l’article 1er de ce texte, je veux revenir sur l’introduction des jurés populaires à plusieurs stades de la procédure pénale.

Comme unique réponse à l’état de faiblesse de la justice en France, le texte du Gouvernement constitue, en dépit de vos dénégations, monsieur le garde des sceaux, un nouvel acte de défiance à l’égard des magistrats. Il est la traduction législative de la campagne politique de mise en cause systématique de leur travail.

Le Président de la République, toujours prompt à rejeter sur d’autres la responsabilité de ses propres échecs, a distillé dans l’opinion, à la faveur de plusieurs faits divers, l’idée selon laquelle les magistrats agiraient, par leurs décisions, contre la volonté des Français en matière de sécurité publique. À en croire Nicolas Sarkozy, tout irait mieux avec des jurés « citoyens » !

Je souhaite revenir sur les quatre raisons principales qui nous poussent à refuser ce dispositif.

La première est liée à sa complexité.

Aux termes du projet de loi, deux citoyens assesseurs, tirés au sort sur les listes électorales, siégeraient pour une semaine aux côtés des trois magistrats professionnels qui composent les tribunaux correctionnels. Ce « service judiciaire obligatoire » de huit jours n’est demandé ni par les magistrats ni par les justiciables. Ceux-ci ont pourtant en commun de subir en première ligne la dégradation du service public de la justice.

Ce dispositif créera des difficultés matérielles majeures, dont le Gouvernement semble vouloir se délester sur les magistrats et les élus locaux. Ainsi, les maires auront pour charge d’adresser aux personnes tirées au sort sur les listes électorales « un recueil d’informations ». Une commission, sur la base de ces recueils qu’elle devra traiter, dressera la liste annuelle des citoyens assesseurs pour chaque tribunal de grande instance. La justice française, d’ores et déjà engorgée, a-t-elle besoin qu’on lui impose ainsi de nouvelles lourdeurs administratives ?

La deuxième raison a trait à la charge financière du dispositif.

L’indemnisation de quelque 8 000 citoyens assesseurs appelés chaque année nécessitera des moyens financiers importants, évalués à plus de 20 millions d’euros. Sachant que l’institution judiciaire est déjà exsangue, au point qu’elle a des difficultés à payer les jurys d’assises et les juges de proximité, et que le budget du ministère de la justice, de par sa faiblesse, classe la France au trente-septième rang européen, tout cela n’est pas sérieux !

La troisième raison tient au risque de dégradation des conditions de jugement.

J’y insiste, l’introduction de citoyens assesseurs contribuera à dégrader un peu plus les conditions de jugement. Ces citoyens, novices en droit, devront prendre connaissance de l’intégralité des éléments des dossiers. Les délais de jugement, déjà longs du fait de l’encombrement des tribunaux, seront encore allongés. Le risque d’une paralysie du système est donc réel, au détriment des personnes jugées et des victimes. Sur ce point, je vous renvoie aux propos de M. Garraud, secrétaire national de l’UMP en charge de la justice.

Le Gouvernement a choisi de réserver à certains délits la présence de citoyens assesseurs, sans que l’on connaisse d’ailleurs les critères qui ont présidé à cette « sélection ». La commission a décidé d’inclure dans la liste les infractions au code de l’environnement passibles d’une peine égale ou supérieure à cinq ans, quand bien même celles-ci sont souvent d’une grande technicité et nécessitent une expertise juridique qui touche aussi bien au droit de l’environnement qu’au droit international ou européen. En revanche, les affaires liées à la délinquance en col blanc ont étonnement été exclues. Comment justifier que les citoyens assesseurs, présentés comme une panacée par le Gouvernement, en soient tenus à distance ?

La quatrième raison a trait à la question de la constitutionnalité du dispositif.

Le projet de loi instaure une justice à deux vitesses, comme l’ont souligné les auteurs des différentes motions de procédure. Nul doute que le Conseil constitutionnel sera amené à se prononcer sur la conformité à la Constitution de mesures qui portent atteinte à l’égalité entre les citoyens et à l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Les Français attendent de la justice qu’elle assure un traitement égal des citoyens devant la loi, qu’elle soit rendue dans des délais raisonnables et que ses décisions soient rapidement mises à exécution. Ce texte va à rebours de ces trois objectifs. Nous avons été nombreux à le dire, mais nous ne sommes manifestement pas parvenus à convaincre le Gouvernement pour le moment.

Pour conclure, je formulerai un grief supplémentaire à l’encontre de ce texte : nul ne peut ignorer aujourd’hui l’évolution de notre société et la part démesurée, mais malheureusement incontournable, que prennent la communication et les médias dans l’information et la désinformation de nos concitoyens.

Dès lors, comment peut-on croire que la présence de jurés « citoyens », ignorants du droit, et dont certains auront été extraits de chez eux à contrecœur, apportera une réelle plus-value au travail des magistrats ? Au mieux, ils seront dépendants des magistrats ; au pire, ils seront dépendants des médias et ils ne sauront exprimer qu’un état de l’opinion telle qu’elle peut être saisie dans l’instant.

On ne peut juger dans le sentiment ou dans le ressentiment. L’application de la loi doit rester notre commune garantie de justice et de liberté. C’est un métier et, comme l’a si bien dit notre collègue Jacques Mézard, le citoyen attend, non de rendre la justice, mais que justice lui soit rendue. Ce n’est vraiment pas la voie que vous empruntez. C’est pourquoi nous demanderons la suppression de l’article 1er.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion